Dimanche, la Moldavie, petit pays entre Roumanie et Ukraine, est appelée aux urnes pour élire un nouveau Parlement. Les communistes au pouvoir, pourraient bien conserver la majorité.
Dans
le train qui relie Kiev à Chisinau, la capitale moldave, Adrian, la petite
trentaine, traîne dans le wagon-restaurant désert. Bredouillant un français
mêlé de portugais, il exhibe son passeport aux pages couvertes de tampons,
souvenirs d'innombrables passages de frontières. Adrian a travaillé sur des
chantiers pendant 8 ans en Europe de l’Ouest, avant de revenir en Moldavie pour
profiter un peu de son fils. Ils sont près d’un million comme lui, sur un pays
d’à peine plus de 4 millions d’habitants, à s’employer ainsi à l’étranger,
faute de travail chez eux. La Moldavie est le pays le plus pauvre d’Europe et
survit entre autres grâce à l’argent renvoyé par ces expatriés volontaires.
Dans
la capitale, Chisinau, les difficultés quotidiennes et la peur de la crise
préoccupent plus les habitants que la campagne électorale. Celle-ci est
pourtant d’importance puisque le Parlement élu dimanche aura à désigner un
nouveau Président. Depuis 2001, ce sont les communistes qui ont les clés de la
maison. Pied de nez à l’Histoire, le PC moldave est revenu au pouvoir dix
ans après la chute de l’URSS, à la faveur d’un vote de protestation contre les
libéraux tenus responsables du chaos post-Indépendance. « Nous avons gagné les deux élections précédentes parce que ce qui
importe, ce n'est pas la couleur du drapeau, mais qui porte ce drapeau,
affirme Mark Tkatchouk, considéré par l ‘opposition comme le « génie
noir » d’un parti communiste dévoyé.
Et notre parti a connu un important processus de relookage, notamment en ce qui
concerne nos symboles, notre idéologie...» Pour Petru Negura, intellectuel
moldave, «l’étiquette convient à tout le
monde : d’un côté l’opposition diabolise le parti communiste, très
discrédité à la chute de l’URSS. Mais
en même temps, c'est aussi confortable pour le parti au pouvoir parce qu'il
spécule sur les sentiments nostalgiques d'une partie de la population et son
envie de stabilité.»
Emilian
Galaicu Paun, éditeur à Chisinau, est très critique sur le « régime » en place : « On
retrouve, comme sous l’URSS, cette tendance à la concentration du pouvoir entre
les mains d’un seul homme ». Vladimir Voronine, actuel Président, est en
effet soupçonné d’avoir placé sous sa coupe et celle de son fils les
entreprises les plus rentables du pays, par le biais de prête-noms. Et même si
l’homme fort du régime moldave ne peut pas briguer un troisième mandat, « il peut revenir par le poste de
Premier ministre ou de chef du Parlement », estime un diplomate
européen. Katia, retraitée dans un petit
village au centre du pays, balaye de la main ces accusations. « Voronine, c’est le seul que l’on voit,
s’exclame-t'elle, les autres on ne les
connaît pas ! Et depuis que les communistes sont là, les salaires et les
retraites sont payés à l’heure et régulièrement augmentés ».
La question transnistrienne
Dans
une Moldavie où l’on parle tout aussi bien roumain que russe, la question
identitaire est aussi au cœur des débats. La grande majorité de l’opposition se
dit libérale, européenne et atlantiste, perdant ainsi la main sur les
russophones, désireux de garder des relations cordiales avec Moscou. Et
difficile d'oublier la question de la Transnistrie, cette région autoproclamée
indépendante, à l’Est du territoire moldave. Soutenue par le Kremlin, dirigée
par un pouvoir mafieux, la Transnistrie pèse lourd dans l'orientation
géopolitique de la Moldavie. « Le
Président a une attitude quasi schizophrénique à ce sujet, analyse Oleg
Serebrian, politologue en campagne pour le Parti Démocrate. Lors des élections de 2001, il se présentait comme un adepte de la
Russie, et puis en 2005, il est devenu fan de « l'européanité » de la
Moldavie et allié des USA... Mais ensuite, en 2008, il a encore changé d'avis:
avec la guerre en Géorgie, Voronine a compris que la Russie a son mot à dire
ici et que l'Occident peut trahir aussi, comme il a trahi la Géorgie ».
Séduisant
un électorat vulnérable à coup de cadeaux sociaux, et vantant une Moldavie à
l’équilibre entre Bruxelles et Moscou, les communistes sont donc donnés
gagnants pour les élections de dimanche. L’opposition libérale-démocrate,
éparpillée en une petite trentaine de formations, peine à faire le poids. Dans
la petite ville de Kantemir passe la caravane du Mouvement Action européenne.
Ce petit parti multiplie depuis quelques jours les déplacements, avec ballons
et mégaphone. Pourtant, bien peu de locaux assisteront aux discours sur la
place centrale de la ville et aucune caméra, aucune radio ne se fera l’écho de
l’événement. « On n’est pas assez
riche pour faire venir les journalistes », argumente très sérieusement
Vitalia Pavlichenko, numéro 3 sur cette liste d’opposition.
Même
si pour l’instant l’OSCE et l’Union européenne se gardent bien de tous
commentaires, de nombreuses irrégularités ont entaché la campagne. Mainmise sur
les médias nationaux, utilisation abusive des ressources administratives à des
fins électorales ou intimidation des candidats de l’opposition, les plaintes
s'accumulent sur le bureau de la Commission électorale moldave. Surtout,
l’opposition et le milieu intellectuel accusent les communistes de n'avoir rien
fait pour permettre le vote des moldaves de l’étranger, considérés comme plutôt
favorables aux libéraux-démocrates. Avec
seulement 28 représentations diplomatiques dans le monde, et des émigrés
souvent en situation illégale, nombre d'entre eux s'estiment ce dimanche privés
de leur voix.
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