Lancé il y a 30 ans au Bangladesh, le microcrédit est devenu rapidement l'outil de développement à la mode, réussissant le tour de force d'être plébiscité à la fois par les décideurs politiques, le monde de la finance et les ONG. Mais ses objectifs initiaux sont loin d'être atteints.
Les rêves se nourrissent avant tout de héros, et le domaine de la microfinance n'échappe pas à la règle : nombreux sont les témoignages de ces « entrepreneurs aux pieds nus », devenus rois du textile en Asie, cadors du marché agricole en Afrique ou patrons prospères en Amérique latine... La vague du microcrédit n'est d'ailleurs pas réservé aux pays en voie de développement puisqu'en France aussi, les médias célèbrent ces « petits prêts, belles histoires, vraies réussites » (1). Pourtant, la critique enfle dans le domaine de la microfinance, ses différents penseurs se livrant même parfois à une véritable guerre de tranchés. L'une des plus médiatiques d'entre eux, Esther Duflo, a remis le couvert en publiant conjointement avec Abhijit Barnajee l'ouvrage « Repenser la pauvreté », sorti en France en début d'année, après avoir fait un carton à l'étranger et notamment en Inde. Cette jeune française, professeur d'économie aux Etats-Unis, cofondatrice du laboratoire Abdul LatifJameel poverty action lab (J-Pal), a connu son heure de gloire dans l'Hexagone en devenant titulaire, en 2009, de la chaire Savoirs contre pauvreté, au Collège de France. Dès les premières lignes, les deux auteurs détricotent vaillamment le mythe : « Le champs des politiques contre la pauvreté est jonché des débris de solutions miracle qui se sont révélées moins miraculeuses qu'on ne l'espérait. » Et vlan.
La face cachée de l'utopie
«Le microcrédit a été présenté partout comme une vraie baguette magique, confirme Hélène Giacobino, directrice de la branche française du labo J-Pal. Tout le monde était d'ailleurs tellement convaincu des qualités du microcrédit que personne au début ne voulait d'une vraie évaluation sur la question.Or les résultats sont mitigés. » Selon le livre « Repenser la pauvreté », qui compile 70 études, si le microcrédit a effectivement permis à certains pauvres de se lancer dans une activité productive, celle-ci est le plus souvent modeste et peu rentable. Commerce, artisanat, agriculture, les microentreprises permettent à peine à leurs propriétaires de subsister, dans des marchés souvent saturés. Sur le plan de l'émancipation des femmes, l'un des objectifs affichés de la microfinance, c'est même un échec assez cuisant. « Elles devaient prendre l'argent donc le pouvoir, poursuit Hélène Giacobino. Mais les femmes ayant accès au microcrédit ont le plus souvent développé une activité d'appoint, qu'elles cumulent avec la gestion du foyer. Ça ne change rien sur le plan de leur indépendance. » Enfin, tout le monde n'est pas entrepreneur dans l'âme et de nombreuses activités meurent dans l’œuf, faute de savoir-faire, d'éducation financière ou encore d'investissement suffisant. Christophe Villa est directeur de la chaire microfinance au sein de l'école de management Audienca, à Nantes. Il tient à souligner sa préoccupation d'une finance responsable et durable avant de se lancer dans l'arène. « Tout le monde n'a pas vocation à obtenir un crédit, et tout projet n'a pas nécessairement à être financé. Bien sûr, avec une politique plus restrictive d'attribution, il y aura de la casse, mais l'âge d'or de la croissance exponentielle des institutions de microcrédit va devoir cesser. »
Une nouvelle usure?
« Bien sûr, la crise est passée par là, rendant audibles ce genre d'analyses... Mais les intellectuels comme Esther Duflo disent ce que nous pointons depuis dix ans, s'emporte Jean-Michel Servet, ancien professeur à l'Institut universitaire d'études du développement à Genève et fondateur du programme de recherche sur la microfinance à l'Institut français de Pondichéry. Dans un texte publié en 2006 sur le portail Microfinances.org, le chercheur mettait déjà en garde contre « l'euphorie » ambiante: « Pour éradiquer la pauvreté, il faudrait une volonté bien plus forte que de petits prêts et une microfinance qui échappe aux préceptes néolibéraux. » Adepte de l'outil en situation de post-crise, comme en Bosnie, en Ouganda ou au Pérou, le chercheur s'insurge contre l'expansion incontrôlé de certaines institutions de microfinance (IMF), et de leurs méthodes de recouvrement agressives. La critique la plus violente vise la situation dans la province de l'Andhra Pradesh, capitale du microcrédit en Inde, où les grandes IMF semblent avoir dérivé dans une logique purement commerciale, qui n'a plus grand chose à voir avec les idéaux de lutte contre la pauvreté. La justice indienne est d'ailleurs en train d'examiner les liens potentiels entre les suicides massifs de paysans depuis le début des années 2000 et ces organismes de microcrédit. Face au scandale, le gouvernement de l'Andhra Pradesh a pris en 2010 une série de mesures contraignantes, incitant même les clients à ne plus rembourser les emprunts contractés. Esther Duflo s'est publiquement insurgée contre cette intervention, qualifiant de dangereux pour le secteur l'appel au déremboursement et rappelant que les prêts informels sont encore légion dans la région. Au grand dam de Jean-Michel Servet : « SKS par exemple, l'une des plus importantes institutions de microcrédit indienne, a connu une croissance extrêmement forte ces dernières années, ce qui a conduit à des pratiques complètement immorales des agents de crédit, qui menacent purement et simplement leurs clients. Prendre des positions anti-étatique dans ce contexte me semble tout à fait irresponsable. » Emmanuelle Javoy, directrice de Planet ratings, une agence de notation spécialisée en microfinance, nuance ce point de vue : « En Inde, deux mécanismes se sont superposés : en plus des IMF, les banques traditionnelles sont poussées par l'Etat à dédier une partie de leurs activités aux plus pauvres, via des groupes autogérés, ce qui a généré de très gros volumes de crédits. Ces banques sont aussi en partie responsables de la crise. Ce qui est sûr, c'est que cela a permis de révéler les problèmes dont souffre le secteur tout entier. »
Des crédits à la consommation à grande échelle
Les appétits des organismes de microcrédit, dont certains sont même désormais cotés en bourse (voir encadré), ont rejoint la tentation de certains emprunteurs d'utiliser le microcrédit comme un simple prêt à la consommation. « Cela correspond en réalité aux besoins de la population, que l'on a tendance à oublier dans cette affaire... L'argent prêté, qui devait servir au capital productif, est en fait utilisé pour acheter un frigidaire, payer des soins de santé ou l'école des enfants. Est-ce que c'est fondamentalement un dévoiement? s'interroge Jean-Michel Servet. Chez Oxus, la branche microcrédit de l'ONG Acted (2), présente dans les pays en conflit ou post-conflit, on tente de limiter à 10 % le volume de crédits attribués pour de la consommation. Son directeur, Mickaël Knaute, s'en méfie : « C'est un vrai débat au sein de l'organisation, et on a même failli l'interdire, car cela peut confiner au surendettement. On ne donne pas non plus de prêt à ceux qui en ont déjà contracté ailleurs, dans la même logique. Surtout, nous faisons beaucoup d'éducation financière : qu'est-ce qu'un budget, un capital, des intérêts etc... ».
Les perspectives
Les crises successives, qui ont eu lieu en Inde, au Nicaragua, au Maroc ou encore en Bosnie, ont eu au moins le mérite d'ouvrir de nouvelles perspectives dans le domaine de la microfinance, loin de se résumer au simple microcrédit providentiel. La micro-épargne a ainsi le vent en poupe, moins risquée que le crédit et déjà largement pratiquée de manière informelle par les populations pauvres, ainsi que la micro-assurance, essentielle dans des pays dépourvus de systèmes de protection sociale. Christophe Villa insiste quant à lui sur le micro-capital, qui permet à des investisseurs de financer des projets embryonnaires, et de développer ainsi des activités plus conséquentes. La réflexion est aussi sérieusement engagée sur les modalités de prêt au sein des IMF. De plus en plus d'institutions reviennent sur l'idée initiale du prêt garanti par un groupe solidaire, souvent trop contraignant pour les populations les plus vulnérables, et espacent les remboursements de la semaine au mois, ce qui libère (un peu) la pression sur les emprunteurs. Enfin, nombreux sont ceux qui militent pour le développement d'une finance adaptée au format coopérative, ce qui a l'avantage de ne pas faire peser sur l'individu seul le poids de la difficile aventure entreprenariale.
Un outil dans l'océan du développement
Malgré ses vertus, le social business a donc ses limites. Comment inventer et conserver le caractère humanitaire du microcrédit dans un monde de plus en plus libéral? « La carte de crédit n'est ni de droite, ni de gauche, il en va du même de la microfinance, c'est un simple outil, avance Jean-Michel Servet. Je suis moi-aussi pour une microfinance rentable, mais ce dont les gens ont besoin par dessus tout, c'est de protection sociale et d'un Etat qui investit dans la santé ou dans l'éducation, pas de néolibéraux qui font du microcrédit pour payer moins d'impôts! ». Esther Duflo et Abhijit Barnajee, qui ont pourtant longtemps documenté l’inefficacité de l'Etat dans les politiques de développement (trop corrompu, trop loin du peuple, trop occupé à sa propre survie etc...), rappellent eux-aussi désormais l'importance de vraies politiques fiscales et des subventions publiques à la création d'entreprise, même s'ils notent que « ce n'est pas une idée à la mode chez les économistes »... Davantage que la microentreprise, c'est bien l'emploi salarié qui reste le plus à même de favoriser la stabilité financière. Qui, cercle vertueux, entraîne à son tour une meilleure éducation, véritable clé du développement. Plus efficace que l'usure informelle, qui confine souvent à l'exploitation pure et simple, le microcrédit a entamé sa mue et il était temps.
Mathilde Goanec
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Un dossier publié sur le site Les échos Entrepreneur, le 9 février 2012.
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L'Agence d'aide à la coopération technique et au développement (Acted) travaille principalement en Afrique, en Asie centrale et en Asie.
Les chiffres du microcrédit
-Près de 200 millions de personnes bénéficient de microcrédits (surtout des femmes), distribués par plus de 3000 IMF dans le monde.
-La croissance du secteur est importante, autour de 30 % par an, et on considère que le portefeuille mondial actif est déjà de 70 milliards de dollars (25 à 30 milliards pour l'épargne).
-Le taux d'intérêt moyen est de 35 %, ce qui est souvent plus que dans le secteur bancaire traditionnel mais que les IMF justifient par des frais de fonctionnement élevés au vu de la vulnérabilité de la clientèle.
-10 % du financement des IMF provient de l'aide internationale, le reste est assuré par le marché local et des investissements privés.
Côtées en bourse
Les pauvres sont pauvres, mais nombreux : c'est toute l'équation économique qui sous-tend les institutions de microcrédit, devenues de vrais organismes commerciaux. Et le potentiel est gigantesque puisque l'on estime à 10 % seulement le marché couvert. Des entreprises rentables à tel point que certaines IMF sont rentrées en bourse, comme SKS en Inde, Compartamos au Mexique ou Equity Bank au Kenya, sans que cela ait une incidence directe sur leurs taux d'intérêts (très élevés chez Compartamos, plutôt dans la moyenne pour SKS). Toutes les sociétés de microcrédit introduites en bourse rappellent d'ailleurs qu'une partie des recettes ont été reversées aux populations par le biais de fondations ou de programmes internes de développement. « C'est complètement contraire à l'esprit», affirme pourtant Mickaël Knaute, qui insiste sur la dimension nécessairement responsable du secteur : « Chez nous, le principe est simple : nous sommes une ONG, qui fait de la microfinance, via sa branche Oxus. L'inverse peut vite s'avérer dangereux». Le débat se pose avec d'autant plus d’acuité que la plupart des IMF se sont constituées grâce aux bailleurs de fonds internationaux, dans le cadre de politiques internationales de développement. Pas pour gonfler les poches des actionnaires.
Il me parait evident qu'une education financiere, meme minimale, dispensee a tous serait profitable a tout un chacun afin de gerer un budget equilibre tant que faire se peut !
Rédigé par : options binaires call | mardi 04 déc 2012 à 10h44