Kirghizstan : des russes et des américains très attentifs
L’ESSENTIEL
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Pas de franche majorité à l'issue des élections législatives kirghizes : le parti Ata-Jurt, composé de proches de l'ancien président Kourmanbek Bakiev, arrive en tête, avec seulement 9% des voix, talonné par le SDPK, la formation politique de l'actuelle présidente par intérim, Roza Otoumbaeva. Des partis troubles-fêtes sont venus ponctionner les voix destinées aux partis traditionnels, faisant bouger les lignes de l'échiquier politique kirghize.
La plus grosse surprise est venue de Félix Koulov, ancien premier ministre et leader du parti Ar-Namys. Arrivé à la troisième place au défi de tous pronostics, Koulov a été labellisé « Kremlin » après une rencontre avec Dimitri Medvedev pendant la campagne. Félix Koulov est également l'un des rares politiciens kirghizes à avoir osé montrer de la compassion vis à vis de la communauté ouzbèke du sud, victime de pogroms au moins de juin, s'attirant ainsi un nombre non négligeable de voix des minorités. Enfin, il est partisan d'un retour au régime présidentiel, en accord avec ses voisins russe et kazakhe. « On peut penser que la Russie, opposée au projet parlementaire, a décidé de mettre des bâtons dans les roues des partis favoris, en misant sur quelqu'un comme Koulov », estime Dinara Oshourakhounova, représentante de la société civile en charge de l'observation des élections. En cas d'échec de cette stratégie, la Russie s'était malgré tout assuré du soutien de presque tous les partis importants, qui ne peuvent agir sans la Russie. « Ils n'ont pas mis tous leurs œufs dans le même panier, confie une source diplomatique à Bichkek. Et tous les leaders politiques connaissent la dépendance du pays à la Russie, notamment en termes financiers. Sans l'argent de la Russie, le pays peut s'écrouler. »
Autre acteur de poids dans cette campagne électorale, l'ancien président Kourmanbek Bakiev. Figure tutélaire de la politique kirghize, réfugié en Biélorussie après un affrontement sanglant avec la rue en avril, Bakiev a lui aussi veillé à placer ses hommes dans plusieurs partis en lice. La victoire d'Ata-Jurt montre bien la force de l'homme et de son clan, et le succès de sa stratégie : dénigrant l'impuissance du gouvernement intérimaire pendant le conflit ethnique du mois de juin, ses responsables n'ont eu de cesse d'attiser la peur et la haine, stigmatisant grossièrement la minorité ouzbèke afin de s'attirer les voix des électeurs kirghizes du sud.
La communauté internationale, enfin, et notamment les Etats-Unis, ont eux-aussi surveillé à la loupe le scrutin de dimanche et ses débouchés. Le Kirghizstan est un pays géo-stratégique de poids pour les américains, qui possèdent, comme les russes, une base militaire sur place. Impossible donc de se fâcher avec quiconque, tant cette base est indispensable au bon fonctionnement de la guerre en Afghanistan.
Soumis à diverses influences, les kirghizes n'ont pas moins joué brillamment le jeu électoral, dans ce qui passe pour être les élections les plus démocratiques de la région depuis la chute de l'URSS en 1991. Les difficultés devraient réapparaître à la formation de la coalition. En effet, faute de majorité absolue, des alliances doivent être conclues entre les cinq partis ayant passé le cap des 5 %, nécessaire pour entrer au parlement. Le Kirghizstan, éreinté par des mois de crises politiques et un conflit ethnique d'ampleur, n'en a pas fini avec l'instabilité.
Mathilde GOANEC.
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