UKRAINE. Le pays est le principal lieu de transit à l'est de l'Union européenne. Le camp de Pavchino, insalubre, vient de fermer.
Insalubre, surpeuplé, et largement sous-financé, le centre de rétention de Pavchino, en Transcarpatie, a longtemps été la honte de l'Ukraine. Ce camp «provisoire» a accueilli pendant près de dix ans les dizaines de milliers de migrants arrêtés à la fin de leur course vers l'Europe. Car derrière la frontière occidentale de l'Ukraine s'ouvre désormais l'espace Schengen tant espéré.
Au début du mois, Pavchino a finalement fermé ses portes, sous la pression des organisations internationales, dans une très improbable mise en scène... Une dizaine de migrants, gardés là pour l'occasion, attendent leur sort, dans un centre désert. On les aligne face aux caméras des chaînes nationales ukrainiennes, qui immortaliseront la scène de ces gardes-frontière distribuant avec emphase sacs de nourriture et poignées de main à leurs derniers détenus, leur souhaitant «bonne chance». Ces derniers, réclamant en vain un interprète, finiront par s'engouffrer dans un bus stationné près du portail.
Désormais, selon la loi ukrainienne, les illégaux arrêtés en territoire national seront détenus ailleurs, dans le nord-ouest ou près de Kiev. Le Ministère de l'intérieur a construit là deux centres de rétention flambant neufs et plus éloignés de la frontière de Transcarpatie, passage de prédilection des candidats à l'exil. Car bien souvent, faute de pouvoir déporter les étrangers entrés illégalement sur son territoire, l'Ukraine les relâche, au bout de six mois. Les migrants retentent alors leur chance, et ils ne sont pas rares à faire ainsi la navette entre centre de rétention, libération, arrestation, et rétention à nouveau.
«L'Ukraine est le pays de transit numéro un à l'est de l'Europe, confirme le chef local des gardes-frontière. Depuis le début de l'année, on a arrêté plus de 25 nationalités différentes, surtout des Pakistanais ou des Indiens mais aussi des gens d'Erythrée, de République dominicaine ou de Birmanie... Forcément: cette frontière de Transcarpatie ouvre sur quatre pays européens, la Roumanie, la Hongrie, la Slovaquie et la Pologne, le tout dans une région de montagnes et de forêts.»
Une géographie favorable, tel serait le principal atout de la Transcarpatie. Ce qu'omet de préciser le gradé, c'est également la porosité légendaire des frontières ukrainiennes. Igor* est journaliste à Uzhgorod, capitale administrative de la région. Son verdict est sans appel: «On a affaire à un véritable trafic, qui fait vivre un paquet de monde, du paysan qui loue sa chambre pour 10 dollars, aux gardes-frontière payés pour fermer les yeux au passage des illégaux.»
Ce réseau, organisé autour de passeurs professionnels, est soutenu par diverses mafias aux ramifications internationales. Kamiran, rencontré non loin de Pavchino, est Irakien. Fuyant les hommes de Saddam Hussein, il a tenté de traverser la frontière en 2002. Un accident de voiture l'a alors cloué dans un fauteuil, et en Transcarpatie, où il a finalement obtenu le statut de réfugié. «Chez les étrangers qui tentent de passer, tout le monde sait que la mafia ukrainienne est beaucoup moins chère que la mafia turque par exemple. L'Ukraine a aussi un autre avantage, c'est que l'on y arrive sans problème depuis la Russie.»
L'Europe, déjà débordée par ses côtes méditerranéennes, somme depuis des années l'Ukraine de sécuriser ses frontières occidentale et orientale. Et Kiev, candidate perpétuelle à une éventuelle adhésion à l'Union européenne, peut difficilement dire non à Bruxelles. Elle a même signé, l'an dernier, un accord de réadmission avec l'Europe, qui devrait être effectif en 2010. Tous les migrants passés par la Transcarpatie et interceptés en Europe pourront désormais être renvoyés en Ukraine, qui aura l'obligation de les prendre en charge. En contrepartie, le pays a reçu la coquette somme de 40 millions d'euros pour améliorer notamment ses centres de rétention.
Tributaire de sa géographie, l'Ukraine est donc devenue l'auxiliaire indispensable d'une Europe retranchée derrière ses murs. C'est oublier que le pays est régulièrement critiqué pour son non-respect des droits élémentaires dus aux migrants, demandeurs d'asile véritables ou migrants économiques. «Le pays n'est pas sûr pour eux, explique Natalia Prokopchuk, du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés en Ukraine. Ne serait-ce que pour trouver de l'aide pour remplir des demandes d'asile ou se présenter devant les tribunaux, les migrants dépendent totalement des ONG financées par les organisations internationales. Nous sommes obligés de combler les manquements de l'Etat ukrainien, et ils sont nombreux.»
* Nom d'emprunt
Commentaires