Après des années d’avancées en termes de protection sociale pour les salariés, les syndicats roumains marquent le pas cette année, et font face à de sérieuses remises en question du code du travail par le gouvernement.
Les syndicalistes roumains sont inquiets : « Il faut avouer que nous avons quelques problèmes, nous avons partiellement perdu la lutte quant à la réforme de la législation sur le travail qui a eu lieu cette année. » Bogdan Hossu, président du Syndicat Cartel Alpha, est réaliste. Malgré de grandes manifestations au printemps, les syndicats roumains font de moins en moins le poids face aux représentations d'employeurs et investisseurs étrangers et notamment américains, fortement représentés dans le pays. Plus de flexibilité, face à une crise économique sans précédent, qui grève la croissance à l'ouest comme à l'est et pousse les gouvernements à un politique d'austérité souvent synonyme de casse sociale.
Ce n'est pas la première fois que la Roumanie se trouve en zone de turbulences : pays communiste, satellite de l'URSS et sous la coupe de régime Ceausescu, le pays changea brutalement de régime politique et économique en 1989. La décennie suivante sera très dure pour des centaines de milliers de travailleurs roumains, une période rythmée par les grèves, les manifestations, l'affrontement entre les anciens du régime, les réformateurs et les transfuges... L'ancien syndicat unique et officiel, (Uniunea Generala a Sindicatelor din România) va faire les frais de ce chambardement, et se diviser. « Immédiatement après 1989, deux types de syndicats se sont développés : le premier était une structure du haut vers le bas, basée sur le canevas datant de la période communiste, analyse Aurora Trif, de l'université de Dublin, spécialiste du syndicalisme roumain. Les officiels ont essayé de rassembler les travailleurs à l'intérieur des entreprises, afin de conserver la main sur les avoirs du syndicat communiste. Par exemple, les deux plus larges fédérations au sein de l'industrie chimique se se sont constituées sur ce principe ». Une récupération qui rappelle des phénomènes observées plus à l'est, en Ukraine (voir CFDT magazine numéro XX ) et en Russie. « La deuxième tendance a été de constituer des confédérations du bas vers le haut, à l'image de Solidarnosc en Pologne, avec des syndicats locaux qui se sont créés dans les entreprises, et qui ont ensuite rejoint une fédération, celles-ci s'étant regroupées pour créer des confédérations ». Plus de 20 ans plus tard, l'opposition entre ces deux systèmes tend à s'effacer entre anciens et nouveaux, des alliances se faisant et se défaisant, brouillant encore un peu plus le paysage syndical. Aujourd'hui, sur le plan national, plus de 20 confédérations se disputent le gâteau, mais seules 5 d'entres elles sont réellement représentatives : CNSLR-Frăţia, BNS, CSDR, CNS Cartel Alfa et Meridian. Actuellement, le nombre de personnes syndiqués en Roumanie avoisine les 33 %, ce qui reste honorable par rapport à la moyenne européenne
Menaces actuelles
Malgré ces divisions, les syndicats roumains ont longtemps été parmi les acteurs des chantiers aboutissant à une normalisation relative des relations sociales dans le pays : En 1991, un cadre législatif est voté pour gérer les conflits, le salaire minimum, la taxation et la durée du temps de travail etc... La nouvelle constitution, adoptée la même année, garantit enfin le droit au travail pour tous, et dresse un rempart théorique contre les discriminations faites aux personnes porteuses d'un discours politique ou syndical. Enfin, la liberté d'association, l'obligation de conventions collectives et le droit de grève sont formalisés depuis le début des années 90. En 1993, une institution tripartite réunit le gouvernement, les représentants des travailleurs et des employeurs à la même table. Cette structure, dissoute en 1997, sera remplacé la même année par un Conseil économique et social, dont les pouvoirs seront petit à petit élargis. Mais 2011 semble sonner le glas d'une partie de ces avancées : « Le gouvernement roumain est en train de changer le code du travail et la loi sur le dialogue social avec le soutien du FMI et de l’UE, alertait en février la Confédération européenne des syndicats sur son site internet. Les changements devraient encore réduire la protection des travailleurs en Roumanie. En pratique, cela signifie une reconstruction complète des piliers mêmes des régimes de relations industrielles en Roumanie. » Quelques mois plus tard, Bogdan Hossu détaille l’étendue des pertes : « Ils ont éliminé le contrat politique interprofessionnel. Il nous reste seulement des conventions collectives, branches par branches, mais plus de règles au niveau national. Le salaire minimum aussi a été revu à la baisse. » La représentation syndicale a également pris des coups : « Désormais, seul un syndicat qui a la majorité absolu dans l’entreprise aura le droit de participer aux négociations, précise Bogdan Hossu. De plus, pour se réunir en syndicat, il faut désormais au minimum 15 travailleurs de la même entreprise. Cela va clairement nous empecher de pénétrer dans les PME, qui représentent pourtant 1/3 des entreprises en Roumanie. Enfin, la protection du militant syndical a elle aussi été completement éliminée. Dans la pratique, rien que pour Cartel Alpha, plus de 150 représentants syndicaux ont été licenciés. 70 % d’entre eux ont été réintégré à l’issue de procès engagés contre les entreprises, mais c’est clairement une menace. » Le FMI avait demandé, dans une lettre adressé au gouvernement en date de 2010, que la déréglementation du travail soit mise en place en Roumanie. A priori, l'institution internationale a été entendu… Selon Aurora Trif, cette régression des droits syndicaux et sociaux démontrent plus largement la difficulté de la Roumanie à négocier correctement sa transition démocratique : « Depuis 1989, les syndicats roumains doivent faire face à la question de leur survivance et de leur légitimité, et ils se concentrent donc plus sur le terrain politique plutôt que de réfléchir à leur représentation au sein des travailleurs. Ils conservent une certaine influence dans la discussion sur les nouvelles lois sur le travail, mais la récession économique, les réductions massives de personnel et le legs communiste a conduit à la formation d’une sphère syndicale décentralisée et fragmentée, qui n’a, en réalité, qu’une influence toute relative au niveau des entreprises. » M.G
Des travailleurs européens et des patrons étrangers : un nouveau défi pour le syndicalisme roumain.
Ils seraient entre 4 et 5 millions de roumains, vivant et travaillant en Europe occidentale, attirés par des salaires plus élevés. De l’argent souvent réinjecté en partie dans l’économie nationale, et cette diaspora de travail est devenue le premier contributeur du PIB roumain… Une manne qui a aussi ses défauts : ces départs massifs posent le problème de la main d’œuvre locale et de la fuite des élites, à tel point que le gouvernement tente de mettre sur pied, depuis le milieu des années 2000, des plans d’aides au retour. La protection de ces travailleurs est également une question centrale, dont les syndicats roumains prennent tout juste conscience. Profitant du flou juridique entretenu par l’Union européenne et l’empilement des lois nationales et supranationales, nombre d’entreprises peu scrupuleuses n’hésitent pas à exploiter la main d’œuvre roumaine. Dernier scandale en date de janvier 2011, des Roumains (et Bulgares), employés à la construction de l’EPR de Flamanville, qui ont protesté contre des conditions de travail différentes de celles de leurs collègues français. Dans le bâtiment, l’agroalimentaire, l’agriculture, on trouve pléthore de ces travailleurs, « détachés » donc employés par des entreprises roumaines, mais travaillant mois après mois dans les plus riches des pays européens, l’Allemagne, la France, l’Italie ou l’Espagne. Une double « affiliation » qui pose problème, surtout en ce qui concerne les cotisations sociales. Les employeurs sont censés les payer dans le pays d’origine, mais les « oublis » sont fréquents… Résultat : les Roumains rentrent chez eux, sans avoir cotisé au chômage, à la sécurité sociale ou à la retraite et donc sans ressources. Pour faire face à ces situations complexes, les syndicats roumains tentent de s’allier avec leurs homologues étrangers. Des accords intersyndicaux ont par exemple était signé avec l’Italie et l’Espagne, qui permettent aux travailleurs immigrés d’être représentés dans leur pays d’origine et dans leur pays de travail. De l’autre côté de la boucle, les investisseurs étrangers, qui s’installent de plus en plus nombreux en Europe de l’est, sans toujours avoir très envie de s’encombrer avec le droit du travail local. « Souvent, ces employeurs oublient qu’ils arrivent dans un pays qui est membre de l’Union européenne !, raille Bogdan Hossu. Pas de droit du travail, et pas de syndicats ! Mais les choses changent, notamment chez les investisseurs français (3e pays du point de vue des investisseurs en Roumanie, ndlr), avec qui nous tentons d’établir un vrai dialogue social. »
La Roumanie en chiffres
Nombre d'habitants : 22 millions
Superficie : 238391 km2
PIB : 162,6 milliards d’euros en 2009, taux de croissance négatif depuis deux ans.
Salaire moyen : 1 377 lei soit 320 euros (le salaire minimum s’élève à 157 euros)
Durée légale du temps de travail : 40 h par semaine
Niveau de corruption : 69e sur 178 pays, selon Transparency international. Le pays a été épinglé par la l'UE sur le détournement des fonds européens.
Espérance de vie : 69,7 ans pour les hommes, 76,9 pour les femmes.
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