La crise alimentaire de 2007 et 2008, ainsi que la famine récente dans la Corne de l'Afrique, ont relancé la question cruciale du contrôle du marché des matières premières agricoles. Car quand le maïs, le blé ou le soja flambent, les premiers touchés sont les pays en voie de développement, soumis plus que l'Europe ou les États-Unis à la volatilité des prix. Qui domine ce marché lucratif ? Quels sont ses
travers ? Direction la bourse de Chicago, première place financière agricole du monde.
Cela n'en finit pas de monter... Cette année encore, les récoltes des principaux produits agricoles vendus sur le marché mondial sont plus impressionnantes que jamais : près de 2 000 millions de tonnes de céréales, 450 millions de tonnes de riz, 258 millions de tonnes de soja. Si le pétrole et le gaz s'échangent d'abord à Wall Street, les produits phares de l'alimentation se monnayent à Chicago. Plus vieille bourse du monde, la Chicago mercantile exchange holdings est devenue au cours du XXe siècle la première bourse des matières premières agricoles de la planète, devançant de loin Londres ou Tokyo. C'est ici que se fixent les cours, véritables boussoles du marché. Les prix comme les volumes sont à la hausse, un phénomène quasi continu depuis une décennie, ce qui n'est pas sans conséquence sur les pays vulnérables économiquement (lire en pages suivantes notre reportage au Mexique). Une situation due autant à la hausse mondiale de la demande qu'à la financiarisation accrue du secteur depuis trente ans.
Un marché de papier
Une grande partie des acteurs sur le marché des matières premières agricoles ne verra jamais le début de la queue d'un épi. Car comme pour n'importe quelle autre marchandise, la majorité des échanges agricoles sont déconnectés du marché physique. « Pour éviter de vendre les récoltes à un mauvais prix et donc de tout perdre, on a inventé les contrats à terme, explique Johanne Babu, chargée de mission au Centre d’analyse stratégique. Le principe est assez simple : on diffère la livraison d'une récolte à quelques jours, un mois, des années, ce qui permet d'anticiper les baisses et les hausses de prix. On n'échange donc pas un produit physique, mais dérivé. » Actuellement, on estime que seul 1 % des volumes échangés sur le marché sont réels. Tout le reste, « c'est du papier » selon l'analyste... Le principe n'est pas neuf, c'est celui des coopératives par exemple, qui achètent par anticipation la récolte des agriculteurs, pour leur permettre de faire des investissements, d'acheter du matériel, des semences ou des engrais. Mais en bourse, les proportions sont telles que le marché réel semble de plus en plus déconnecté de celui de papier. Même Nicolas Sarkozy s'en est ému, le 14 juin 2011 à Bruxelles, lors d'une conférence de la Commission européenne sur les matières premières : « Il s'échange chaque année à la bourse de Chicago, en produits dérivés, 46 fois la production mondiale annuelle de blé et 24 fois la production annuelle de mais. Mais qu'est ce qui peut justifier cela ? » Un jeu d'achat et de revente assurément rentable, mené par des acteurs qui, à 85 %, sont « purement financiers et dont les activités n'ont pas de liens réels avec la marchandise échangée », selon un rapport du ministère français des Finances, publié l'an dernier.
La spéculation est « nécessaire pour couvrir les risques », rappelle Johanne Buba. Elle devient problématique lorsqu'un tout petit nombre d'opérateurs détient une trop grosse part du gâteau. « Ils vendent, ils revendent, tout en contrôlant les informations, c'est de la manipulation ». « C'est de la pure finance, qui ne permet qu'aux gros de jouer !, s'insurge de son côté Jeanne-Maureen Jorand, du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD)-Terre Solidaire, à la pointe sur ces questions. Le marché est contrôlé par les géants de l'agroabusiness comme Cargrill, Vilgrain ou Monsanto, ou encore par des sociétés qui n'ont rien à voir avec le monde agricole, comme les assurances ou les banques... Le marché des matières premières, considéré il y a quelques années comme peu attractif, est devenu aujourd'hui une vraie opportunité de placement financier. » Une situation préoccupante, qui s'est aggravée avec l'apparition des fonds indexés. Derrière ce terme barbare, un panier de titres, qui mêle allègrement pétrole, blé et gaz par exemple, ce qui corrèle encore plus les différents marchés mondiaux entre eux. A chaque hausse du prix de l'énergie à New-York, c'est donc le blé qui trinque à Chicago.
Sans compter que tout ceci ne se joue pas uniquement dans l'enceinte surveillée de la bourse. La majorité des contrats dans le domaine agricole se concluent hors cadre, de « gré à gré » selon la terminologie officielle. Des contrats privés entre acheteurs et vendeurs, qui échappent quasiment à tout contrôle. « A partir des années 90, les autorités des marchés ont eu de moins en moins de pouvoir et notamment sur celui des matières premières agricoles, rappelle Jeanne-Maureen Jorand. Les marchés de gré à gré ont repris de la vigueur alors qu'ils n'obéissent à aucune autre règle que celle du contrat privé, et n'ont aucune obligation de transparence, ni de publication. » C'est un problème majeur dans le domaine agricole, car ces contrats de gré à gré massifs empêchent d'avoir une vue d'ensemble sur les stocks de produits disponibles, ce qui complique encore la prospective des États et compliquent les politiques de sécurité alimentaire. Dans ce domaine informel aussi, les géants de l'agrobusiness dominent les échanges : « Leur pouvoir est tel, qu’en augmentant ou en diminuant la demande de ses propres filiales de transformation ou en modifiant l’état de ses stocks, une seule de ces multinationales génère des impacts considérables sur le marché, décrypte Olivier Chantry, l'un des responsables du Comité pour l'annulation de la dette du Tiers Monde, dans une analyse publiée en août dernier. Les multinationales de l’alimentation ont une marge de manœuvre déterminante sur la variation des prix. Elles sont de loin les mieux placées pour maximiser leurs bénéfices, aussi bien sur les marchés financiers que sur les marchés de l’économie réelle. Ceci explique que l’extrême amplitude de la volatilité des prix de l’alimentation ces cinq dernières années ait été synonyme de bénéfices records pour ces entreprises. »
Prise de conscience
La crise alimentaire de 2007-2008, qui s'est traduite par des émeutes de la faim aux quatre coins de la planète, a fait quelque peu vaciller cette organisation, même si bien d'autres facteurs que la spéculation ont joué le rôle de détonateur (sécheresse, hausse conséquente de la demande, crise économique globale). Plus récemment, la situation de famine dans la Corne de l'Afrique a également pointé de manière dramatique les effets pervers de la dérégulation et de la volatilité des prix. « Depuis les années 90, on demande aux pays du sud, en échange de ristourne sur leur dette, d'ouvrir leurs frontières et de libéraliser leur économie, assène Jeanne-Maureen Jorand. Cela a eu un double effet : nous avons envahi leurs marchés de nos produits moins chers car subventionnés, et les avons dans le même temps rendu davantage vulnérables aux variations des prix mondiaux. » La PAC permet aux pays européens, et notamment à la France, de passer pour l'instant à travers les gouttes, même si les hausses de prix ont pu se ressentir sur le paquet de pâtes ou le prix du pain. Pour Johanne Babu, si cette volatilité des prix a effectivement assez peu d'impact dans des pays où l'agriculture est très protégée, « les effets sont immédiats dans des zones où l'économie est très libéralisée, et dans des pays où le PIB dépend pour une large part de l'agriculture ». Conscients malgré tout de la menace, les pays du nord ont lancé en 2010 l'hypothèse d'une remise sur pied des instruments de régulation et émis l'idée de rebâtir des stocks de céréales, outil coûteux mais efficace pour limiter la volatilité. C'est d'ailleurs ce que réussissent assez bien à faire les pays d'Asie qui, en constituant des stocks et en protégeant leurs marchés, ont permis au riz d'échapper pour le moment à l'affolement des cours mondiaux. Toutes ces questions ont été mises pour la première fois à l'ordre du jour du dernier sommet du G20 à Cannes et elles reviendront sur la table cette année au Mexique. Et partout, des voix s'élèvent pour affirmer que les matières premières agricoles sont loin d'être des produits boursiers comme les autres.
Mathilde Goanec
Si on peut faire certes du ble avec du ble, le trade d'options n'en est pas moins un moyen sur et rentable de realiser des profits d'une facon exceptionnelle et cela egalement et meme surtout pour le "petit" speculateur.
Rédigé par : options binaires put | dimanche 24 juin 2012 à 17h00