Alexandre Kosvintsev est le premier journaliste réfugié politique en Ukraine. Et il est Russe. A la veille des élections présidentielles en Russie, l'information ternit encore un peu plus l'image du clan Poutine. Kiev. De notre correspondante.
C'est officiel, Alexandre Kosvintsev, de nationalité russe, est le premier journaliste à avoir obtenu le statut de réfugié politique en Ukraine. Timide et discret, l'homme se refuse pourtant à tirer les conclusions politiques d'une telle décision. Tout au plus espère-t-il que cela va « créer un précédent » pour tous ses collègues restés en Russie.
Le journaliste raconte avoir subi des pressions continues depuis ses débuts dans le métier, il y a vingt-cinq ans : « Mais, aujourd'hui, elles sont plus violentes et prennent des tours criminels ».
Menaces de mort
Rédacteur pour des journaux régionaux, puis nationaux, Alexandre Kosvintsev s'est notamment fait remarquer en critiquant un gouverneur très influent. Il aggrave son cas en affichant son soutien à Garry Kasparov, ancien joueur d'échecs devenu l'opposant numéro un face à Vladimir Poutine. Depuis, les menaces pleuvent sur le petit homme moustachu : « Cela prend le plus souvent la forme d'assignations en justice pour de faux motifs ou d'intimidations de la part de la police. »
En décembre 2006, Alexandre Kosvintsev part en mission à Kiev et décide alors de s'installer définitivement en Ukraine, à la suite de messages de plus en plus explicites : « On m'a menacé de mort si je retournais en Russie. » A Kiev, le journaliste a intégré la rédaction du journal Vetcherni Vesti dont il est depuis devenu le rédacteur en chef.
Alors que plusieurs de ses confrères de la Biélorussie ont été déboutés du droit d'asile, l'an dernier, Alexandre Kosvintsev a sans doute profité d'un contexte diplomatique particulier entre la Russie et l'Ukraine. Depuis que cette dernière affiche son intention d'entrer dans l'Otan, les relations entre les deux pays sont glaciales.
Difficile de mesurer l'impact de cette petite leçon de démocratie infligée au pouvoir russe. La situation des journalistes est toujours aussi délétère dans le pays, comme le confirme Alexandre Kosvintsev : « L'assassinat de la journaliste Anna Politkovskaïa (le 7 octobre 2006, ndlr) était exemplaire car barbare et sauvage mais, en Russie, les journalistes travaillent en permanence en terrain miné ».
Mathilde GOANEC.
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Cette nouvelle a également fait l'objet d'un reportage de 2 minutes 30 diffusé par RFI le jeudi 07 février et d'un article dans Le TEMPS, oublié le lundi 11 février:
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L'Ukraine, terre d'asile pour un journaliste russe
Médias. Menacé en Russie, Alexandre Kosvintsev a obtenu de Kiev le statut de réfugié politique.
Alexandre Kosvintsev, ancien rédacteur en chef du journal russe Rossisky Reporter, débarque en Ukraine en décembre 2006. Depuis, il n’a pas bougé. La Russie est devenue trop dangereuse pour le journaliste : « On m’a carrément menacé de mort dans mon pays». Fatigué des pressions qu’il subit quotidiennement, le citoyen russe fait alors une demande d’asile à l’Ukraine, qui l’a acceptée en début de semaine. L’homme devient ainsi le premier journaliste réfugié politique en Ukraine.
Aujourd’hui rédacteur en chef du quotidien Vetcherni Vesti, à Kiev, Alexandre Kosvintsev respire enfin: « Je travaille depuis 25 ans. J’ai fait mes débuts dans les journaux communistes. Bien sûr, à l’époque aussi le pouvoir contrôlait la sphère journalistique. Mais depuis cinq ans, la pression s’est accrue. Elle est plus violente et prend des tours criminels ». Pour Alexandre Kosvintsev, les menaces commencent après une série d’enquêtes très critiques sur le gouverneur de la région de Kemerovo (dans le sud de la Russie), « un homme puissant, riche et corrompu ». Il s’attire définitivement les foudres du pouvoir en s’affichant dans la coalition créée autour de Garry Kasparov, grande figure de l’opposition à Vladimir Poutine. Intimidations, violences physiques et mentales, innombrables poursuites devant les tribunaux, Alexandre Kosvintsev aura expérimenté le panel des pressions dont sont victimes les journalistes en Russie.
Prudent, le journaliste avait pris soin de déposer son dossier de demande d’asile à Lviv, une ville située à l’Ouest de l’Ukraine et connue pour être résolument hostile à la Russie. Car la démarche est aussi éminemment politique. Depuis le début de l’année, l’Ukraine accumule les signes d’émancipation vis-à-vis de son traditionnel allié : demande officielle d’adhésion à l’OTAN, entrée dans l’OMC, opération séduction du premier ministre Ioulia Timochenko à Bruxelles... La décision d’accueillir Alexandre Kosvintsev au titre du droit d’asile semble entériner la prise de distance de la « petite Russie ».
De son côté, Moscou prend acte de ce virage à l’Ouest de l’Ukraine, et multiplie les avertissements. Les « listes noires » de personnalités ukrainiennes non grata sur le territoire russe ont même repris du service. Le très influent directeur ukrainien du centre international pour la démocratie, Sergyi Taran, en a récemment fait les frais. Pour l’analyste, les deux évènements sont liés : « Le cas d’Alexandre démontre que l’Ukraine devient une démocratie forte et indépendante, qui n’a pas peur des critiques venues de l’intérieur ou de l’extérieur. Dans cette affaire, la Russie prouve elle tout le contraire ».
De son côté, Alexandre Kosvintsev refuse toute instrumentalisation politique de son cas, même s’il concède que cela lui paraissait « plus logique de demander l’asile ici, dans un pays voisin de la Russie, qu’en France ou au Etats-Unis ». Celui qui fut un temps collaborateur du journal Novaya Gazeta, où exerça Annna Politkovskaïa, assassinée en 2006, espère tout au plus que cela va « créer un précédent » pour ses confrères restés au pays : « Le cas d’Anna était exemplaire, car c’était un crime barbare et sauvage, mais beaucoup d’autres journalistes sont enlevés, battus ou internés dans des hôpitaux psychiatriques. Nous travaillons en permanence en terrain miné ».
Mathilde GOANEC
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