La restauration privée a les crocs
A l'école, au boulot, à l'hôpital, ou dans un restoroute quelconque, nous avons tous mis le doigt un jour ou l'autre dans les casseroles de la cuisine collective privée... Des entreprises épargnées par la crise, qui se sont taillées une place de choix à travers le globe et continuent d'investir dans de nouveaux marchés. Sans forcément faire la Une des journaux financiers.
Elles sont trois à dominer le marché français de la restauration collective. En tête de peloton trône Sodexo, société française fondée en 1966 par Pierre Bellon. Le jeune homme, issu d'une famille œuvrant dans le ravitaillement maritime à Marseille, ouvre un restaurant d'entreprise avec 100 000 francs en poche, soit 15 000 euros d’aujourd’hui. Près de cinquante ans plus tard, l'entreprise Sodexo est un véritable empire, employant 35 000 personnes dans l’hexagone et près de 400 000 à l'étranger. C’est le deuxième employeur français dans le monde. Son chiffre d'affaires, en hausse constante ces dernières années, se chiffre à 16 047 milliards d'euros et le groupe est coté en bourse. Outre les travailleurs et écoliers français, Sodexo nourrit les marines américains, les étudiants italiens et anglais ou encore les ouvriers brésiliens...
Face à lui, le groupe Elior, issu de la Générale de restauration, créée par le concurrent de toujours, Jacques Borel. Un personnage épique, qui a fait ses armes dans l'informatique à Saigon, avant d'ouvrir un restaurant sur les Champs-Elysées. En 1961, il lance une véritable bombe dans le paysage culinaire et culturel français, en mettant sur pied la chaîne de restauration Wimpy. C'est le McDo’ bleu-blanc-rouge de l'époque, porté par un Borel déterminé à renouveler la restauration française sur l'exemple américain... S'il échoue avec ses Wimpy, l'industriel réussit à implanter le concept des restoroutes et devient un acteur majeur de la restauration d'entreprise. Son personnage influencera largement le personnage de l'affreux Jacques Tricatel dans le film L'Aile ou la cuisse, qui met en scène une vision apocalyptique de la restauration industrielle et tricotera la mythologie de la malbouffe. Mais son mauvais caractère notoire ainsi que son obsession pour une cuisine rationalisée à l'extrême le perdront. Il sera finalement exclu de son propre groupe, la Générale de restauration passant sous le contrôle du groupe Accor, puis d'Elior, sous la marque Avenance.
Seule non autochtone du trio, la société britannique Compass group. L'entreprise s'est implantée en France à la suite du rachat d'Eurest, une société créée en 1970 par Nestlé et la Compagnie des wagons-lits. En 1998, le groupe continue son expansion en mettant la main sur un autre fleuron hexagonal, la Société hôtelière de restauration, une entreprise marseillaise qui puise son origine dans le fret. Compass group est, depuis, l'un des leaders de la restauration dans le monde.
L'essor du restaurant d'entreprise
Avant de se lancer dans le marché du scolaire, ces sociétés ont largement investi les restaurants d'entreprise, un secteur qu'ils dominent toujours aujourd'hui. Leur création coïncide avec l'arrivée de la journée continue, la transformation du tissu industriel, et la création des banlieues, ces ensembles de logements déconnectés du lieu de travail. Autrefois confiée au comité d'entreprise, les patrons des années 70 veulent couper au plus vite le lien entre la cantine, lieu de rassemblement et de contestation, et la direction. « Si ces transformations vont souvent bénéficier à la restauration commerciale, comme en Angleterre par exemple avec le ticket-restaurant, la France va quant à elle développer massivement la restauration collective, rappelle Jean-Pierre Poulain, sociologue de l'alimentation à Toulouse. Le repas de midi reste culturellement chez nous une compétence sociale de l'entreprise, et il est pensé assis, avec une entrée, un plat, un fromage et un dessert. » Les précurseurs de l'après-guerre se retrouvent en position de force, et développent des savoir-faire dans le domaine de la restauration à grande échelle : « Aux États-Unis, on a depuis longtemps introduit l'automatisation des chaînes de production alimentaires, souligne Jean-Pierre Poulain. Les Français vont s'inspirer de ces cadences élevées, mais vont imaginer d'autres méthodes de cuisson. Ils vont être capables de pocher, poêler, braiser, frire à grande échelle. » Prêts à conquérir le monde.
Le scolaire, juteux marché
Le marché du scolaire apparaît alors comme une évidence. Fort de leurs centrales d'achat prêtes à l'emploi et de leur expertise dans la cuisine collective, les sociétés investissent largement le primaire à partir des années 70, appuyées par le milieu politique, de gauche comme de droite. « Les dirigeants allaient le matin rue de Lille, siège du RPR, et l'après-midi à Solférino, voir les gens du PS , commente Philippe Durrèche, fin connaisseur du milieu. Ils ont aussi infiltré les services vétérinaires et accompagné le mouvement qui a complexifié la cuisine, et abouti à la création des cuisines centrales. » Au cœur de ces manœuvres de lobbying, Philippe Durrèche pointe également le GECO, une association qui regroupe des représentants de l'industrie agroalimentaire, des produits d'hygiène, et les équipementiers. « Tous avaient intérêt à la mise en place de nouvelles normes, pour vendre leurs produits. » De son côté, Jean-Pierre Poulain peine à croire à cette théorie du complot. « Les gars qui ont lancé la restauration collective en France débarquaient, à leurs débuts, des cageots de poulets dans le port de Marseille... Ils vont bien sûr tirer parti de ces nouveaux cadres réglementaires mais je ne suis pas sûr qu'il y avait de véritable stratégie derrière. Aujourd'hui, ces entreprises ont une taille industrielle mais à l'origine, c'était de l'artisanat. »
Le secondaire en ligne de mire
Malgré les turbulences liées aux grandes crises alimentaires et la remise en cause de certaines pratiques, le marché scolaire reste porteur. « Nos relais de croissance se trouvent aujourd’hui dans les collèges et les lycées publics », affirme Philippe Pont-Nourat, directeur général de Sodexo Education. Gérés en EPLE (établissement publique local d'enseignement), et financés par les collectives territoriales, les collèges et lycées ne sont que 10 % à avoir délégué au privé. Notamment grâce à une pression forte des gestionnaires d'établissement, personnel recruté et payé par l’État. Exception notable dans le paysage français, le passage quasi total de la gestion des cantines à Sodexo et Elior, voulu par le Conseil général des Hauts-de-Seine et porté par Isabelle Balkany, a d'ailleurs fait rager la profession toute entière (interrogé à ce sujet, le conseil général du 92 n'a pas souhaité réagir).
L'expansion
S'infiltrer partout où l’État se désengage, telle est la stratégie des groupes leaders de la restauration collective. Outre le scolaire, le privé est présent dans les hôpitaux, les administrations, les prisons... Un objectif détaillé sans fard par le patron historique dans le secteur, Pierre Bellon, qui se confiait en novembre dernier à la revue professionnelle L’Hôtellerie Restauration : « L’évolution sera lente, mais à partir du moment où nous offrons un meilleur service à un meilleur prix, elle est inévitable... Nous évaluons à 156 milliards d’euros le marché mondial de la restauration collective. 31 % de ce marché est sous-traité aux sociétés de restauration. Le marché disponible est donc d’environ 107 milliards. Les segments de clientèle les plus porteurs sont les établissements de santé et l’éducation. »
L’ambition des Borel, Bellon et consorts a le mérite d’être claire… Mais elle fait fi des contestations qui naissent ici ou là parmi les détracteurs du « tout privatisé », telles que l’exprime Jean-Yves Rocca, secrétaire général du syndicat Administration et Intendance : « Pour nous, le fonctionnement en autogestion est un marqueur fort, qui marque notre attachement au service public. Nous ne sommes pas contre la mutualisation, notamment des achats, nais nous nous battons, parfois violemment, à chaque velléité de privatisation. »
Mathilde Goanec
La restauration privée a les crocs
A l'école, au boulot, à l'hôpital, ou dans un restoroute quelconque, nous avons tous mis le doigt un jour ou l'autre dans les casseroles de la cuisine collective privée... Des entreprises épargnées par la crise, qui se sont taillées une place de choix à travers le globe et continuent d'investir dans de nouveaux marchés. Sans forcément faire la Une des journaux financiers.
Elles sont trois à dominer le marché français de la restauration collective. En tête de peloton trône Sodexo, société française fondée en 1966 par Pierre Bellon. Le jeune homme, issu d'une famille œuvrant dans le ravitaillement maritime à Marseille, ouvre un restaurant d'entreprise avec 100 000 francs en poche, soit 15 000 euros d’aujourd’hui. Près de cinquante ans plus tard, l'entreprise Sodexo est un véritable empire, employant 35 000 personnes dans l’hexagone et près de 400 000 à l'étranger. C’est le deuxième employeur français dans le monde. Son chiffre d'affaires, en hausse constante ces dernières années, se chiffre à 16 047 milliards d'euros et le groupe est coté en bourse. Outre les travailleurs et écoliers français, Sodexo nourrit les marines américains, les étudiants italiens et anglais ou encore les ouvriers brésiliens...
Face à lui, le groupe Elior, issu de la Générale de restauration, créée par le concurrent de toujours, Jacques Borel. Un personnage épique, qui a fait ses armes dans l'informatique à Saigon, avant d'ouvrir un restaurant sur les Champs-Elysées. En 1961, il lance une véritable bombe dans le paysage culinaire et culturel français, en mettant sur pied la chaîne de restauration Wimpy. C'est le McDo’ bleu-blanc-rouge de l'époque, porté par un Borel déterminé à renouveler la restauration française sur l'exemple américain... S'il échoue avec ses Wimpy, l'industriel réussit à implanter le concept des restoroutes et devient un acteur majeur de la restauration d'entreprise. Son personnage influencera largement le personnage de l'affreux Jacques Tricatel dans le film L'Aile ou la cuisse, qui met en scène une vision apocalyptique de la restauration industrielle et tricotera la mythologie de la malbouffe. Mais son mauvais caractère notoire ainsi que son obsession pour une cuisine rationalisée à l'extrême le perdront. Il sera finalement exclu de son propre groupe, la Générale de restauration passant sous le contrôle du groupe Accor, puis d'Elior, sous la marque Avenance.
Seule non autochtone du trio, la société britannique Compass group. L'entreprise s'est implantée en France à la suite du rachat d'Eurest, une société créée en 1970 par Nestlé et la Compagnie des wagons-lits. En 1998, le groupe continue son expansion en mettant la main sur un autre fleuron hexagonal, la Société hôtelière de restauration, une entreprise marseillaise qui puise son origine dans le fret. Compass group est, depuis, l'un des leaders de la restauration dans le monde.
L'essor du restaurant d'entreprise
Avant de se lancer dans le marché du scolaire, ces sociétés ont largement investi les restaurants d'entreprise, un secteur qu'ils dominent toujours aujourd'hui. Leur création coïncide avec l'arrivée de la journée continue, la transformation du tissu industriel, et la création des banlieues, ces ensembles de logements déconnectés du lieu de travail. Autrefois confiée au comité d'entreprise, les patrons des années 70 veulent couper au plus vite le lien entre la cantine, lieu de rassemblement et de contestation, et la direction. « Si ces transformations vont souvent bénéficier à la restauration commerciale, comme en Angleterre par exemple avec le ticket-restaurant, la France va quant à elle développer massivement la restauration collective, rappelle Jean-Pierre Poulain, sociologue de l'alimentation à Toulouse. Le repas de midi reste culturellement chez nous une compétence sociale de l'entreprise, et il est pensé assis, avec une entrée, un plat, un fromage et un dessert. » Les précurseurs de l'après-guerre se retrouvent en position de force, et développent des savoir-faire dans le domaine de la restauration à grande échelle : « Aux États-Unis, on a depuis longtemps introduit l'automatisation des chaînes de production alimentaires, souligne Jean-Pierre Poulain. Les Français vont s'inspirer de ces cadences élevées, mais vont imaginer d'autres méthodes de cuisson. Ils vont être capables de pocher, poêler, braiser, frire à grande échelle. » Prêts à conquérir le monde.
Le scolaire, juteux marché
Le marché du scolaire apparaît alors comme une évidence. Fort de leurs centrales d'achat prêtes à l'emploi et de leur expertise dans la cuisine collective, les sociétés investissent largement le primaire à partir des années 70, appuyées par le milieu politique, de gauche comme de droite. « Les dirigeants allaient le matin rue de Lille, siège du RPR, et l'après-midi à Solférino, voir les gens du PS , commente Philippe Durrèche, fin connaisseur du milieu. Ils ont aussi infiltré les services vétérinaires et accompagné le mouvement qui a complexifié la cuisine, et abouti à la création des cuisines centrales. » Au cœur de ces manœuvres de lobbying, Philippe Durrèche pointe également le GECO, une association qui regroupe des représentants de l'industrie agroalimentaire, des produits d'hygiène, et les équipementiers. « Tous avaient intérêt à la mise en place de nouvelles normes, pour vendre leurs produits. » De son côté, Jean-Pierre Poulain peine à croire à cette théorie du complot. « Les gars qui ont lancé la restauration collective en France débarquaient, à leurs débuts, des cageots de poulets dans le port de Marseille... Ils vont bien sûr tirer parti de ces nouveaux cadres réglementaires mais je ne suis pas sûr qu'il y avait de véritable stratégie derrière. Aujourd'hui, ces entreprises ont une taille industrielle mais à l'origine, c'était de l'artisanat. »
Le secondaire en ligne de mire
Malgré les turbulences liées aux grandes crises alimentaires et la remise en cause de certaines pratiques, le marché scolaire reste porteur. « Nos relais de croissance se trouvent aujourd’hui dans les collèges et les lycées publics », affirme Philippe Pont-Nourat, directeur général de Sodexo Education. Gérés en EPLE (établissement publique local d'enseignement), et financés par les collectives territoriales, les collèges et lycées ne sont que 10 % à avoir délégué au privé. Notamment grâce à une pression forte des gestionnaires d'établissement, personnel recruté et payé par l’État. Exception notable dans le paysage français, le passage quasi total de la gestion des cantines à Sodexo et Elior, voulu par le Conseil général des Hauts-de-Seine et porté par Isabelle Balkany, a d'ailleurs fait rager la profession toute entière (interrogé à ce sujet, le conseil général du 92 n'a pas souhaité réagir).
L'expansion
S'infiltrer partout où l’État se désengage, telle est la stratégie des groupes leaders de la restauration collective. Outre le scolaire, le privé est présent dans les hôpitaux, les administrations, les prisons... Un objectif détaillé sans fard par le patron historique dans le secteur, Pierre Bellon, qui se confiait en novembre dernier à la revue professionnelle L’Hôtellerie Restauration : « L’évolution sera lente, mais à partir du moment où nous offrons un meilleur service à un meilleur prix, elle est inévitable... Nous évaluons à 156 milliards d’euros le marché mondial de la restauration collective. 31 % de ce marché est sous-traité aux sociétés de restauration. Le marché disponible est donc d’environ 107 milliards. Les segments de clientèle les plus porteurs sont les établissements de santé et l’éducation. »
L’ambition des Borel, Bellon et consorts a le mérite d’être claire… Mais elle fait fi des contestations qui naissent ici ou là parmi les détracteurs du « tout privatisé », telles que l’exprime Jean-Yves Rocca, secrétaire général du syndicat Administration et Intendance : « Pour nous, le fonctionnement en autogestion est un marqueur fort, qui marque notre attachement au service public. Nous ne sommes pas contre la mutualisation, notamment des achats, nais nous nous battons, parfois violemment, à chaque velléité de privatisation. »
Mathilde Goanec
La restauration privée a les crocs
A l'école, au boulot, à l'hôpital, ou dans un restoroute quelconque, nous avons tous mis le doigt un jour ou l'autre dans les casseroles de la cuisine collective privée... Des entreprises épargnées par la crise, qui se sont taillées une place de choix à travers le globe et continuent d'investir dans de nouveaux marchés. Sans forcément faire la Une des journaux financiers.
Elles sont trois à dominer le marché français de la restauration collective. En tête de peloton trône Sodexo, société française fondée en 1966 par Pierre Bellon. Le jeune homme, issu d'une famille œuvrant dans le ravitaillement maritime à Marseille, ouvre un restaurant d'entreprise avec 100 000 francs en poche, soit 15 000 euros d’aujourd’hui. Près de cinquante ans plus tard, l'entreprise Sodexo est un véritable empire, employant 35 000 personnes dans l’hexagone et près de 400 000 à l'étranger. C’est le deuxième employeur français dans le monde. Son chiffre d'affaires, en hausse constante ces dernières années, se chiffre à 16 047 milliards d'euros et le groupe est coté en bourse. Outre les travailleurs et écoliers français, Sodexo nourrit les marines américains, les étudiants italiens et anglais ou encore les ouvriers brésiliens...
Face à lui, le groupe Elior, issu de la Générale de restauration, créée par le concurrent de toujours, Jacques Borel. Un personnage épique, qui a fait ses armes dans l'informatique à Saigon, avant d'ouvrir un restaurant sur les Champs-Elysées. En 1961, il lance une véritable bombe dans le paysage culinaire et culturel français, en mettant sur pied la chaîne de restauration Wimpy. C'est le McDo’ bleu-blanc-rouge de l'époque, porté par un Borel déterminé à renouveler la restauration française sur l'exemple américain... S'il échoue avec ses Wimpy, l'industriel réussit à implanter le concept des restoroutes et devient un acteur majeur de la restauration d'entreprise. Son personnage influencera largement le personnage de l'affreux Jacques Tricatel dans le film L'Aile ou la cuisse, qui met en scène une vision apocalyptique de la restauration industrielle et tricotera la mythologie de la malbouffe. Mais son mauvais caractère notoire ainsi que son obsession pour une cuisine rationalisée à l'extrême le perdront. Il sera finalement exclu de son propre groupe, la Générale de restauration passant sous le contrôle du groupe Accor, puis d'Elior, sous la marque Avenance.
Seule non autochtone du trio, la société britannique Compass group. L'entreprise s'est implantée en France à la suite du rachat d'Eurest, une société créée en 1970 par Nestlé et la Compagnie des wagons-lits. En 1998, le groupe continue son expansion en mettant la main sur un autre fleuron hexagonal, la Société hôtelière de restauration, une entreprise marseillaise qui puise son origine dans le fret. Compass group est, depuis, l'un des leaders de la restauration dans le monde.
L'essor du restaurant d'entreprise
Avant de se lancer dans le marché du scolaire, ces sociétés ont largement investi les restaurants d'entreprise, un secteur qu'ils dominent toujours aujourd'hui. Leur création coïncide avec l'arrivée de la journée continue, la transformation du tissu industriel, et la création des banlieues, ces ensembles de logements déconnectés du lieu de travail. Autrefois confiée au comité d'entreprise, les patrons des années 70 veulent couper au plus vite le lien entre la cantine, lieu de rassemblement et de contestation, et la direction. « Si ces transformations vont souvent bénéficier à la restauration commerciale, comme en Angleterre par exemple avec le ticket-restaurant, la France va quant à elle développer massivement la restauration collective, rappelle Jean-Pierre Poulain, sociologue de l'alimentation à Toulouse. Le repas de midi reste culturellement chez nous une compétence sociale de l'entreprise, et il est pensé assis, avec une entrée, un plat, un fromage et un dessert. » Les précurseurs de l'après-guerre se retrouvent en position de force, et développent des savoir-faire dans le domaine de la restauration à grande échelle : « Aux États-Unis, on a depuis longtemps introduit l'automatisation des chaînes de production alimentaires, souligne Jean-Pierre Poulain. Les Français vont s'inspirer de ces cadences élevées, mais vont imaginer d'autres méthodes de cuisson. Ils vont être capables de pocher, poêler, braiser, frire à grande échelle. » Prêts à conquérir le monde.
Le scolaire, juteux marché
Le marché du scolaire apparaît alors comme une évidence. Fort de leurs centrales d'achat prêtes à l'emploi et de leur expertise dans la cuisine collective, les sociétés investissent largement le primaire à partir des années 70, appuyées par le milieu politique, de gauche comme de droite. « Les dirigeants allaient le matin rue de Lille, siège du RPR, et l'après-midi à Solférino, voir les gens du PS , commente Philippe Durrèche, fin connaisseur du milieu. Ils ont aussi infiltré les services vétérinaires et accompagné le mouvement qui a complexifié la cuisine, et abouti à la création des cuisines centrales. » Au cœur de ces manœuvres de lobbying, Philippe Durrèche pointe également le GECO, une association qui regroupe des représentants de l'industrie agroalimentaire, des produits d'hygiène, et les équipementiers. « Tous avaient intérêt à la mise en place de nouvelles normes, pour vendre leurs produits. » De son côté, Jean-Pierre Poulain peine à croire à cette théorie du complot. « Les gars qui ont lancé la restauration collective en France débarquaient, à leurs débuts, des cageots de poulets dans le port de Marseille... Ils vont bien sûr tirer parti de ces nouveaux cadres réglementaires mais je ne suis pas sûr qu'il y avait de véritable stratégie derrière. Aujourd'hui, ces entreprises ont une taille industrielle mais à l'origine, c'était de l'artisanat. »
Le secondaire en ligne de mire
Malgré les turbulences liées aux grandes crises alimentaires et la remise en cause de certaines pratiques, le marché scolaire reste porteur. « Nos relais de croissance se trouvent aujourd’hui dans les collèges et les lycées publics », affirme Philippe Pont-Nourat, directeur général de Sodexo Education. Gérés en EPLE (établissement publique local d'enseignement), et financés par les collectives territoriales, les collèges et lycées ne sont que 10 % à avoir délégué au privé. Notamment grâce à une pression forte des gestionnaires d'établissement, personnel recruté et payé par l’État. Exception notable dans le paysage français, le passage quasi total de la gestion des cantines à Sodexo et Elior, voulu par le Conseil général des Hauts-de-Seine et porté par Isabelle Balkany, a d'ailleurs fait rager la profession toute entière (interrogé à ce sujet, le conseil général du 92 n'a pas souhaité réagir).
L'expansion
S'infiltrer partout où l’État se désengage, telle est la stratégie des groupes leaders de la restauration collective. Outre le scolaire, le privé est présent dans les hôpitaux, les administrations, les prisons... Un objectif détaillé sans fard par le patron historique dans le secteur, Pierre Bellon, qui se confiait en novembre dernier à la revue professionnelle L’Hôtellerie Restauration : « L’évolution sera lente, mais à partir du moment où nous offrons un meilleur service à un meilleur prix, elle est inévitable... Nous évaluons à 156 milliards d’euros le marché mondial de la restauration collective. 31 % de ce marché est sous-traité aux sociétés de restauration. Le marché disponible est donc d’environ 107 milliards. Les segments de clientèle les plus porteurs sont les établissements de santé et l’éducation. »
L’ambition des Borel, Bellon et consorts a le mérite d’être claire… Mais elle fait fi des contestations qui naissent ici ou là parmi les détracteurs du « tout privatisé », telles que l’exprime Jean-Yves Rocca, secrétaire général du syndicat Administration et Intendance : « Pour nous, le fonctionnement en autogestion est un marqueur fort, qui marque notre attachement au service public. Nous ne sommes pas contre la mutualisation, notamment des achats, nais nous nous battons, parfois violemment, à chaque velléité de privatisation. »
Mathilde Goanec
L'individu ne pouvant se passer de nourriture, crise ecnomique ou pas, le domaine de la restauration privee a de beaux jours devant lui.
Rédigé par : trader options binaires | mardi 04 déc 2012 à 10h24