Le Parlement du régime a adopté samedi une loi qui durcit encore un peu plus le contrôle des médias. Grande nouveauté, les médias en ligne, dernier espace de liberté, sont désormais eux-aussi dans la ligne de mire du pouvoir bélarus.
Une vidéo sur la dernière manifestation à Minsk, un opposant qui s’exprime librement au micro, un
article accablant sur les dangers de Tchernobyl… Bienvenue au Bélarus, version Internet. Lassés de la propagande servie par les médias traditionnels, une part de plus en plus importante de la population bélarusse se tourne, depuis quelques années, vers les journaux, radios ou télévisions en ligne. Une manière de contourner la censure, dans un pays souvent considéré comme la dernière dictature d’Europe.
Pour l’autoritaire président du Bélarus, Alexandre Loukachenko, plutôt partisan d’une presse au pas, il était grand temps de faire le ménage sur la toile. Déjà en août dernier, le chef d’Etat avait clamé vouloir « mettre fin à l’anarchie qui règne sur le web », afin d’empêcher qu’Internet de devienne un « égout à information »… C’est chose faite depuis samedi dernier. La chambre haute du Parlement a adopté une nouvelle loi sur les médias, qui soumet désormais au même régime les sites d’information en ligne et la presse traditionnelle. A commencer par l’ obligation de s’enregistrer officiellement auprès des autorités, ce qui donne au pouvoir le droit de vie et de mort sur les publications autorisées.Selon la nouvelle loi, si un site ne s’est pas enregistré ou n’a pas obtenu le fameux sésame, l’Etat se réserve le droit d’en bloquer l’accès dans le pays.
Idem pour les journaux, radios ou télévisions, qui ont depuis quelques années contourné la censure en émettant depuis l’étranger, se servant des ondes courtes et du web comme d’un relais. La nouvelle loi inscrit dans le marbre l’obligation légale pour leurs correspondants travaillant sur le territoire bélarus d’obtenir un permis officiel d’exercer, sous peine de sérieux ennuis juridiques. C’est le cas de Mikola Markevitch, journaliste pour la radio Razzia, basée en Pologne : « Avant, il était seulement requis d'être accrédité pour travailler. Aujourd’hui, le fait de travailler sans accréditation devient carrément illégal ». D’après la loi, les conditions d’évaluation pour obtenir son enregistrement ou un permis pour un correspondant sont laissés à l’évaluation du pouvoir exécutif. « Les médias Web sont donc de facto sous contrôle du gouvernement, s’inquiète encore Mikola Markevitch. Au jour d'aujourd'hui, on ne sait vraiment pas à quelle sauce Loukachenko va nous manger ».
L'ensemble de la presse mise est mise au pas
Selon l’Association des journalistes du Bélarus, l’adoption de la loi va « porter un coup terrible aux médias indépendants qu’elle condamne à la disparition ». Le bureau bélarus du Comité d’Helsinki tout comme l’Union européenne critique aussi vertement cette loi adoptée sans aucune consultation publique préalable. Les professionnels des médias eux-mêmes n’ont pu prendre connaissance du texte que quelques jours à peine avant le vote de samedi. Nombre d’entre eux vont plonger un peu plus dans la clandestinité: « Cela va nous rendre à tous le travail plus difficile, estime Mikola Markevitch. Nous devrons certainement avoir plus souvent recours à des pseudonymes, même si cela ne sert pas à grand-chose : le KGB (services secrets bélarus) connaît bien les activités des défenseurs de la liberté journalistique. A eux ensuite d'appliquer ou pas ce que dit la loi... ».
Au-delà du Web, la nouvelle loi resserre définitivement l’étau sur l’ensemble du paysage médiatique, en permettant de suspendre l’activité d’une rédaction au premier avertissement lancé par le Ministère de l’Information, un juge, ou même un membre d’une autorité locale. « Tous les médias vont devoir se réenregistrer dans un délai se terminant… Juste avant les élections présidentielles, note un observateur à l’extérieur du pays. Les médias en général pourront donc aussi être très facilement fermés ». Le rédacteur en chef de Nacha Niva, l’un des derniers vestiges de la presse écrite indépendante, rudement malmené par le pouvoir ces dernières années, a appelé ses lecteurs à réagir en demandant la révision de la loi. « Tout ça, la répression et le contrôle des médias, existait déjà avant, mais en dehors du cadre législatif. Ce qui est très inquiétant, c’est qu’aujourd’hui, les autorités peuvent prendre appui sur la loi pour museler la presse libre au Bélarus», conclut le journaliste Mikola Markevitch.
Mathilde GOANEC
En photo, Alexandre Loukachenko, président du Bélarus.