Deuxième volet du reportage de Mathilde Goanec, envoyée spéciale au Spitzberg
C'est une matinée de juin sur l'île du Spitzberg, et le fjord est inondé de soleil. A cette période, sous une latitude de 78 degrés nord, à un petit millier seulement de kilomètres du pôle Nord, le soleil ne quitte pas un instant le ciel, ni le jour ni la nuit, sans parvenir pour autant à réchauffer le sol glacé.
C'est dans ce froid mordant que nous attendons le scientifique Roland Von Bothmer, qui sera notre guide pour l'une des très rares visites de la «réserve mondiale de semences du Svalbard». De la route qui serpente dans la montagne enneigée, on aperçoit les premières maisons du village de Longyearbyen, au fond de la baie.
De l'autre côté, la piste d'atterrissage du minuscule aéroport de l'île. C'est par là que les graines arrivent, cinq à six fois par an, débarquées d'un avion en provenance d'Oslo. Roland Von Bothmer, basé en Suède, ou son collègue Ola Westengen, tous deux mandatés par la banque génétique nordique, sont alors là pour les accueillir. Stockées dans des boîtes scellées, les semences sont transportées par camion, jusqu'à l'entrée de la réserve. Elles rejoindront ensuite ces chambres fortes qui ambitionnent de constituer une banque mondiale de la biodiversité où seront stockées, à terme, toutes les graines des cultures vivrières.
En dehors de ces arrivages réguliers, l'accès au site est sévèrement contrôlé. « Nous avons une politique d'ouverture très stricte, pour protéger les graines des attaques extérieures et pour des raisons de sécurité, explique Roland Von Bothmer. Donc ici, aucun public, pas de touristes ou de visiteurs. Nous ne laissons rentrer que quelques décideurs politiques, et des journalistes. » Le scientifique fume une dernière cigarette, avant de s'engouffrer pour de bon dans la réserve.
Derrière la porte fermée à double tour, un tunnel long de 100 mètres, creusé dans la montagne et éclairé au néon. Au bout, trois chambres fortes, dont une seule est pour le moment en activité. Les graines sont conservées au froid grâce à l'action conjuguée du permafrost et d'une soufflerie automatique, qui fait descendre la température à –18 degrés. Les semences, déshydratées et compactées dans des sachets d'aluminium, sont congelées et stockées sur d'immenses étagères métalliques.
Malgré les annonces tonitruantes de Cary Fowler, directeur du Fonds mondial pour la diversité des cultures (« Les graines peuvent être conservées ici jusqu'à 10.000 ans !), il est difficile d'évaluer précisément leur durée de vie.
« Honnêtement, personne ne sait exactement combien de temps nous pouvons les garder dans ces congélateurs, avoue Roland Von Bothmer, près de l'entrée de l'une des chambres fortes. Il est communément admis que la conservation à –18 degrés est le standard optimal pour la conservation des graines, mais on ne sait pas exactement ce qui peut se passer. Ce qui est essentiel, c'est que ces semences sont conservées dans les mêmes conditions que dans leur pays d'origine. Dans ces banques, on teste leur germinabilité tous les cinq ans. Si elle baisse, on les replante pour obtenir de nouvelles graines et on les remplace également ici. »
Enfilade de boîtes
Lorsque la porte de la chambre forte s'ouvre, c'est une enfilade de boîtes, portant le nom des instituts de recherche ou de banques nationales qui ont envoyé une partie de leurs semences au Svalbard. Pour le moment, une vingtaine de pays ont choisi d'y déposer une partie de leur collection, qui renferme souvent des semences du monde entier, à l'instar de l'institut international sur le riz des Philippines ou du centre de recherche sur l'agriculture en zone aride de Syrie.
Sorgho, millet, poivrons, haricots, plantes aromatiques, maïs, riz, pomme de terre... Les différentes variétés des principales plantes alimentaires seront conservées au Svalbard, constituant ainsi la plus grande collection agronomique du monde.
La capacité totale de stockage est d'environ 4,5 millions de variétés de semences. Plus de 400.000 échantillons ont été déposés à ce jour. Chaque variété est également référencée par informatique par Roland Von Bothmer et son collègue.
Tous deux sont convaincus de la nécessité de conserver, le plus largement possible, la diversité agricole au cœur du Svalbard: « En 2015, nous serons 9 milliards sur terre et, selon l'ONU, nous devons accroître notre production alimentaire de 70%, sur les mêmes surfaces cultivables et avec, dans le meilleur des cas, le même accès à l'eau, assène Roland Von Bothmer. Pour répondre à ce défi, nous devons avoir à notre disposition toutes les solutions possibles, à commencer par la sélection génétique des plantes, pour obtenir de meilleures variétés, avec des gènes plus résistants, plus solides. C'est pour cela que nous avons besoin de protéger toute la diversité que l'on trouve dans les banques de graines aujourd'hui. (1) »
Le chercheur, qui a consacré sa vie à la sélection et à la génétique des plantes, ne cache pas son enthousiasme. Svalbard, sorte de « Banque des banques », serait le stade ultime de la conservation du matériel agronomique alimentaire. Pourtant, cette réserve fait polémique, à plusieurs titres. Le premier point fortement discuté concerne son mode financement: c'est l'objet de notre prochain épisode.
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