Le sommet UE-Ukraine, prévu aujourd’hui à Evian (Haute-Savoie), devait être une chance pour Kiev, l’opportunité de convaincre ses partenaires occidentaux de sa vocation européenne. Mais à la veille de l’arrivée des émissaires ukrainiens sur les rives du lac Léman, le pays apparaît plus divisé et affaibli que jamais.
C’est le conflit géorgien qui a allumé la mèche. Alors que le président, Victor Iouchtchenko, a choisi très tôt d’appuyer son homologue géorgien, Mikhaïl Saakachvili, une grande partie de la classe politique ukrainienne a affiché sa neutralité, voire pris franchement position en faveur de la Russie. C’est le cas de Victor Ianoukovitch, leader du Parti des régions (prorusse), première force au Parlement, qui s’est même prononcé pour une reconnaissance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. La chef du gouvernement, Ioulia Timochenko, a pour sa part adopté la politique de l’autruche, se voyant immédiatement accuser par le camp présidentiel d’intelligence avec Moscou.
Disloquée. La crise s’est ensuite aggravée au Parlement : les élus du Biout, le parti de Ioulia Timochenko, ont voté à plusieurs reprises avec l’opposition la semaine dernière, notamment pour rogner les pouvoirs présidentiels. En réaction, une partie des députés de Notre Ukraine, le parti du Président, a quitté la coalition démocratique qu’elle formait depuis l’automne dernier avec le Biout. La coalition orange disloquée, c’est toute la «maison Ukraine» qui vacille, avec en toile de fond la menace de nouvelles législatives anticipées si les deux partis de la majorité ne se rabibochent pas rapidement. Le Président a lancé un ultimatum à son Premier ministre, la conjurant de revenir sur les lois votées et de prendre parti pour la Géorgie.
Une mise en demeure balayée par la dame de fer ukrainienne : «Notre position sur le conflit géorgien a toujours été claire et elle est en accord avec l’Union européenne : c’est la reconnaissance inconditionnelle de l’intégrité territoriale, de l’indépendance et de la souveraineté de la Géorgie. Quant aux lois votées au Parlement, elles faisaient partie des promesses de campagne de Iouchtchenko en 2004.»
Chacun place ses pions et tente de retourner l’opinion en vue de la présidentielle de l’hiver 2009-2010. Avec le soutien formel ou officieux des grandes puissances étrangères. Nombre d’observateurs estiment que Iouchtchenko profite de la crise pour rappeler à ses partenaires occidentaux que la stabilité de l’Ukraine passe par une intégration rapide à l’Union européenne et à l’Otan, quitte à bousculer l’agenda institutionnel. Le Président se réservant le rôle du chef de file pro-occidental. Il a reçu vendredi, lors de la visite de Dick Cheney à Kiev, le soutien de Washington, qui souhaite une adhésion rapide de l’Ukraine à l’organisation atlantiste.
Pasionaria. Moscou aussi, écarté un temps du jeu politique ukrainien, fait un retour en force. Le Kremlin ne peut imaginer que Iouchtchenko, pur nationaliste, puisse conserver son poste après 2010. La Russie semble donc s’être résignée à miser sur Ioulia Timochenko, la plus populaire dans les sondages, au détriment de Victor Ianoukovitch, l’allié traditionnel de Moscou. La pasionaria orange, par son charisme savamment orchestré, semble la seule à avoir conservé un vrai capital de sympathie parmi toutes les fractions électorales ukrainiennes. Cette dernière nie catégoriquement tout rapprochement avec la Russie. Ce qui ne l’a pas empêché de voter, trois fois de suite, avec les partis prorusses au Parlement. Les effets de ce travail de sape généralisé n’ont pas été longs à se faire sentir. L’Ukraine, dont la capacité de réformes est en panne, «se détruit elle-même», selon Volodymyr Poselskyy, expert de la fondation L’Ukraine dans l’Europe. «Etant donné qu’au sein même de l’Union européenne, les avis sont très partagés quant à la réponse à donner à ce pays, la division de la coalition orange tombe vraiment au pire moment, estime Poselskyy. Et cela donne des arguments aux détracteurs de l’Ukraine dans l’UE pour se borner, lors du sommet d’Evian, au strict minimum.»
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