Star des cantines scolaires, ce cuisinier hors-norme croit dur comme fer à l’égalité républicaine devant l’assiette.
Il débarque dans les cuisines, le sourire jusqu'aux oreilles, et la verve du gars du Sud. « Tu veux faire une bouillabaisse? On va te trouver une pêcherie à Marseille pour le poisson frais! » Vêtu de sa blouse blanche aux boutons bordeaux, Dominique Valadier est aujourd'hui conseiller pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur des chefs de cantines scolaires. Pendant plus de 30 ans, il a officié aux manettes des lycées de Salon-de-Provence et Saint-Rémi-de-Provence, où il a mis en œuvre son credo : faire rentrer la gastronomie dans les selfs des établissements scolaires, sans pour autant faire grimper l'addition des parents d’élèves ou de la Collectivité. Christophe Garcia, du lycée des Calanques, à qui Valadier rend visite ce jour-là, confesse, un brin admiratif : « On voudrait tous faire comme lui. »
En 1967, le jeune Dominique Valadier sort de l'école hôtelière et enchaîne les bonnes maisons. Il sert « même la reine d'Angleterre »... Mais pour garder sa jeune épouse, le cuisinier va abandonner la piste aux étoiles. Il se tourne vers le scolaire, à l'image de nombreux professionnels qui délaissent la restauration commerciale et ses rythmes infernaux pour privilégier leur vie de famille. Ses envies de cuisine sont intactes. Première expérience dans un établissement, la chute est rude. Poisson pané, petit pois, carottes. « Je me suis dit, plus jamais ça! ». Dominique Valadier passe un concours pour être chef, et se lance, au culot. Lorsque les enfants arrivent dans le réfectoire, le chef Valadier leur tend une fourchette, qu'ils peuvent tremper dans les plats, pour goûter avant de choisir. Dans sa cuisine, on découpe des bœufs et des agneaux entiers, on prépare des pommes dauphine maison pour 700 personnes, et sur les présentoirs en inox trônent pieds de porcs aux morilles, moussaka, abats ou feuilleté de Saint-Jacques... Et le budget reste identique, « car il suffit d'étaler les dépenses sur une année, d'acheter frais, et de bannir le tout-prêt de l'agroalimentaire ». Son second au lycée de l'Empéri à Salon-de-Provence, Florence Lagache, se rappelle son exigence : « Il a toujours foncé, quitte à se heurter à sa hiérarchie. Imaginez-vous, on découpait même les épaules de porc, ça coûte moins cher et c'est meilleur que des lardons industriels!». La jeune femme sait ce qu'elle doit à Dominique Valadier : « J'avais seulement un BEP, il m'a poussé et m'a appris la cuisine. Aujourd'hui, je suis chef dans un lycée à Miramas, et j'ai ouvert mon entreprise de restauration à domicile. »
Valadier croit dur comme fer au lien affectif dans la cuisine, et exècre les cuisines centrales. « Ce n'est pas une question de taille! Il y a des gens qui font des choses merveilleuses pour 700, 800 couverts. Mais le problème de la cuisine centrale, c'est que le rapport du chef aux élèves est forcément sporadique. » Dominique Valadier, volontiers provocateur, ne s'en cache pas : sa pratique relève d'un acte militant. « Ma position est bien sûr politique, je crois à l'égalité devant l'école, et devant l'assiette. Je sais bien qu'on ne peut pas avoir une cuisine pour 70 élèves et que parfois, on doit regrouper les effectifs. Mais franchement, bosser dans une cuisine centrale, autant aller en tôle... » Christophe Garcia, son homologue du lycée des Calanques de Marseille, est d'accord, lui qui a tenté l'expérience et en « a beaucoup souffert ». La proviseure de l'établissement marseillais, Claire Guesdon, le devine aussi : « Ça monte vite en pression à la cantine. Si ce qu'on sert est mauvais, les élèves ne respectent plus les agents, jettent, gaspillent, explosent tout ce qu'ils trouvent... C'est comme en famille : si le repas est bon, on ne sort pas le fusil de chasse à la fin. »
M.G
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