Haies et talus
Pour Georges Toutain, le passage à une agriculture sans aucun pesticide peut se faire rapidement, à condition de changer radicalement de manière de faire : « Nous devons revenir à des rotations plus larges de la production, associer élevage et cultures, et réaménager l’espace naturel, les haies, les talus, les prés pour préserver l’habitat des auxiliaires naturels de culture… On ne doit pas diminuer l’utilisation de pesticides chimiques, on doit s’en passer totalement. »
Claudine Joly, responsable de la question au sein de France nature environnement, tempère cet enthousiasme : « Faire sans pesticides du tout, non, je n’y crois pas pour le moment. » Pour elle, nous manquons cruellement de recul quant à la conversion en biologique des grandes surfaces, et certaines plantes se seraient tellement habituées aux pesticides qu’il serait difficile de les en désintoxiquer sans les détruire. Pourtant, Claudine Joly a dans sa besace plusieurs idées bien concrètes, chipées notamment aux pays nordiques.
Première urgence : mettre en place un organisme de conseil indépendant, financé par l’Etat, une sorte de « médecin en chef des cultures » qui rappellerait que, comme pour les antibiotiques, les pesticides, ce n’est pas a u t o m a - tique… « Qui conseille les agriculteurs ? Ce sont les coopératives, qui les fournissent dans le même temps en produits chimiques ! », s’insurge Claudine Joly.
L’agronome prône également la taxation des produits phytosanitaires et la réorientation complète des recherches vers l’agro-écologie, de manière à produire des « auxiliaires naturels » qui agiront en prédateurs des insectes et des maladies. Là encore, il y a urgence : « A grands coups de phytosanitaires, on a tué de nombreux auxiliaires, et on ne sait pas les recréer artificiellement. Il y a un potentiel pour une reconversion, mais il peut disparaître si on n’accélère pas le mouvement. »
1 000 fermes biologiques
Toutes ces propositions sont connues, elles figuraient même dans les textes du fameux Grenelle de l’environnement, « qu’on a glorieusement perdu », ironise, un peu amère, Claudine Joly. Seule avancée concrète : mille fermes biologiques expérimentales ont été mises sur pied avec le soutien de l’Etat, dans le cadre du plan Ecophyto. Lancé en 2008, il a pour ambition de réduire de 50 % l’utilisation des pesticides d’ici à 2018. Pour le moment, il n’y a pas vraiment de quoi pavoiser : de 67 millions de doses de phytosanitaires vendues en 2008, nous sommes passés à 65 millions en 2009, et les chiffres pour 2010 se font attendre.
Guy Paillotin, secrétaire perpétuel de l’Académie de l’agriculture, à l’origine du rapport à la base du plan Ecophyto, revient sur le laborieux consensus qui s’est finalement fait sur la question : « Nous sommes les plus gros consommateurs en Europe de produits phytosanitaires, donc revenir en arrière est difficile. Et puis il y a une sorte de double jeu chez les agriculteurs : nombre d’entre eux, et pas des écolos barbus, ont déjà sérieusement réduit leur consommation en pesticides, mais ne le diront pas, liés par une espèce de solidarité avec le reste du monde agricole. »
S’il reconnaît leur dangerosité, Guy Paillotin ne croit pas à un avenir entièrement sans pesticides. « Les rendements du bio sont sympathiques mais ne suffiront pas à nous nourrir à prix abordable. L’un des progrès de l’agronomie traditionnelle est d’avoir permis de diminuer le coût de l’alimentation et de faire manger tout le monde à sa faim. »
A bout de souffle
Une partie des écologistes réfute cette assertion, Georges Toutain le premier : « On a décidé, dans la période de l’après-guerre d’utiliser des engrais et des pesticides pour soi-disant nourrir le monde… Mais je peux vous assurer qu’à cette époque, personne ne mourrait de faim en France, bien au contraire : on a même réussi à nourrir l’Allemagne pendant la guerre avec nos méthodes ! »
Divergeant sur l’analyse, les deux agronomes s’accordent pour dire que le système est aujourd’hui à bout de souffle. « Nous constatons aujourd’hui une diminution des rendements due à l’apparition de résistances chez les parasites, rompus aux produits phytosanitaires, concède Guy Paillotin. On va donc droit dans le mur si on ne change pas notre manière de faire. »
Même la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), longtemps portée par la logique productiviste, revoit son discours depuis quelques années, et préconise elle aussi des « méthodes alternatives », même si le zéro pesticides reste impensable : « Réduire , c’est bon pour l’agriculteur, qui est quand même le premier exposé, et c’est bon aussi pour limiter les coûts, explique Pascal Férey, responsable de la commission environnement du syndicat. Après, il y a des domaines où l’on ne sait pas faire sans, dans l’arboriculture, le maraîchage par exemple. Et il y a des produits dont on ne peut vraiment pas se passer, comme les insecticides. Soit on traite, soit on perd la récolte. »
Sortir du « tout-pesticides », même timidement, et fouiller dans la palette d’outils pour tenter de s’extraire de la camisole chimique dans laquelle est maintenue l’agriculture française depuis près de quarante ans. La plupart des formations politiques sont dans cette logique, à des degrés qui varient selon leurs liens de circonstance avec les syndicats agricoles.
« Biocontrôle »
On se souvient notamment de Nicolas Sarkozy brocardant les écologistes devant un parterre conquis au Salon de l’agriculture en ce début d’année… Antoine Herth est l’auteur du rapport remis le mois dernier au ministre de l’Agriculture sur le principe du « biocontrôle » – qui préconise de développer en France les différentes techniques d’écogestion contre les insectes, les ravageurs ou les maladies, à l’aide de parasites naturels, de champignons, de levures, etc.
« L’écologie reste une priorité, indépendamment des déclarations qui ont pu être faites ces derniers temps, assure le député UMP du Bas- Rhin. D’autant plus que nous entrons dans une nouvelle phase réglementaire au niveau européen : à chaque fois qu’un produit plus propre entraîne les mêmes effets qu’un phytosanitaire, il doit s’y substituer. Tout comme le principe d’écoconditionnalité, qui stipule que les agriculteurs qui bénéficient d’une aide de la Politique agricole commune (PAC) peuvent subir un contrôle sur leur utilisation des phytosanitaires. Aucun de ces instruments n’est remis en cause. »
Le PS, mis sous pression par la montée d’Europe-Ecologie lors des dernières élections, régionales et cantonales, s’est également saisi du problème dans son programme pour 2012. Ainsi, le Parti socialiste clame, par la voix de son secrétaire national à l’agriculture, vouloir faire évoluer le domaine vers des pratiques écologiques et durables. « Nous souhaitons encourager l’agriculture biologique par des incitations financières, rapporte Germinal Peiro, mais également remettre de l’agriculture autour des villes, par le biais de préemptions par exemple, ou encore orienter les recherches de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) vers le domaine des pesticides naturels. »
Cela suffira-t-il ? D’ores et déjà, les mentalités ont évolué sur la question longtemps verrouillée des pesticides, comme l’illustre le témoignage de Vincent Bennet, proviseur d’un lycée agricole de la Beauce, territoire de grandes cultures céréalières. « Nous avons converti en bio une partie de notre exploitation et, à chaque réforme de l’enseignement agricole, cette question-là avance. Croyez-moi, même s’il reste toujours des réticents, on trouve des convaincus chez les plus jeunes comme chez les agriculteurs déjà expérimentés. »
Subir ou réagir
Il est grand temps : « Jamais l’industrie chimique n’aurait pu s’imposer avec des politiques dignes de ce nom, mais jusqu’ici, on a eu affaire à une classe politique qui s’est contentée de subir au lieu de réagir, se désole Georges Toutain. Actuellement, les choses changent, et c’est plus qu’un frémissement. Mais il est clair qu’on s’en sortira par la base, en faisant la preuve de nos résultats. C’est le seul moyen de convaincre. »
Mathilde GOANEC.
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