E-medecins, bracelets collecteurs de données ou applis miracles, le champ du numérique dans le domaine médical semble infini. Avec souvent la même ambition : mettre le patient au cœur du dispositif. Mais gare : la protection des données devient alors cruciale, de même que leur usage au service de la société toute entière.
Par Mathilde Goanec
C’est l’image d’Épinal de la médecine d’Hippocrate: face à un malade, qui cherche une réponse à ses maux, le médecin, ses dix ans de fac, ses réponses et ses remèdes. Et puis, subrepticement, le numérique est entré en scène… Quid de cette médecine occidentale du XXIe siècle où patients et soignants sont toujours plus connectés ? Le nouvel acteur le plus évident de ce dialogue à trois est bien sûr Internet, où nous surfons avidement au moindre bobo. Avant d'aller en consultation, histoire de se faire une idée du mal, mais aussi après, pour vérifier les dires de son praticien et comparer éventuellement son expérience avec d'autres. Doctissimo et ses forums au kilomètre illustre à merveille le succès de ces discussions entre usagers, sans pour autant détrôner la confiance qu'ont les français en leur médecin : il reste la première source d’information fiable pour les malades. Internet est davantage un auxiliaire, pour « assimiler, digérer à son rythme les informations qui viennent d’être livrées », estime le docteur Jacques Lucas, vice-président de l'Ordre national des médecins. Selon une étude réalisée par la société Global Conseil, sept français sur dix consulteraient le réseau (et notamment les réseaux sociaux) pour y trouver de l'information médicale.
Internet, nouvel assistant du médecin
Longtemps sceptiques, voire réfractaires, les médecins se font doucement à l'idée que les patients savent des choses, les plus audacieux préférant même sonder le malade sur ce qu'il a appris sur Internet avant d’entrer dans son cabinet. C'est aussi un juste retour des choses : nombre de praticiens n'hésitent pas non plus, en cas de doute, à faire une petite recherche sur des sites spécialisés en cours de consultation. Pour le baromètre « Web et santé » réalisé l'an dernier par deux organismes privés, Hopscotch et Listening Pharma, 96 % des médecins interrogés consultaient le réseau et notamment Google au cours de leur exercice professionnel. Ces derniers ont tout intérêt à reprendre d’ailleurs la main sur le capharnaüm auquel ressemble parfois l’information médicale et à (re)devenir « prescripteur ». C’est en tout cas le point de vue défendu par l’association des «Médecins maîtres toile », des e-médecins qui appellent leurs confrères à créer du contenu, répondre aux questions des internautes, partager l’information, pour une pré-orientation en ligne des usagers.
Une médecine sans contact ?
Ainsi le dernier-né de l’imagination de François Lescure, pharmacien de profession, routard de l’innovation médicale. Avec Frédéric Dussauze, médecin, et Marc Guillemot, spécialiste d’Internet, il crée en 2010 Médecin direct, une plateforme de téléconseil médical et de télémédecine, utilisée notamment par les assureurs. Le principe est assez simple : vingt médecins dont 16 spécialistes se relaient pour répondre aux questions des usagers, par téléphone ou Internet et même depuis peu via le smartphone. Il est même possible de numériser des documents, comme la photo d’un bouton ou un compte rendu d’analyses. La médecine par email, apparemment si peu dans nos mœurs, remporte pourtant un franc succès. « Beaucoup considèrent encore qu’il est nécessaire de voir le patient pour émettre un avis médical, mais c’est faux ! La Suisse fait ça depuis 15 ans, plaide François Lescure. On donne surtout de l’information médicale, on ne rédige aucune ordonnance et on encourage toujours, en cas de doute, à aller voir son médecin. » Étonnamment, on retrouve chez Médecin direct les usages que fait la population d’Internet : de la pré-consultation (« Est-ce que j’ai besoin d’aller voir un médecin ? »), de la post-consultation (« Je n’ai rien compris à ce que ce spécialiste m’a dit »), et de la recherche de renseignements généraux (« Quels vaccins pour ce voyage au Sénégal ? »). « C’est à 80 % de l’orientation », confirme François Lescure. Confinée à des entreprises privées, l’expérience pourrait faire des émules, et intéresse les ARS, pour faire face par exemple à la pénurie de médecins, généralistes comme spécialistes. En Lorraine, pour soulager des services de dialyse très chargés et mettre à disposition les néphrologues au plus grand nombre de malades possible, l'Autorité régionale de santé a implanté un service de téléconsultation relié à la consultation de données à distance : l’équipe soignante utilise un chariot mobile grâce auquel le médecin interroge à distance le patient, contrôle la caméra et zoome afin de procéder à l’auscultation. Il dispose aussi d’un stéthoscope et d’un oxymètre (mesure du pouls) reliés au chariot. Le potentiel est énorme : le projet Odys étend actuellement ces dispositifs à la prise en charge des AVC en phase aiguë, à la dermatologie ou encore à la prise en charge médicale en milieu pénitentiaire.
Maintien à domicile
Au delà du colloque singulier, plus aucun secteur de la médecine n'échappe désormais au numérique, d'autant plus que de nombreux instruments répondent à deux enjeux majeurs de notre temps : la responsabilisation du patient, dans le cadre du vieillissement de la population et d'un développement des maladies chroniques, associées à une volonté assumée des autorités sanitaires de privilégier le soin à domicile et l'ambulatoire ; Mais aussi un souci accru d'informations et de transparence. Au sein de l’incubateur Paris innovation Boucicaut, on phosphore dur sur ces deux axes, qui sont aussi générateurs de nouveaux marchés. Christophe Lorieux est le fondateur de Santech, une société qui travaille à la confection de logiciels médico-sociaux à destination des personnes âgées ou malades chroniques. « Nous avons assez vite compris que leur prise en charge nécessitait de coordonner les différents acteurs qui gravitent autour d'eux, et qui contribuent au maintien à domicile. L'idée, c'est tout bonnement que l'information circule entre la femme de ménage, l'infirmière, l'ambulancier, l'endocrinologue.... ». Et pourquoi pas, à terme, la famille. Santech travaille sur un prototype, une tablette qui permet d'envoyer des photos, de rester en lien avec ses proches ou ses voisins, mais également de recevoir le programme d'activités organisées par la ville et de s'inscrire en ligne. A ceci s'ajoutera vraisemblablement la prise en charge médicale. « Le gros problème aujourd'hui, c'est qu'il y a plusieurs dispositifs qui s'agrègent autour du malade, estime Christophe Lorieux. Pour l’usager, c'est une usine à gaz. Nous voulons qu'il ait la main sur cette organisation, qu'il soit au cœur du dispositif ». Si cette tendance du « faire avec » le patient infuse doucement dans la sphère médicale, toujours teintée de paternalisme, elle est au centre des nouvelles technologies médicales.
Partager et protéger l’information
Partager l’information, d’accord, mais comment ? Après plusieurs années d’hésitations et de reculades, le dossier médical personnel (DMP) a finalement fait en apparition en France en 2011 : il s’agit d’un dossier médical informatisé, accessible à l’usager et aux professionnels de santé qui le prenne en charge. Mais avec moins de 500 000 créations de DMP depuis le lancement, et malgré un coût estimé à 500 millions d'euros par la Cour des comptes, l’opération a fait flop. L' interface est trop complexe pour être accessible au grand public et ce carnet de santé numérique est également délaissé par le corps médical, qui n'y voit pour l'instant pas d'avantage sur le papier. Marisol Touraine parle maintenant d’une nouvelle formule, destinée prioritairement… aux patients chroniques et aux personnes âgées. Et comment gérer la confidentialité des données partagées via des logiciels comme ceux mis au point par des sociétés privées type Santech ? « On doit être hyper prudents et mettre au point une charte qui va au-delà des recommandations de la CNIL parce que le domaine est très sensible, concède Christophe Lorieux qui travaille sur ces questions avec un magistrat et un philosophe. Informer l’infirmière que le jour où elle passe c’est aussi l’anniversaire du petit-fils, c’est très bien, mais à quel point cette information doit être disponible à des tiers ? » Largement médiatisée, le « quantified self », notre capacité à collecter et à transmettre nous-même un certain nombre de données, va elle aussi bouleverser notre approche de l’analyse, du diagnostic et vraisemblablement du traitement : si tout un chacun peut désormais connaître le nombre de calories brûlées lors d’un jogging, il est aujourd’hui possible via des dispositifs connectés de mesurer également son activité cardiaque, son taux de glycémie, son niveau de stress, son poids…. La dernière génération de pacemakers envoient même en temps réel à l’hôpital ou au médecin des relevés qui permettent de contrôler à distance l’état de santé du malade (voir encadré). Si cette « médecine personnalisée » est un bon en avant technologique et médical, c'est aussi un terrain de jeu plus que prometteur pour les géants du marché. Apple, par exemple, a lancé récemment son application Health, intégré au système iOS8, qui permet de mesurer le taux de caféine que l'on ingurgite dans la journée... Utilisé pour le moment sur un mode déclaratif, l'outil pourrait bien devenir le relais de la Iwatch, montre munie de nombreux capteurs santé. Gadget ? L'agence Bloomberg a révélé cet été qu'Apple discutait activement avec deux grandes compagnies d'assurances américaines pour savoir comment elles pourraient exploiter ces données et monter des dossiers sur mesure, selon les pathologies et le comportement de leurs assurés. Des spécialistes du sommeil et des experts sanguins auraient également été débauchés par la compagnie. Et pas seulement pour les beaux yeux des fans de Steve Jobs...
Big-data et cartographie santé
Ces innovations santé posent avec acuité la problématique du « big data », avec des implications tout autant personnelles que politiques. L'exemple du « Google flu » est de ce point de vue symptomatique : le célèbre moteur de recherche a créé un outil qui permet de corréler le nombre de recherche ayant trait à la grippe et le nombre de personnes effectivement atteintes. « La comparaison du nombre de requêtes Google par rapport aux données des systèmes de surveillance conventionnels a démontré que la fréquence de nombreuses requêtes augmentait au moment de la saison des grippes. Par conséquent, nous pouvons estimer la progression de la grippe dans des pays ou des régions du monde en comptabilisant ces requêtes. » Simple comme bonjour, pour Google, qui a publié ses résultats dans Nature, l’une des revues scientifiques les plus renommées en 2009 et permet à l’internaute de vérifier, en temps réel, la portée de la contagion. Dommage pour le géant du numérique, cette analyse a depuis été contredite en partie par des chercheurs dans un texte relayé par le Guardian, ces derniers estimant que les données recueillies pas Google n’étaient pas forcément fiables car polluées par la promotion des compagnies privées... D’autres tentatives de mise en réseau et de collecte en temps quasi réel existent, à l’instar du réseau français Sentinelle, qui rassemble depuis plusieurs années 1300 médecins généralistes répartis sur le territoire. Ils renseignent chaque semaine via un site internet relié à l’Institut de veille sanitaire des données sur les actes suicidaires, les diarrhées aigues, les syndromes grippaux, la varicelle ou encore la maladie de Lyme. Un système qui a été boosté par la simplicité et la rapidité des outils numérique...
Le gouvernement s’est saisi de cette question des données ouvertes en ouvrant en 2013 la plateforme data.gouv.fr. Avec de belles ambitions, détaillées dans une interview à l’Usine nouvelle par le directeur d’Etalab, Henri Verdier : « Les citoyens vont conquérir une meilleure autonomie dans leurs parcours, ils vont peut-être s’organiser pour transmettre eux-mêmes des données à la recherche médicale, la santé publique va bénéficier d’informations dont elle a toujours rêvé, la culture de la donnée - avec ses concepts nouveaux comme "evidence based decision" ou "data based strategy" - va pénétrer l’organisation et le financement du système de soins. » Effectivement, la Cnam rassemble depuis longtemps des informations ultra-précises et anonymisées sur l'état de santé et la consommation médicamenteuse des français. Et depuis 2013, cet incroyable réservoir de données sanitaires est accessible à l'Institut de veille sanitaire, la Haute autorité de santé, ainsi que, dans une moindre mesure, à l'Agence de biomédecine. Mais par souci de confidentialité et par crainte de voir les industriels exploiter ces informations, les données restent dans leur immense majorité réservées à des structures étatiques. Ce faisant, on prive la recherche et la société civile d’information de grande valeur, surtout en cas de scandale sanitaire, type Médiator : l’initiative citoyenne « Transparence santé » dénonce même une forme d'« OPA » sur l'open-data.
Comment conjuguer ce formidable développement numérique et le respect des personnes? En postant des hommes derrières les machines. C’est bien le pari de Paul Dardel, médecin et fondateur d’AEDmap, qui a lancé un site internet et une application pour smartphone (« staying alive ») permettant de localiser les défibrillateurs à proximité d’une personne faisant un arrêt cardiaque. Par le même coup, il offre aux collectivités et aux entreprises un outil de surveillance pour la cartographie et la maintenance de leurs appareils. « Il n’existe aujourd’hui aucune base de données officielles, en France ou ailleurs », s’alarme Paul Dardel. Quand on sait que 50 000 personnes en France meurent d’un arrêt cardiaque, 7 fois sur 10 devant des témoins, alors qu’il existe 100 000 défibrillateurs en France, le jeu en vaut la chandelle. A terme, Paul Dardel rêve de pouvoir localiser en même temos des « bons samaritains », personnes formées bénévolement aux premiers secours. Car si la géolocalisation peut faire des miracles, in fine, pour soigner, il faut des hommes, des vrais.
Mon réseau social à l’hôpital
Julien Artu, 31 ans, a eu un grave accident de voiture en 2011. Résultat, six mois d’hospitalisation, autant dire une éternité pour le jeune homme, qui se retrouve soudainement isolé de sa famille et de ses amis. A peine sorti, il crée My Hospi Friends, un réseau social spécialement conçu pour l’hôpital. Implanté à Foch depuis l’an dernier, il sera à disposition des malades dans une dizaine d’autres hôpitaux pour la rentrée.
My Hospi Friends, c’est quoi ?
Concrètement, c’est un cumul entre un site de rencontres, une application type foursquare et un réseau social comme Facebook…Doublé d’un canal de communication potentiel pour les hôpitaux. Il s’agit d’un outil de divertissement, de mise en relation de patients qui partagent le même quotidien mais aussi et surtout des intérêts communs.
Pourquoi ne pas avoir créé un réseau ouvert et gratuit ?
Il fallait trouver un modèle et j’ai préféré celui des hôpitaux payeurs plutôt que l’exploitation des données, comme sur des sites comme PatientsLikeMe. Mais on n’a pas non plus choisi d’ouvrir un espace de dialogue sur le bien- être à l’hôpital, car ce n’est pas le but recherché, qui est bien de s’évader en parlant cinéma, séries télé ou sport. Il ne s’agit pas non de se servir de l’outil pour dénigrer le personnel ou la structure, ce n’est pas non plus un tripadvisor de l’hôpital... Après, sur le tchat ou sur leur mur, les gens font ce qu’ils veulent…
C’est donc un outil numérique vraiment tourné sur le confort du patient ?
Dans le vaste chantier de « l’hôpital numérique », il existe 34 filières d’avenir. Mais le patient lui, ne voit qu’un millième de tout ce travail. Or le bien-être du patient a aussi des vertus thérapeutiques. Un malade occupé, qui dialogue et se sent entouré et compris, ira mieux et sortira plus vite. Si on a rien d’autre à faire que de regarder la télé, croyez-moi, on va bipper l’infirmière toutes les cinq minutes !
La biotech, nouvel eldorado
Faire de la médecine assistée par l'ordinateur est devenue l'obsession d'une ribambelle de start-up à travers le monde. Petite revue de détails de ce qui se fait, et se fera, en termes d'objets connectés médicaux.
-La compilation de données : la technologie Kinect, développée par Microsoft pour les jeux vidéos, a ouvert en partie la voie. Cette boîte détecte les mouvements, mais aussi, depuis l'an dernier, la chaleur, le rythme cardiaque, la tension musculaire etc... Sur cette idée, tout un tas de bracelets et autres montres connectées ont vu le jour, compilant des données et pouvant même aider à affiner un diagnostic. Le marché « décolle», selon Les échos, qui estime que plus de 17 millions de montres connectées devraient être vendues cette année, avec une orientation santé en ligne de mire.
-L'assistance : le pilulier connecté -belle innovation française- symbolise ce courant : les ingénieurs de Medissimo ont imaginé une boîte à médicament connectée, qui permet au patient de prendre ses médicaments régulièrement, de respecter l’heure de prise, mais aussi de partager à distance le suivi de son observance avec ses proches et et les réseaux de santé qui l'entourent. Pour les personnes âgées, on pense aussi à ces bracelets qui alertent en cas de chute, pour celles qui veulent rester à domicile. Plusieurs bracelets anti-fugue, utilisés dans le cas de personnes démentes ou victimes d'Alzheimer, ont également été mis sur pied.
-La médicamentation : les sociétés de biotech réfléchissent aussi à la création de médicaments encapsulés sous la peau pour éviter les injections (notamment chez les malades chroniques), mais également pour s'assurer de la bonne observance des traitements. La dose serait programmée à l'avance ou commandée à distance. Testés sur des femmes souffrant d'ostéoporose, on pourrait imaginer dupliquer l’exercice pour les personnes atteints par le diabète, la sclérose en plaque ou encore le cancer.
Commentaires