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Alors même que les syndicats se plaignent des manques de moyens et de l’alourdissement de la charge policière, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls a annoncé la création de nouvelles zones de sécurité prioritaires (ZSP). Une vingtaine de ZSP devraient s’ajouter aux 64 déjà existantes d’ici la fin de l’année. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Entretien avec Jacques de Maillard, professeur de sciences politique à l’université Versailles-Saint Quentin et directeur adjoint du laboratoire de recherche, Cedisp sur ce dispositif censé combattre l’insécurité.
Regards.fr. Un cadre de la police s’est plaint de cette multiplication des ZSP, qui serait pour Manuel Valls une manière de réagir au moindre fait-divers... Est-on, comme sous Nicolas Sarkozy, dans la surenchère ?
Jacques de Maillard. Un fait divers suscite une émotion et donc demande une réaction politique. Cette tendance était particulièrement prononcée sous Nicolas Sarkozy et c’est un peu la même idée avec ces ZSP. Mais la logique est différente : là où on réagissait avec une loi générale, à forte valeur symbolique, on crée maintenant un dispositif local, plus modeste mais peut-être aussi plus opérationnel.
En quoi les ZSP sont-elles innovantes par rapport à ce qui existait avant ?
Ce qui est nouveau, c’est d’afficher de manière si centrale que les dispositifs partent des demandes locales. Chaque ZSP peut définir son orientation locale. Et ça, c’est nouveau pour la police. Ce qui est aussi intéressant, c’est que les ZSP ont tenté de capter des inquiétudes locales qui échappent parfois aux priorités nationales, fondées essentiellement sur des catégories statistiques. Si l’on prend la lutte contre le trafic de stupéfiants, on s’aperçoit qu’elle est importante pour les habitants surtout comme une manière de répondre aux dégradations quotidiennes qu’il représente. Or cette manière de voir les choses pose un problème à la culture professionnelle de certains services spécialisés qui préfèrent travailler sur des grosses affaires plutôt que sur des petits tracas quotidiens.
L’un des objectifs affichés des ZSP était de faire travailler ensemble les acteurs municipaux, les travailleurs sociaux et la police. Cet objectif est-il atteint ?
Ceci n’a rien de nouveau, nous sommes depuis le début des années 1980 dans cette tradition de partenariat. D’ailleurs, dans certains endroits, la mise en place des ZSP a été difficile car elles entraient en concurrence avec les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance. Donc on ajoute un outil à ce qui existe déjà. Cette continuité n’est pas sans ambiguïté... Les différents partenaires ne sont pas à égalité dans le dispositif. La préfecture, le parquet et la police nationale ont priorité sur les municipalités, qui restent un acteur secondaire. Les ZSP ont également souvent permis d’améliorer des partenariats là où ils fonctionnaient déjà et entre des services de l’État qui ont déjà l’habitude de travailler ensemble, comme le renseignement et les services de sécurité publique, ou la police et la douane. Mais elles n’ont pas transformé le problème de la coopération avec les agents, comme les agents de médiation, qui viennent d’autres institutions et qui ont d’autres cultures de résolution des problèmes. Ces derniers ne se vivent pas comme des ennemis de la police, mais pas non plus comme des partenaires. Ils font pourtant partie d’un même ensemble, celui de la régulation de la rue et de l’espace public.
Manuel Valls s’est félicité de son bilan, en parlant déjà d’une baisse de la délinquance grâce aux ZSP. Qu’en pensez-vous ?
Clairement, il est impossible de faire un bilan actuellement. Mais le politique se doit d’annoncer des choses car il est dans une logique de compétition permanente. Or les résultats attendus ne peuvent se mesurer sur un si court terme. Il est aussi difficile de parler de résultats quant c’est l’administration qui s’évalue elle-même. Sans compter que la création d’une zone prioritaire induit des effets associés. Quand il y a plus de policiers dans la rue, il y a plus d’élucidations, mais aussi plus de faits constatés. Donc tirer un bilan sur des chiffres administratifs, c’est potentiellement biaisé. Il faudrait prendre en compte la perception du public puisqu’on l’affiche comme un objectif, réfléchir à des indicateurs qui permettent de mesurer ces petites nuisances qui n’entrent pas dans la nomenclature policière pour avoir une appréciation globale de ce qu’est l’insécurité et de sa baisse potentielle.
Certains se plaignent aussi de l’effet de loupe et de stigmatisation induite par ces ZSP.
Quand on regarde les territoires concernés, ils sont plutôt en demande d’un investissement public accru. Mais la vraie question c’est que les territoires déclarés ZSP sont extrêmement variables, entre le petit territoire autour du quartier de la Goutte d’or dans le 18e arrondissement de Paris et les quartiers nord de Marseille... Qu’est ce que cela veut dire « zonage prioritaire » quand on travaille sur des tailles si variables ? Par ailleurs, quand on crée une ZSP, on répond à plusieurs demandes : politiques, dans le débat électoral gauche-droite, mais aussi locales, comme à Libourne, où cela fait suite à la fermeture du commissariat du secteur. Ces logiques vont parfois à l’encontre de l’efficacité.
Se pose enfin le problème récurrent des moyens alloués à ce type de dispositif ?
On sait finalement peu de choses sur les moyens dédiés. On parle de 5 à 7 % supplémentaires mais cela veut dire quoi en termes d’effectifs ? Il y a un vrai flou sur le sujet, ce qui permet les effets d’annonce mais qui contribue aussi à entretenir l’opacité sur le dispositif.
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