Bonne nouvelle, les syndicats européens accueillent chaque année, en moyenne, davantage de femmes dans leurs rangs. Mais ces dernières sont encore trop rares dans les postes à responsabilités, à l'image de nos sociétés contemporaines.
L'effet est d'abord mécanique : de plus en plus de femmes se retrouvent aujourd'hui sur le marché du travail, ce qui leur donnent l'opportunité, comme leurs homologues masculins, de s'investir dans les structures syndicales. Les politiques de rééquilibrage en faveur de la gente féminine, menées un peu partout en Europe, finissent également par porter leurs fruits. A l'heure actuelle, les femmes représentent 43,9 % des membres des organisations affiliées à la Confédération européenne des syndicats (CES), soit proportionnellement au nombre total de membres (qui s'est un peu contracté ces deux dernières années à cause de la crise), une augmentation significative depuis 2008.
Bien sûr, il y a les bons et les mauvais élèves. La Turquie, en queue de peloton, plafonne toujours autour de 11 %, confirmant l'impression qu'il reste fort à faire sur ce terrain, tout comme en Espagne, en Suisse et même en Autriche. A l'Est, le diagnostic est plus mitigé, et résonne avec l'histoire contemporaine des nouveaux entrants dans l'Union européenne : « Sous le régime communiste, il y avait pas mal de femmes dans les syndicats, rappelle Bernadette Ségol, secrétaire générale à la CES. Culturellement, cette question n'est pas un véritable problème là-bas. Le souci réside plutôt dans la désaffection générale au sein des syndicats ». La France non plus n'a pas à rougir de sa place dans ce classement, avec des taux de féminisation qui oscillent, selon les syndicats, entre 35 et plus de 47%. « A la CFDT, nous sommes à 47,7 % de femmes au sein de la confédération, 10 points de plus qu'à la CGT, et ce chiffre progresse chaque année depuis quatre ans, affirme Laurence Laigo, secrétaire nationale. En tête, et ce depuis longtemps, les pays baltes et nordiques, « le fin du fin, des pays où les femmes sont partout », s'enthousiasme Bernadette Ségol. L'exemple le plus frappant étant le Norvège, un pays où les femmes sont plus nombreuses que les hommes dans toutes les grosses structures syndicales (voir encadré).
Le plafond de verre syndical
Bonne nouvelle, le syndicalisme se conjugue donc désormais au féminin. Reste l'épineuse question des exécutifs, encore majoritairement composés d'hommes. En 2012, sur 59 syndicats en Europe ayant répondu à l'enquête de la CES, seules quatre confédérations nationales ont indiqué avoir une femme au poste de Président, et douze femmes seulement occupent le poste de Secrétaire général. Heureusement que la CES elle-même donne l'exemple, avec une femme pour leader et une parité effective dans l'équipe dirigeante. « Bien sûr, la vision de la femme est différente aujourd'hui, on a fait de gros progrès depuis 20 ans, assure Bernadette Ségol. Pour autant, un blocage subsiste. » Même son de cloche en France, pour Laurence Laigo. « Sur le plan de la représentation, on a un vrai souci. L'arrivée de plus en plus massive des femmes comme membres de la CFDT auraient logiquement dû irriguer les sphères dirigeantes. Or ce n'est pas le cas. Le milieu exécutif fait un peu filtre ». Les barrières culturelles ont la peau dure, chez les hommes... comme chez les femmes : « Il y a beaucoup de femmes qui, arrivées à un certain niveau de responsabilité, n'en veulent pas plus, constate Bernadette Ségol. Souvent pour des raisons familiales ou d'emploi du temps. Or il faut que les femmes soient plus présentes tout au long du processus, au moment de la prise de décision, et pendant la préparation de la décision, où se jouent la majorité des enjeux. » Le diagnostic est identique à la CFDT. « Il faut travailler sur les stéréotypes chez les hommes comme chez les femmes! assure Laurence Laigo. C'est un sujet qu'il faut porter ensemble, car les hommes non plus ne sont pas toujours à l'aise dans des ambiances uniquement viriles, sans aucune présence féminine. » Faut-il aussi prendre exemple sur la Norvège, pour faire bouger les lignes, et instaurer des quotas drastiques ? Sensibiliser davantage les femmes sur ces questions, faire de la formation, redéfinir les statuts? La tâche est au centre des politiques de genre à l'échelon européen, où l'on ne parle plus seulement d'attirer les femmes vers le syndicalisme, mais bien de leur permettre d'accéder au cœur du pouvoir. Sur le terrain, même combat : « Il faut, partout, une mixité syndicale proportionnée à la population de l'entreprise, précise Laurence Laigo. La présence des femmes dans la négociation est importante pour que cette question du genre alimente les débats, quelque soit le type de revendication que l'on porte. »
Des pratiques qui évoluent
Y aurait-il un « syndicalisme féminin »? Les femmes ont-elles changé la donne en ce qui concerne la protection des travailleurs? La question est délicate, car elle suppose une différence constitutive entre les deux sexes. « Je ne crois pas que des choses soient spécifiques dans notre manière de travailler sur le terrain, estime Karin Enodd, de LO-Norvège, la plus grosse confédération du pays. Mais de mon point de vue, les femmes ont sûrement contribué à prendre en compte, non seulement la dimension physique du travail , mais aussi la dimension psychologique. Elles ne sont pas meilleures sur ces questions de facto mais sans doute plus conscientes des enjeux de par la place qui leur est réservée dans le monde du travail. » Partout en Europe, les femmes ont ainsi contribué à mettre à l'agenda des revendications qui les touchent encore en premier chef : la précarisation grandissante des travailleurs, le travail partiel forcé, la conciliation vie privée et vie professionnelle, les inégalités salariales... Leurs actions sur le terrain reflètent aussi une ségrégation à l’œuvre à travers le continent, les femmes travaillant davantage dans les secteurs de l'éducation, la santé, les services publics que dans la métallurgie... « Car si on ne se choque plus à la vue d'une femme policier, cela fait encore tout drôle de voir une femme pilote d'avion », admet Bernadette Ségol. « Lorsque la CFDT pousse au centre de son action les questions de violence, de harcèlement, de gestion du quotidien, et qu'elle défend un syndicalisme de proximité, je crois que cela contribue à l'adhésion des femmes, et à leur implication dans le projet collectif, conclue Laurence Laigo. Maintenant, aidons-les à se projeter au sommet. »
Mathilde Goanec
L'image d'illustration provient de l'internationale des services publics.
La Norvège, paradis pour l'égalité homme-femme?
Plus de 50 % des effectifs, au sein de la première confédération des syndicats norvégiens (LO-Norvège), voire 75 % pour le syndicat Unio... A l'instar de ses voisins suédois, estoniens, islandais ou lettons, la Norvège est un modèle pour l'intégration des femmes dans les structures syndicales. Une réussite qui tient avant tout à la présence massive des femmes sur le marché du travail, un processus entamé depuis plusieurs années grâce à une politique très volontariste : répartition égalitaire des congés parentaux à la naissance des enfants, crèches en nombre et facilement accessibles, égalité salariale réelle... Les femmes constituent également des bastions entiers de la sphère politique et économique, depuis les années 80 et le changement des mentalités est donc largement entamé à tous les échelons de la société. A tel point que les revendications pour le « droit des hommes » commencent à fleurir.... « Ce travail a été porté à la fois par les politiques -surtout de gauche- et les syndicats depuis les années 70, rappelle Karin Enodd, du département des relations international de LO-Norvège. Le fait d'avoir eu une femme comme Premier ministre a également infusé l'idée que les femmes étaient capables de gérer le pouvoir, dans nos organisations. Aujourd'hui, au sein du comité exécutif, il y a trois hommes et trois femmes, la parité parfaite. Et nous avons déjà eu une femme comme Présidente de la confédération, de 2001 à 2007. » Si les syndicats norvégiens recrutent tant chez les femmes, c'est qu'ils ont aussi largement intégré certaines de leurs revendications, comme le paiement par les employeurs de la garde d'enfants ou la prolongation du congés paternité ou maternité. Surtout, la politique de quotas a porté ses fruits, jusque dans les conseils d'administrations des entreprises, où doivent siéger au minimum 40 % de femmes depuis 2003.
Attention, rien n'est acquis, tempère Karin Enodd : « Ce n'est pas le paradis. Contrairement à ce que l'on croit , il y a toujours une forme de ségrégation dans notre pays. Les femmes sont par exemple beaucoup nombreuses à travailler dans le public que dans le privé. Elle sont aussi plus présentes dans le domaine de la santé, du soin des enfants, des services à la personne, dans les restaurants, les hôtels, les magasins... Le combat doit continuer. » Les syndicats norvégiens savent aussi que les tentations pour revenir sur le système social, clé de voûte de l'égalité homme-femme, sont toujours vivaces, surtout en cette période de crise financière. Devenue « naturelle », selon Karin Enodd, l'égalité entre les sexes mène aussi à d'autres luttes : « Sur la question des jardins d'enfants, par exemple, nous devons être vigilants : nous n'en manquons pas en Norvège, mais parallèlement, nous notons que l'immigration est de plus en plus forte dans notre pays, surtout dans les villes. Il est important de veiller à ce que les familles de migrants, urbaines, aient accès elles-aussi à ces services ». Sous peine de développer une égalité à deux vitesses.
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