Malgré la fin de la belle aventure Alimentation Générale, je publie ici quelques articles écrits à cette occasion..
Qui se taille la part du gâteau ?
Jusque dans les années 70, on servait dans les cantoches françaises une cuisine à la bonne franquette. C’était avant que des entrepreneurs avisés flairent les bénéfices que pouvait leur apporter la « restauration collective », devenue nouveau marché industriel.
Des hommes tout de blanc vêtus, charlotte sur la tête, visage masqué, bottes aux pieds, dans des salles au dépouillement clinique. Nous ne sommes pas dans un hôpital, ni dans un laboratoire ultra-protégé… mais dans les cuisines du géant français de la restauration collective Sodexo, à Dreux dans l’Eure-et-Loir. Une unité de production dernier cri d’où devraient sortir 45 000 repas par jour, destinés aux cantines de la région. Devant la caméra du quotidien local L’Echo républicain, les hommes en blouse s’activent au-dessus de seaux : ils préparent une sauce poivrade. Des légumes prédécoupés rejoignent une base de sauce en poudre dans un mixeur, avant d’être mélangés à une eau à moins de 2°C. Pas de fourneaux, dans cette cuisine où l'on ne cuit rien. L'un des représentants de Sodexo Education a beau vanter ce système qui respecte les « savoir-faire », les images laissent une impression étrange.
Pour arriver à une cuisine sans cuisson, du chemin a été parcouru... Jusque dans les années 70, régnaient encore dans les cantines les « tatas », cuisinières souvent sans formation qui concoctaient, au gré des saisons, des petits plats familiaux. La restauration scolaire était alors gérée par le personnel municipal, ou par des associations de bénévoles. C'est dans ce monde artisanal, quasi informel, que débarque Jacques Borel. L'industriel, ancien patron de la Générale de restauration, va révolutionner le secteur, forçant la haine ou l'admiration, selon ses interlocuteurs. Philippe Durrèche, ex-restaurateur devenu consultant auprès des communes, salue son « génie du marketing ». « Il est l'un des premiers à avoir compris que la restauration scolaire n'était pas un monde de Bisounours et qu'on pouvait y faire de l'argent. »
Aujourd'hui, les cantines des écoles maternelles et élémentaires, gérées par les municipalités, sont à 50 % sous-traitées aux principales sociétés de restauration privées, le géant Sodexo en tête, suivi par Elior et Compass group France. Face à eux, les défenseurs du service public. « Quand une mairie délègue au privé, c'est qu'elle estime que ce n'est pas un sujet suffisamment important pour en avoir la maîtrise totale », assène Jean-Jacques Hazan, président de la FCPE, la principale association de parents d'élèves en France. Notre homme connaît son sujet. Il gère 9 200 repas par jour, en tant que directeur de la caisse des écoles du 12e arrondissement de Paris. « Il y a de l'argent qui sort, et qui ne va ni dans les denrées alimentaires, ni dans le personnel, ni dans les investissements, mais dans les bénéfices pour les actionnaires... Moi, employé municipal, je n'ai pas de marges à faire ! » Nombre de maires, effrayés par les normes d'hygiène, la complexité supposée d'un service de restauration, et les codes des marchés publics qui régissent les achats, préfèrent malgré tout déléguer. « Je n'ai pas honte de ce que l'on fait, rétorque Jean-François Prévotat, directeur qualité pour Sogeres, filiale haut de gamme de Sodexo. C'est notre métier, nous savons faire à manger au quotidien, monter des filières, trouver des produits. Et former du personnel en cuisine, ce que ne peut pas vraiment faire une collectivité. » La question de la formation est effectivement centrale : difficile d'attirer des cuisiniers, vu l'image dégradée dont souffrent les cantines.
La cuisine centrale pointée du doigt
Si la cantine a mauvaise presse, c'est aussi la faute au coût du repas, souvent trop peu élevé pour répondre aux exigences qualitatives. Pris en charge par les collectivités et les parents, il tourne autour de 7 à 8 euros, avec en général 2 euros consacrés aux denrées alimentaires. Dans les écoles privées, la cantine est intégralement prise en charge par les parents, et se retrouve presque systématiquement confiée à des sociétés de restauration. La qualité et le goût sont rarement au rendez-vous. Au banc des accusés trône également la cuisine centrale, de plus en plus répandue, que ce soit en gestion directe ou en délégation au privé. « Au-delà d'une certaine taille, on rentre dans des procédures industrielles. Un Ducasse qui fait des barquettes, ça ne marche pas ! », tempête Philippe Durrèche. Le modèle de la cuisine centrale, où l'on prépare des menus entiers, livrés ensuite dans les établissements scolaires et « remis en température » pour être servis dans les selfs, est également remis en cause par Jean-Jacques Hazan. « On a transformé la cuisine de production en cuisine d'assemblage. C'est aussi pour ça que nous peinons à recruter. Quel cuisinier a envie d'ouvrir des boîtes sans arrêt, sans jamais voir un élève ? » Il va pourtant être difficile de revenir en arrière, dans des communes qui ont mis des années à financer leur cuisine centrale. « Nous aussi, nous voudrions pouvoir travailler dans de petites unités, au plus proche des enfants. Mais nous n'avons pas toujours le choix, sauf à refaire de gros investissements », concède Jean-François Prévotat, de Sogeres.
D'autres modèles émergent
Dans sa commune de Lons-le-Saunier, Jacques Pélissard, président de l'association des Maires de France, a tout repris à zéro. L’élu UMP affirme haut et fort que la cantine est un service public. « Le funérarium, je délègue, le balayage et la gestion du camping, aussi. Mais la cantine, non. » Jacques Pelissard, à l'instar d'une politique menée Outre-Rhin depuis des décennies, a monté toute une filière biologique en reprenant le contrôle de la restauration scolaire. « Nous avions un problème concernant la pollution de nos nappes phréatiques, explique le député-maire. Il fallait donc augmenter significativement la place de l'agriculture bio sur notre territoire. La restauration scolaire était un débouché majeur pour ces agriculteurs. Cela nous permet de faire de la qualité, mais pas trop cher, car tout est organisé en circuits courts. » Bœufs élevés et abattus à Lons-le-Saunier, farine bio, légumes cultivés sur place… L'opération fonctionne. Ailleurs aussi on invente, comme à Lorient, où le chef de cantine va chercher son poisson sur le port tout proche, plutôt que de l'acheter surgelé.
Aiguillonné par ces initiatives, contraint par les nouvelles normes et réglementations1, le privé aussi s'attelle à transformer son image. Cap au Sud, à Marseille. Deuxième plus grande ville de France, 50 000 repas à livrer chaque jour dans les écoles. Tenu par le privé depuis 1993, le contrat a été cette année confié entièrement à Sodexo, qui a ainsi mis la main sur l'un des plus gros marchés d'Europe. Au menu ce jour-là : pâté en croûte ou rillettes de thon, poulet rôti (frais) et fondue de poireaux, pomme ou kiwi en dessert... Le responsable Sodexo à Marseille, Patrice Jenta, est formel : « On a fait de gros efforts. Depuis la rentrée, nous cuisinons nous-mêmes nos pâtisseries et nos entrées chaudes dans nos deux cuisines centrales, et nous privilégions le bio à 30 %. » Danièle Casanova, adjointe au maire en charge de l'éducation, est également convaincue que la prestation s'est améliorée : « Sodexo est plus souple et plus professionnel pour gérer les achats et les contraintes sanitaires, structurer des filières bio. Et puis, avec eux, pas un seul jour de grève… Chez les agents municipaux, je n'ai pas assez de doigts pour les compter ! » S'appuyer sur le privé, réputé moins syndiqué, pour assurer la continuité du service public, la méthode peut séduire… ou choquer.
Léger fléchissement
De plus en plus, le contrôle se renforce, comme à Nîmes, première ville à avoir délégué en 1986 son service de restauration et qui, de déboires en déboires, a décidé de suivre à la trace les carnets de commandes, la fabrication et les assiettes fournies par Sodexo, l’incontournable prestataire. Plus généralement, la confiance aveugle dans le privé connaît un léger fléchissement, comme en témoigne cette volte-face de la ville de Nice, dirigé par le très à droite Christian Estrosi. La commune, après vingt-cinq ans de délégation de sa restauration scolaire, vient de repasser en régie publique. « La bataille de l'opinion est plutôt gagnée, conclut Jean-Jacques Hazan, de la FCPE. Il y a moins de fatalisme sur la suprématie de la malbouffe, une réflexion environnementale qui est sérieusement engagée, et un retour net aux produits, aux goûts. Tout ceci concourt, je crois, à une autre politique de restauration. »
Mathilde Goanec
1 Un décret sur les règles nutritionnelles à la cantine a été publié le 30 septembre 2011. Il préconise de limiter le gras, le sucré et la teneur en sel des plats, d'introduire plus de produits de saison et de veiller à la diversité alimentaire.
du gÂteau ?
service public. « Quand une mairie délègue au privé, c’est
qu’elle estime que ce n’est pas un sujet suffisamment important
pour en avoir la maîtrise totale », assène Jean-Jacques
Hazan, président de la FCPE, la principale association de
parents d’élèves en France. Notre homme connaît son
sujet. Il gère 9 200 repas par jour, en tant que directeur de
la caisse des écoles du 12e arrondissement de Paris.
Des hommes tout de blanc vêtus, charlotte sur la tête,
visage masqué, bottes aux pieds, dans des salles au
dépouillement clinique. Nous ne sommes pas dans un
hôpital, ni dans un laboratoire ultra-protégé… mais dans
les cuisines du géant français de la restauration collective
Sodexo, à Dreux, dans l’Eure-et-Loir. Une unité de
production dernier cri d’où devraient sortir 45 000 repas
par jour, destinés aux cantines de la région. Devant la
caméra du quotidien local L’écho républicain, les hommes
en blouse s’activent au-dessus de seaux : ils préparent une
sauce poivrade. Des légumes prédécoupés rejoignent une
base en poudre dans un mixeur, avant d’être mélangés à
une eau à moins de 2 °C. Pas de fourneaux, dans cette
cuisine où l’on ne cuit rien. L’un des représentants de
Sodexo éducation a beau vanter ce système qui respecte
les « savoir-faire », les images laissent une impression
étrange. Pour arriver à une cuisine sans cuisson, du chemin
a été parcouru… Jusque dans les années 70 régnaient
encore dans les cantines les « tatas », cuisinières souvent
sans formation qui concoctaient, au gré des saisons, des
petits plats familiaux. La restauration scolaire était alors
gérée par le personnel municipal, ou par des associations
de bénévoles. C’est dans ce monde artisanal, quasi
informel, que débarque Jacques Borel. L’industriel, ancien
patron de la Générale de restauration, va révolutionner le
secteur, forçant la haine ou l’admiration, selon ses
interlocuteurs. Philippe Durrèche, ex-restaurateur devenu
consultant auprès des communes, salue son « génie du
marketing ». « Il est l’un des premiers à avoir compris que la
restauration scolaire n’était pas un monde de Bisounours et
qu’on pouvait y faire de l’argent. »
Aujourd’hui, les cantines des écoles maternelles et
élémentaires, gérées par les municipalités, sont à 50 %
sous-traitées aux principales sociétés de restauration
privées, le géant Sodexo en tête, suivi par Elior et Compass
group France (voir en page 22). Face à eux, les défenseurs du
DOSSIER
Cantines : la mauvaise éducation
Jusque dans les années 70, on servait dans les cantoches françaises une
cuisine à la bonne franquette. C’était avant que des entrepreneurs avisés
flairent les bénéfices que pouvait leur apporter la « restauration collective »,
devenue nouveau marché industriel.
J'ai vraiment profiter de l'expérience partagée par vous dans le blog. Votre blog est plein de l'expédition sur le voyage et la vie. Je suis impatient à votre blog et de le suivre dans l'avenir à coup sûr .. Merci pour ce partage ..
Rédigé par : lloret | lundi 02 juil 2012 à 06h48