Suite de l'affaire Khimki... ITW avec Evgenia Chirikova pour le Courrier.ch
http://www.lecourrier.ch/116172/khimki_la_foret_qui_revele_la_corruption
Elle a obtenu le prix Goldman, sorte de Nobel de l’environnement, pour son engagement à Khimki, en 2012... La blonde Evgenia Chirikova, archétype de la classe moyenne russe, prend en 2006 conscience de la disparition programmée de la forêt où elle vit avec sa famille. Sans cesse harcelée par les autorités, enragée par la mort de son compagnon de lutte, le journaliste Mikhail Beketov, Evgenia Chirikova est aujourd’hui l’une des figures de l’opposition en Russie.
L’autoroute qui passe par la forêt de Khimki est déjà en chantier, pourquoi continuez-vous à vous battre?
Evgenia Chirikova: Premièrement, le chantier avance lentement, les sous-traitants font sans cesse faillite et cela va sûrement prendre des années avant que la route ne soit achevée. Nous avons donc assez de temps devant nous pour nous battre. Et c’est une question de justice. Je ne suis pas d’accord avec cette destruction, menée avec l’argent de nos impôts, à travers des compagnies offshore et avec l’aide de sociétés françaises. Avec cette plainte contre Vinci, nous pouvons encore changer la donne. Deuxièmement, 90% de la forêt de Khimki est encore intacte. Sans la route, le trafic, les supermarchés et les stations essence qui vont avec, la forêt peut être sauvée. Si la route est construite, ce territoire va être divisé et vendu en petit morceaux.
Quelle pourraient être les conséquences de cette plainte sur les investissements internationaux en Russie?
Les acteurs du business international sauront qu’ils doivent prendre en compte la société civile et les mouvements de militants de proximité. Ils voient que de simples citoyens peuvent non seulement manifester près de leur maison mais aussi saisir des Cours étrangères et combattre les compagnies sur leur propre terrain.
Le gouvernement prévoit-il de signer d’autres partenariats public-privé de cette envergure?
Oui, par exemple pour la construction du futur périphérique circulaire autour de Moscou, qui va détruire également plusieurs zones de forêt. Ce genre de partenariat semble être très utile pour les oligarques russes, les officiels ainsi que les grandes compagnies internationales car ils permettent de spéculer sur le bien commun et de transférer l’argent public dans des zones offshore.
L’écologie est-elle devenue un thème politique majeur en Russie aujourd’hui?
Actuellement, les écologistes sont les principaux ennemis des autorités. Car la règle est devenue de consommer aussi vite que possible nos ressources naturelles. La Russie souffre de cela: notre économie est principalement basée sur les ressources naturelles, or un travail intelligent de gestion doit être mis en place, sans corruption ni autoritarisme. Pour moi, la question écologique est plus importante que le débat entre la droite et la gauche, ou de savoir qui pourrait prendre la place de Poutine. Prenons par exemple l’incident avec l’Arctic Sunrise (trente militants de Greenpeace ont tenté d’aborder une plateforme pétrolière russe en septembre, ils ont été arrêtés pour ‘piraterie en groupe organisé’ et risquent plusieurs années de prison, ndlr). C’est bien sûr une affaire écologique mais aussi éminemment politique. Des citoyens de plusieurs pays développés (sic) sont actuellement en détention pour rien. Pour un simple «non» pacifique à la destruction de l’Arctique, ils font l’expérience du système répressif russe, sans accès à une nourriture digne de ce nom, enfermés dans des cellules glaciales. Pourquoi aucun premier ministre ou président ne dit quelque chose contre cette détention? Est-ce que ce n’est pas parce que tous ont besoin de ce pétrole que Gazprom veut extraire en Arctique?
Pourquoi vous-êtes vous personnellement impliquée dans les manifestations anti-Poutine de l’hiver dernier?
Poutine est la personnification de cette «économie de la ressource». Il n’est pas notre seul ennemi mais l’un d’entre eux. Par ailleurs, il est personnellement responsable de plusieurs crimes. Un exemple, et ce n’est pas le pire, il a signé, seul – ce qui est illégal –, le décret qui a transformé la terre de la forêt de Khimki en un territoire dédié au transport et à l’industrie, créant ainsi la base légale pour la création de cette route.
Y a-t-il une place aujourd’hui pour des leaders écologiques dans la sphère politique russe et comment pensez-vous poursuivre votre engagement?
C’est désormais le timing parfait pour les leaders politiques verts. Le gouvernement fait tout ce qu’il peut pour montrer qu’il se fiche des questions environnementales. Il magouille au cœur des lieux les plus «sacrés», en Arctique, atour du lac Baïkal... Les gens peuvent avoir de gros problèmes au quotidien, mais ils reconnaissent bien volontiers que l’écologie est vitale. Aujourd’hui le plus important pour moi est de soutenir les mouvements militants qui émergent un peu partout en Russie. Je crois que c’est la clé pour changer notre société. Propos recueillis par MGC
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