Que se passerait-il si la France basculait dans l’austérité dure ? Les parlementaires hexagonaux sont appelés à se prononcer aujourd’hui sur le Pacte budgétaire européen, un traité qui limite le déficit structurel à 0,5 % du PIB de chaque pays signataire. A entendre nos voisins européens, portugais, espagnols ou grecs, les députés français devraient réfléchir à deux fois avant de lever la main aujourd’hui dans l’hémicycle.
Rassemblés hier à Paris à l’appel d’Attac et de la fondation Copernic, syndicalistes,féministes, politiques ou encore chercheurs européens ont pointé les contradictions d’une politique d’austérité forcenée. « Nous avons adopté depuis longtemps en Espagne la règle d’or, rappelle Sylviane Dahan, résidant à Barcelone et représentante de la Tournée des féministes européennes contre l’austérité. Et pourtant, nous nous enfonçons chaque jour un peu plus dans la récession... » Jorge Aranda Arana, syndicaliste espagnol et membre du mouvement des indignés, dresse lui le portrait d’un système de santé exsangue, soumis depuis le début de la crise à des coupes sévères. « On asphyxie financièrement le système public, tout en arrosant les multinationales privées de santé. On licencie ou on ne remplace pas les départs en retraite, les salaires ont baissé parfois de 30 %, ce qui ampute le pouvoir d’achat des professionnels de santé. Enfin, on multiplie les services payants alors même que 22 % de la population espagnole vit désormais sous le seuil de pauvreté. » Des images et des discours qui rappelle la Grèce, sous le coup de mesures peut-être plus difficiles encore et qui voit son taux de chômage grimper. « Au moment même où un nombre croissant de Grecs ont basculé dans la précarité, les filets sociaux se sont drastiquement réduits, confiait récemment un travailleur humanitaire. Les salaires ont parfois été divisés par deux, les retraites et les allocations chômage sévèrement amoindries. Essayez donc d’imaginer ceci en France ! » Pour Raquel Freire, jeune militante issue du Mouvement du 12 mars au Portugal, un « génocide social » est également à l’œuvre dans son pays. Effroi devant certaines mesures annoncées : un rapport réalisé par le Conseil national d’éthique pour les sciences de la vie portugais, fortement décrié depuis, a ainsi affirmé que l’Etat devait limiter l’accès aux médicaments les plus chers pour le traitement de maladies telles que les cancers, le sida ou encore la polyarthrite rhumatoïde, selon Courrier International. Le déremboursement de plusieurs médicaments est déjà en place, touchant les personnes âgées en premier lieu.
Économiquement inefficace, démocratiquement dangereux
C’est donc austérité et rigueur généralisée, au nom de la sacro-sainte résorption de la dette publique. « Prioriser le redressement des dépenses publiques est une mauvaise idée, assure Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste français et président du Parti de gauche européen. Au contraire, la dette publique, avec ce genre de politiques, explose. Ce n’est pas une crise de la dette que nous vivons, mais bien celle d’un certain type de croissance capitaliste. » Changer de logiciel semble urgent, d’autant plus qu’il menacerait également les fondements démocratiques de nos sociétés. « La démocratie portugaise est une jeune précaire, comme moi, ironise Raquel Freire, mais elle avait des ambitions. Aujourd’hui, au nom d’une politique d’austérité exigée par notre dette, les prises de positions sont purement idéologiques et rappellent des temps antérieurs à la Révolution des œillets : on criminalise la contestation, on pénalise les plus faibles et on casse notre pacte social. » La confiscation des décisions politiques, au profit d’équipes dirigeantes non élues, est un autre de ces symptômes d’une crise des institutions, à l’image de l’Italie, dirigée depuis novembre 2011 par un exécutif formé de technocrates menée par Mario Monti et adoubé par la Commission européenne.
Nécessaire mobilisation européenne
Par ricochets, la résistance s’organise partout en Europe. Une partie de la gauche et des verts français ont montré dans la rue le 30 septembre dernier leur opposition au pacte budgétaire européen, et devraient faire de même au Parlement et au Sénat. Au Portugal, le mois dernier, des manifestations monstres ont fait reculer le gouvernement, pourtant décidé à aller plus loin dans la rigueur. Le voisin espagnol n’est pas en reste et une « grève générale ibérique », rassemblant les deux pays, pourrait avoir lieu dans les semaines à venir. La Grèce est également sous haute tension. Le pays accueille aujourd’hui Angela Merkel, venue soutenir le gouvernement conservateur en place, qui compte sur un nouvel arsenal de mesures d’austérité pour ramener le pays vers la croissance. Mais tous les détracteurs des politiques de rigueur à travers l’UE s’entendent désormais sur la nécessité d’une coordination des luttes à l’échelle du continent. « Il y a deux énigmes principales dans cette crise, qu’il nous faut résoudre pour avancer dans la création d’un nouveau modèle européen, conclue Felipe Van Keirsbilck, syndicaliste belge. Pourquoi ces politiques d’austérité, dont tout le monde sait qu’elles sont absurdes, sont-elles encore appliquées ? Et pourquoi, malgré le mécontentement grandissant, aucun gouvernement portant une vraie politique de rupture, n’est encore arrivé au pouvoir en Europe depuis le début de la crise ? » Porte-parole du projet Altersummit, Felipe Van Keirsbilck appelle à la mise en place d’une coordination unitaire dans chaque pays pour proposer, d’ici mai 2013 à Athènes, une autre perspective économique et sociale pour la zone Europe.
Mathilde Goanec
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