De dehors, l’endroit se présente comme un inoffensif club internet, un parmi tant d’autres dans les rues de Kiev, la capitale ukrainienne. A l’intérieur, odeur de tabac froid et moquette sale. Les néons diffusent une lumière glauque, oscillant entre le rouge et le mauve. Un bar occupe le fond de la salle et des ordinateurs en batterie, juchés sur des tables hautes, attendent le chaland. Pas la peine de commander une connexion internet. «On ne fait pas ça ici, répond la guichetière, cachée dans sa cahute en plexiglas. Vous payez au départ et vous jouez autant que vous pouvez.»
Après l’adoption, en juillet, d’une loi bannissant les jeux d’argent, les machines à sous et casinos avaient disparu du pays. C’était sans compter sur l’ingéniosité du secteur, peu disposé à abandonner une activité aussi lucrative. Les bandits manchots ont donc été remplacés par des ordinateurs reliés à des sites de jeux en ligne, pilotés par des opérateurs offshore. Faute de législation adaptée, le gouvernement n’a aucun contrôle sur ceux-ci.
Mais la loi, votée après un incendie mortel dans une salle de jeux de Dniepropetrovsk, était mal préparée. «L’industrie du jeu a toujours eu de très solides lobbyistes au sein du Parlement et du gouvernement, explique Myhaïlo Getmansev, un avocat spécialisé. Pourquoi, après une série de votes favorables au secteur, bannir subitement les jeux d’argent ? C’est un mystère.» «Nous avons tout perdu, se plaint Igor Kolyk, propriétaire de plusieurs salles et fabriquant de machines à sous. Le gouvernement aussi a perdu l’argent des taxes. Tout ça est politique : Ioulia Timochenko [le Premier ministre et candidate à l’élection présidentielle de 2010, ndlr] voulait simplement se faire bien voir dans les sondages.»Valery Pisarenko, le député à l’origine de la loi, affirme que le gouvernement voulait reprendre la main sur un secteur largement criminalisé : «Dans n’importe quel petit village, vous ne pouviez pas trouver de pain, mais à tous les coins de rue vous tombiez sur un automate où vous pouviez jouer votre argent. Le gouvernement était face à un énorme problème social.»
Conscient que le business continue hors du cadre législatif, Pisarenko assure que la police a procédé à la fermeture de nombreux cybercafés frauduleux. «Les jeux d’argent ne vont pas disparaître, critique Getmansev. Conséquence : tout le secteur a basculé dans l’illégalité et l’élite politique récupère une partie de la manne, via la corruption.»
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