De diverses étiquettes politiques, des maires du Nord-Pas-de-Calais refusent l’indifférence et assurent aux migrants en transit des conditions moins indignes. Discrets sur leur engagement, ils mettent en demeure l’État d’assumer les conséquences de ses politiques migratoires.
Au bout d’un chemin de terre boueux, quatre bungalows de bois sont posés au milieu des champs. Devant, des hommes sont assis sur un mobilier fait de bric et de broc, une tasse de thé à la main. Ils viennent d’Érythrée ou du Soudan, et fuient les conflits qui ensanglantent leur région depuis des années. Les femmes dorment ou discutent dans la dernière cabane installée au fond du terrain. Chaque nuit, tout ce petit monde tente de monter à bord des camions en partance pour l’Angleterre, et qui stationnent à quelques kilomètres de là, après avoir fait le plein dans l’une des stations-services qui bordent l’autoroute.
Un peu de nourriture et des abris de fortune
Norrent-Fontes, petit village rural de 1.500 âmes du Nord-Pas-de-Calais, est devenu, comme une dizaine de communes du département, un lieu de transit pour des milliers de migrants qui rêvent d’Outre-Manche. « La première fois qu’on a vu des étrangers ici, c’étaient des Kosovars en 1992, raconte Marc Boulnois, le maire Europe Écologie Les Verts (EELV) du village, en lice pour sa réélection. Et puis les Africains sont arrivés. Ça a vraiment repris avec la fermeture de Sangatte [1]. Ils ne veulent pas vivre ici, ces gens-là errent dans le monde en tentant de rejoindre leurs proches, j’ai vu passer 10.000 personnes depuis le début de mon mandat. »
Marc Boulnois, ancien membre du Mouvement rural de jeunesse chrétienne, a fait partie des citoyens émus par ces femmes et ces enfants vivant dehors par -10°, dans les abords de son village, à l’hiver 2007. Les habitants commencent par distribuer des couvertures, un peu de nourriture, proposent des bâches et des palettes pour construire des abris de fortune, que vont détruire les CRS sur ordre du préfet de l’époque. Lorsqu’il remporte les élections municipales en 2008, Marc Boulnois ne cache pas ses intentions : comme d’autres maires des alentours,« pour qui l’hospitalité n’est pas un vain mot », il ouvre les douches de la salle de sport, met un terrain à disposition des migrants, fournit de l’eau potable et organise le traitement des déchets via la communauté d’agglomération. Avec eux, mais également des élus des collectivités territoriales, des députés ou des parlementaires européens, il crée le Réseau des élus hospitaliers. C’est par le biais de ce réseau qu’en 2012, Médecins du Monde est invité à construire les quatre chalets de bois de Norrent-Fontes, pour protéger les migrants des intempéries.
La responsabilité de l’État
Aujourd’hui, le camp a toujours des allures de bidonville. Dans la cuisine, un vieux meuble en bois et des fauteuils en cuir défoncés ne suffisent pas à masquer le sol en terre battue. Dans les baraques qui servent de dortoir, il n’y a pas de chauffage et les migrants sont ensevelis sous les couvertures pour lutter contre le froid. « On ne peut pas se satisfaire de cette situation, confirme Nan Suel, présidente de l’association Terre d’errances à Norrent-Fontes, qui vient en aide aux migrants des environs.C’est complètement indigne mais c’est mieux qu’avant. La commune fait ce qu’elle peut. Ce n’est pas son camp, ni le nôtre ».
Le combat de l’association rejoint celui des élus hospitaliers : faire prendre ses responsabilités à l’État, comptable des politiques migratoires actuelles. « Ce n’est pas possible de rester indifférent et nous prenons volontiers notre part, assure le maire de Norrent-Fontes. Mais l’autorité qui doit être en première ligne, notamment financièrement, c’est l’État ». Depuis 2012 et l’arrivée des socialistes au pouvoir, Marc Boulnois admet « un dégel des relations » et les destructions intempestives ont cessé. Reste que la solidarité associative et les initiatives communales, diverses selon le profil politique des élus locaux, continuent de palier les manquements du gouvernement.
Les migrants en campagne
Dans la ville de Grande Synthe, on trouve encore près des trottoirs des confettis multicolores, souvenirs du carnaval de Dunkerque la voisine... Mais ces festivités masquent mal une situation sociale difficile : 35 % des foyers vivent sous le seuil de pauvreté, et le chômage atteint les 25 %. Ici aussi, c’est une station service à l’entrée de la ville qui draine les migrants, installés dans un champ à sept-cents mètres du centre-ville. Damien Carême est le maire socialiste de la ville depuis 2001, en campagne pour un troisième mandat. Il fait partie du réseau des élus hospitaliers.
Le Front national présente lui aussi un candidat à Grande Synthe pour les prochaines municipales, et ne manque pas de dénoncer l’aide apportée aux migrants (voir cette vidéo de Marine Le Pen fustigeant l’aide versée au réseau des élus hospitaliers). « C’est sûr que nous sommes dans un climat social compliqué. Mais il n’y a pas eu "d’appel d’air", comme on peut l’entendre parfois, assure Damien Carême. Nous ne voulons pas pour autant en faire un sujet de campagne et d’ailleurs, les gens ne nous en parlent pas. Au début oui, il y avait des inquiétudes car les migrants sonnaient aux portes pour demander de l’eau aux habitants. Mais on a installé l’eau, des cabanes en dur, et ils passent désormais inaperçus. »
L’aventure de l’hospitalité
À Steenvorde, un peu plus bas sur l’autoroute vers l’Angleterre, le maire UMP a lui aussi ouvert ses douches et prêté un terrain. Mais il ne veut pas communiquer sur le sujet, qui passe mal au sein de sa formation politique. Il refuse aussi de participer au Réseau des élus hospitaliers, qui prône pourtant la solidarité régionale sur cette question. « Quand on a des convictions personnelles, on les affiche publiquement, estime Marc Boulnois.Ce n’est pas le sujet numéro un à Norrent-Fontes, mais nous allons aborder la question dans nos tracts. Même si les gens nous en parlent peu, car la sécurité publique a été rétablie. Avant, on voyait les migrants sauter par dessus les clôtures, poursuivis par les CRS, aujourd’hui ils se promènent dans le village, vont mettre un cierge à l’église, achètent des cigarettes, et ça ne dérange pas grand monde ».
Ailleurs en France, d’autres communes ont tenté, à des degrés divers, l’aventure de l’hospitalité, à l’image de Lasalle et de Soudorgues dans les Cévennes, qui ont accueilli après la fermeture de Sangatte de jeunes Afghans. Une partie est restée peupler ces villages désertés. Des militants de la Cimade, dans le sud de la France, tentent eux aussi – sur le modèle de l’Angleterre ou des des États-Unis – de mettre sur pied un réseau de « villes sanctuaires », qui choisissent « de vivre et de diffuser une culture d’accueil et d’hospitalité à l’égard des migrants et des réfugiés ». Car accueillir ne veut pas toujours dire vivre ensemble. « C’est ce que nous n’avons pas encore réussi à faire, admet Marc Boulnois. On passe à côté d’une culture et de l’énergie folle déployée par ces jeunes qui tentent tout ce qui est possible pour un avenir meilleur. Il faudrait arrêter de subir et profiter un peu de cette richesse. Mais ce n’est pas facile de dire que ce sont des gens intéressants à côtoyer quand on a un État qui passe son temps à les traiter de délinquants ».
Notes
[1] De 1999 à 2002, la commune a fait l’objet d’une importante exposition médiatique pour avoir hébergé un centre d’accueil pour les immigrés sans-papiers cherchant à passer au Royaume-Uni.
Commentaires