Si le gaz a occupé une bonne partie de la rencontre entre Vladimir Poutine et Victor Ioutchenko, le 12 février dernier, ce n'est pas le seul sujet de discorde entre les deux pays. Le président russe a également fait savoir à son homologue ukrainien qu'il n'appréciait guère les oeillades répétées de l'Ukraine vers l'Ouest et notamment sa volontée affichée d'intégrer l'alliance militaire de l'OTAN. Un projet qui divise aussi la classe politique ukrainienne.
Interrogé sur une éventuelle adhésion de l'Ukraine à l'OTAN lors d'une conférence de presse commune avec son homogue ukrainien, Vladimir Poutine a joué les équilibristes en admettant que la question relevait d'une « affaire intérieure à l'Ukraine ». Mais ce faisant, il n'a pas manqué de rappeler à son voisin qu'il allait maintenant devoir choisir son camp: « J'attire votre attention sur les conséquences qui découlent de cette adhésion. Cela me fait peur de penser que la Russie pourrait y répondre en pointant ses systèmes nucléaires balistiques sur l'Ukraine », a déclaré Vladimir Poutine, relançant le fantasme d'une Russie toujours menacée par l'Ouest.
Dans l'entourage du président ukrainien, on a tout fait pour dédramatiser ces déclarations belliqueuses. Dans le rôle du pompier, Alexandre Tchaly, l'un des portes-paroles de Victor Ioutchenko, a estimé que « le fait que le président russe exprime clairement sa position montre que nous menons un dialogue ouvert et sincère ». Le président lui-même a assuré qu'il ne permettrait pas l'implantation de bases militaires de l'Otan et qu'il était prêt à légiférer dans ce sens. Une disposition qui figure déjà dans la Constitution ukrainienne, laquelle interdit toute présence militaire étrangère dans le pays à l'exception de la base russe de Sébastopol, autre pomme de discorde entre les deux pays.
Face à la réthorique russe, les Etats-Unis n'ont pas tardé à réagir, par la voix de Condoleezza Rice, qui a jugé « inacceptables » les déclarations de Poutine. « Il devrait savoir que la Russie ne peut plus intimider de cette manière les anciennes républiques soviétiques », a ajouté la secrétaire d'Etat américaine. Du côté européen, on est bien plus prudent. Le secrétaire d'Etat aux affaires européennes français, en déplacement en Ukraine la semaine dernière, a laissé entendre qu'il trouvait « précipité la demande d'adhésion de l'Ukraine à l'Otan car cela risque de déstabiliser le pays ».
En effet, les déclarations hostiles de Vladimir Poutine, et à contrario le soutien fervent des Etats-Unis au processus d'adhésion, ne peuvent que donner du grain à moudre à l'opposition ukrainienne pro-russe, qui refuse d'entendre parler d'alliance avec l'OTAN. Depuis le début du mois de janvier, le Parti des Régions, emmené par Victor Ianoukovitch, a fait de cette question son cheval de bataille numéro un : il bloque la Rada, le Parlement ukrainien, depuis un mois et organise des manifestations à Kiev et dans les grandes villes du pays contre l'adhésion. Moribond depuis les élections législatives de l'automne, Victor Ianoukovitch reconquiert ainsi une partie de son électorat.
Rejoint par les communistes, le leader du Parti des Régions estime qu'aucun processus d'adhésion ne doit être lancé sans la tenue d'un référendum auprès de la population. Et même au sein de la Coalition Notre Ukraine et du Byout, le parti de Ioula Timochenko, des voix discordantes se font entendre, contre une demande d'adhésion que beaucoup trouvent prématurée. Pour tenter de calmer la grogne, le Président ukrainien et le Premier ministre ont affirmé qu'ils organiseront bien un référendum, après avoir « informé correctement la population sur les activités de l'OTAN ». Le travail de lobbying s'annonce acharné car selon les sondages, une consultation populaire tenue aujourd'hui serait clairement hostile à l'Organisation atlantiste.
Mathilde Goanec (à Kiev).
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