La manifestation, organisée hier aux abords de la Commission centrale électorale, résume assez bien l'atmosphère de cette fin d'élection ukrainienne. Il y a tout d'abord les partisans de la première heure, ceux qui avaient déjà voté pour Viktor Ianoukovitch en 2004, et qui l'ont finalement porté au pouvoir dimanche, avec 48,8 % des voix contre 45,6 % pour sa rivale Ioulia Timochenko. « C'est lui que nous voulons, parce qu'il veut augmenter nos pensions et qu'il nous comprend, pas comme cette affairiste de Ioulia, explique Emilia, une retraitée de la région de Rivné, venue à Kiev pour soutenir son champion. Et puis, à quelques dizaines de mètres du cœur de la manifestation, il y a ceux qui patientent, rassemblés en colonnes compactes. Beaucoup sont payés, comme ce jeune homme au visage tuméfié qui dit attendre, en souriant, « la valise de billets ». Des citoyens prêts à vendre leur présence ou leur voix au plus offrant, symptômes vivants de cette démocratie bancale qu'est l'Ukraine. Entre ces deux extrêmes, une immense majorité d'indécis, qui bien souvent, est allée voter dimanche à reculons.
« En 2004, c'était une vraie révolution. Il y a avait de l'émotion, les électeurs et notamment la classe moyenne votaient pour Viktor Iouchtchenko (ndlr : le président sortant) par passion, analyse Vitali Koulik, directeur d'un institut spécialisé dans l'étude de la société civile. Cette fois-ci, ils ne croient pas plus en Ianoukovitch qu'en Timochenko. » En élisant le leader de l'opposition, les Ukrainiens ont clairement sanctionné le chef du gouvernement, Ioulia Timochenko, sans pour autant offrir un blanc-seing à son rival Viktor Ianoukovitch. Peu disert sur ses ambitions au lendemain du deuxième tour, ce dernier a donc joué la carte du rassemblement : « Cette victoire est le premier pas vers l'unification du pays et vers la stabilité, a lancé le chef du Parti des régions. Je ne veux pas chercher les ennemis, mais au contraire lutter contre les vrais dangers qui menacent notre pays, la pauvreté et la corruption ». Pas de référence à la Russie voisine, pour ce candidat souvent assimilé à une marionnette du Kremlin. Pas non plus de grande envolée lyrique sur le destin européen de l'Ukraine, en réponse à la frilosité de Bruxelles. Le futur président Ianoukovitch fait profil bas.
Accusé en 2004 d'avoir falsifié le scrutin présidentiel, il pourrait pourtant légitimement savourer sa victoire. Le rapport des observateurs internationaux de l'OSCE, rendu public hier après-midi, devraient passer à Ioulia Timochenko l'envie de contester les résultats : les élections ont été déclarées « honnêtes et transparentes » par l'ensemble des observateurs. « Les scénarios pessimistes que nous entendions ces derniers jours ne se sont pas réalisés, a déclaré, franchement enthousiaste, Assem Agov, l'un des observateurs de l'Otan présent sur place. Les élites politiques doivent accepter ce résultat et mettre en œuvre la transition pacifique du pouvoir ». Une transition qui s'annonce tout sauf simple, au vu de l'imbroglio politique ukrainien. Formellement, le parti de Viktor Ianoukovitch n'est pas majoritaire au Parlement, et il va donc lui être difficile d'obtenir un vote de défiance vis-à-vis de la Première ministre. Viktor Ianoukovitch prendrait également de gros risques à provoquer de nouvelles élections législatives, menacé par l'éclosion, après le premier tour, de jeunes formations politiques qui surfent sur le désir de changement des électeurs. Ioulia Timochenko pourrait donc négocier en coulisses son maintien au poste de Premier ministre, ou au contraire décider de démissionner et, forte des onze millions de voix glanées au deuxième tour prendre la tête de l'opposition. « Dans tous les cas, il ne faut pas attendre de cette élection présidentielle qu'elle ramène la stabilité politique en Ukraine », résume Nico Lange, directeur du bureau de la fondation Konrad-Adenauer en Ukraine. Mathilde Goanec
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