Noyés sous les déclarations alarmistes et les rumeurs, les Ukrainiens se protègent. Pourtant la grippe ne fait pas plus de morts que d'ordinaire.
De notre correspondante à Kiev, Mathilde Goanec.
Les Ukrainiens croyaient leurs frontières miraculeusement hermétiques, capables d'empêcher n'importe
quelle maladie d'arriver jusqu'à eux. « On a survécu à Tchernobyl, alors la grippe... », s'amuse ainsi un jeune Kiévien. Elle est pourtant arrivée, fracassante, par l'Ouest du pays. Depuis début octobre, 67 personnes en sont mortes. Pour le moment, seul un cas mortel a pu être clairement attribué à la grippe pandémique H1N1, mais le virus est bien présent chez 22 malades. Ces derniers jours, près de 250 000 personnes se sont présentées à leur médecin avec de symptômes grippaux, et 15 000 d'entre elles sont toujours hospitalisées. Débordées, les autorités n'ont pas su anticiper la crise, alors même que l'Organisation mondiale de la santé confiait en septembre au correspondant du Soir sa crainte d'un « pic pour l'automne » en Ukraine.
Depuis, c'est un flot continu de mesures, qui mettent le pays au bord de la crise de nerfs. Tous les établissements scolaires ont fermé leurs portes, lundi, pour trois semaines, laissant les parents désemparés. Cette mesure est pour l'instant sans équivalent dans toute l'Europe. Les rassemblements publics, commémorations, spectacles et réunions électorales sont également bannis. De quoi faire grincer les dents des candidats à la présidentielle de janvier, privés de tribune jusqu'à nouvel ordre... Enfin neufs régions, sur les 26 que compte le pays, sont placées en quarantaine. Même l'église s'y met : le clergé orthodoxe ukrainien appelle à prier pour les malades et dans la région de Voliny, les cloches sonnent chaque jour à la même heure contre les bactéries!
Ces informations, relayées sans relâche par les médias, ont achevé d'affoler la population. A Kiev, le masque a fait son apparition dans les cafés, les restaurants, les cinémas... Il est aussi obligatoire sur le visage des fonctionnaires, des chauffeurs de bus, de taxi. Dans les pharmacies, c'est la cohue. Certaines ont déjà fermé leurs portes, faute de marchandises. Les habitants se jettent sur les vitamines, censées prévenir la maladie, les anti-grippaux et les dernières doses de Tamiflu disponibles. Devant la pénurie, les prix ont parfois été multiplié par dix, obligeant le gouvernement à menacer de sanctions les « profiteurs ». Un avion cargo, bourré jusqu'à la gueule du précieux médicament en provenance de Suisse a d'ailleurs atteri à Kiev, dimanche soir.
L'hystérie générale est alimentée par la cacophonie au sommet de l'Etat. Ioulia Timochenko, candidate à la présidentielle, affirme avoir la situation bien en main, tout en appelant les Ukrainiens à coudre eux-même des masques en tissu, faute de stocks. Le Président Iouchtchenko, lui-aussi en lice pour sa propre succession, lance en pâture à la presse de faux chiffres sur le nombre de cas mortels, et multiplie les déclarations alarmistes visant à décrédibiliser son Premier ministre.
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