Par Mathilde Goanec| 26 mai 2014
Petro Porochenko a remporté hier, dès le premier tour, l’élection présidentielle ukrainienne. Surnommé le "roi du chocolat", cet homme d’affaire aux orientations très libérales entend incarner l’unité d’un pays miné par le séparatisme et les difficultés financières.
Fini la débauche, les hôtels luxueux du centre-ville et les cocktails faramineux... Hier soir, la présidentielle ukrainienne s’est jouée sans tambours ni trompettes, dans la plus grande sobriété. Et pour cause : l’Ukraine, déjà amputée d’une partie de son territoire, tente de garder le contrôle sur les régions de l’Est, en proie à un grave conflit séparatiste. Petro Porochenko, qui l’emporte dès le premier tour avec 56% des voix, s’est donc immédiatement posé en garant de l’intégrité du pays. Niant une quelconque légitimité au référendum qui s’est tenu il y a deux semaines dans le Donbass, il a également dénoncé« l’occupation de la Crimée », arguant que la défense du pays sera sa priorité.
« Timochenko appartient au passé »
Ce millionnaire, à la tête de la plus grande confiserie du pays, n’avait ni équipe, ni programme. Mais c’est un habitué du jeu politique ukrainien : brièvement ministre de l’Économie et des Affaires étrangères, il a traversé les deux dernières décennies sans trouble majeur, jouant de sa proximité avec les différents pouvoirs et clans à la tête du pays. Pour gagner, il a aussi capitalisé sur son engagement lors de « l’Euromaïdan », mouvement de révolte populaire qui a chassé son prédécesseur Viktor Ianoukovitch du pouvoir en février dernier.
Loin derrière, Ioulia Timochenko, ancienne chef de file de l’opposition, rassemble à peine 13 %. « Elle appartient au passé », constatait hier une électrice dans la banlieue de Kiev. Condamnée pour abus de pouvoir et trafic d’influence lors d’un procès éminemment politique, l’ancienne égérie de la révolution orange a passé ses trois dernières années en prison et n’a pas réussi à se mettre au diapason des Ukrainiens, gênés par sa soif inextinguible de pouvoir.
Une extrême droite discréditée
Le troisième homme de cette présidentielle se nomme Oleg Liachko : électron libre, sans aucune base militante, c’est également un habitué des podiums de Maïdan, qui a su séduire une partie de l’électorat grâce à une campagne à la tonalité très populiste. Troisième homme en 2010, Sergei Tigipko, candidat indépendant mais ancien membre du parti des régions, paye au prix fort les errements de Viktor Ianoukovitch et ne passe pas la barre des 5%.
Reste l’extrême droite, qui pensait tirer profit de l’engagement de ses militants lors des affrontements meurtriers de février dernier. Son influence, volontiers amplifiée par les médias russes, reste extrêmement limitée : Oleg Tiagnibok, leader du parti Svoboda, obtient 1,5% des voix. Dmytro Iarosh, chef de Praviy Sektor, fait lui à peine 1%... « La pensée ethno-nationaliste gagne du terrain, c’est certain, analyse Mihail Mynakov, politologue ukrainien. Mais ces mouvements sont discrédités dans l’opinion. On ne sait pas qui les finance, quels sont leurs liens avec les services secrets ukrainiens et russes, et ce qu’ils veulent vraiment pour le pays. »
Sur le terrain, les combats reprennent
Outre cette confortable avance sur ses adversaires, la participation générale, plutôt élevée, donne un peu d’aise à Petro Porochenko. Mais le nouvel homme fort ukrainien arrive en terrain miné. Selon la Commission centrale électorale, seul un tiers des bureaux des régions de Lougansk et de Donetsk ont pu ouvrir hier, et beaucoup d’électeurs ont ignoré le scrutin, par peur de représailles ou véritable rejet de la "junte kiévienne". Samedi et dimanche, les combats ont d’ailleurs violemment repris, faisant des morts des deux côtés. En parlant, dès dimanche soir, de dialogue et d’amnistie possible pour ceux qui« déposeront les armes », Petro Porochenko a tenté de faire baisser la pression. Il a même relancé l’idée de pourparlers avec la Russie, « proche et grand voisin », dans le cadre de la feuille de route de Genève.
Mais l’Est n’est plus sous contrôle de quiconque depuis longtemps. « Si la situation est si compliquée, c’est que différents groupes, aux intérêts parfois contradictoires, agissent en même temps, analyse un diplomate européen à Kiev. Les séparatistes locaux, les forces spéciales russes, et le milieu criminel, chacun joue sa partition. » Même Rinat Akhmetov, ancien sponsor de Ianoukovitch et baron de la région de Donetsk, bataille aujourd’hui contre les séparatistes et chante les vertus d’une Ukraine une et indivisible, de quoi faire perdre leur latin à tous les analystes et provoquer les moqueries des Ukrainiens.
Thatcher et Reagan comme modèle
L’Ukraine doit aussi affronter une situation économique désastreuse. Elle doit de l’argent à tout le monde, à commencer par la Russie, et le niveau de ses caisses est à peine suffisant pour garantir le fonctionnement de l’État. Sur ce point, l’équipe fraîchement arrivée au pouvoir n’a pas grand chose à proposer. Petro Porochenko, qui a joué à fond la carte du businessmantalentueux au cours de sa courte campagne, est un libéral pur et dur, citant volontiers Thatcher et Reagan comme modèle politique.
Selon toute vraisemblance, il devrait accueillir le FMI et son cortège de mesures d’austérité à bras ouverts. La corruption, bien sûr, sera son ennemi numéro un, sans plus de précisions sur les moyens d’y mettre fin. Les Ukrainiens ne sont pas dupes, mais pour sauver leur pays au bord de la bascule, il leur fallait rapidement trouver un capitaine. Ils l’ont élu dimanche, faute de mieux.