POLEMIQUE. Le doublage imposé fâche la communauté russe et les professionnels
Nationalisme et cinéma ne font pas bon ménage en Ukraine. Depuis plus d’un mois, c’est la pagaille dans les salles obscures du pays. En cause, un décret constitutionnel qui oblige désormais les cinémas à diffuser uniquement des films sous-titrés ou doublés en ukrainien. Dans un pays bilingue, où 80 % des films étaient jusqu’à présent proposés en russe, cette décision attise les rancoeurs contre un gouvernement accusé de nationalisme forcené.
À l’Est et au Sud du pays, des régions très russophones, la fréquentation des salles de cinéma a déjà chuté d’un tiers et l’hémorragie n’est pas prête de s’arrêter. « Normalement, plus de 200 films sont distribués chaque année en Ukraine, et la majorité des copies viennent de Moscou, précise Alexander Spiliuk, critique de film et gérant de plusieurs salles de cinéma. Ce nombre va être divisé par trois. Car si certaines grosses compagnies auront les moyens de doubler en ukrainien, ce ne sera pas le cas de la majorité des distributeurs ». La compagnie de distribution Cinergia, basée à Kiev, prévoit déjà de réduire la voilure pour 2008. « Il faut compter environ 25000 dollars pour doubler un film en ukrainien, explique Maria Lyahova, l’une des responsables. Nous devons déjà payer pour obtenir une copie puis pour la campagne de publicité et maintenant pour le doublage… Nous ne pourrons plus diffuser les petits films européens qui ne rapportent pas beaucoup d’argent ». Sergueï Pershko, journaliste et critique, est encore plus virulent : « On sait très bien qui va gagner dans cette affaire. C’est Hollywood, Hollywood, et encore Hollywood ! En chassant le russe, on s’en prend en fait à la culture en général».
Côté technique, ça coince aussi, dans un pays encore largement sous équipé : il faut compter 5 à 6 semaines pour doubler un film en ukrainien et trois jours pour sous-titrer une copie, sachant qu’un film sort rarement à moins de trente copies… Des délais à faire frémir distributeurs et propriétaires de salles. Même si elle espère que la loi permettra à la langue ukrainienne d’être « d’être plus entendue, et donc plus parlée », Ioulia Danilova, propriétaire du cinéma Ukraïna à Kiev, s’inquiète elle aussi pour l’avenir : « C’est l’aubaine pour les vendeurs de DVD pirates. Pendant que nos distributeurs font doubler « I’m a legend », avec Will Smith, des copies sont déjà disponibles partout dans la rue, en russe bien sûr… » Demain mercredi, les portes du cinéma Ukraïna devraient rester fermées : les professionnels du septième art ont déclaré ce 27 février jour de grève nationale, une première dans l’Histoire de la jeune Ukraine.
Mathilde Goanec, Le Temps, 26 février 2008
Ce même jour, une chronique Longitude sur le sujet, toujours en Suisse, sur la Radio Suisse Romande... En écoute sur le site de la RSR.
Le mercredi 27 février, un article est paru sur le site web du Soir.
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