En pleine réforme Sapin, qui devrait transformer en profondeur l’inspection du travail, le syndicat Sud Travail a révélé en janvier un désaccord au sujet de l’amiante qui en dit long sur le climat tendu entre les agents et la Direction générale du travail.
« Connivence », se plaint le syndicat Sud Travail, à la lecture d’un échange de mails entre un agent de contrôle, la Direction générale du travail (DGT) et le SNED (Syndicat national des entreprises de démolition). L’histoire date de juillet 2012. Suite au refus d’un contrôleur d’autoriser le démarrage d’un chantier de désamiantage dans le nord de la France, le SNED, alertée par l’entreprise concernée, plaide sa cause auprès de la DGT.« Pourriez-vous faire passer le message auprès de qui de droit car l’affaire s’enlise », demande le syndicat patronal... Moins de quatre heures plus tard, réponse de la Direction générale du travail, qui donne raison aux désamianteurs, contre l’avis de l’agent, et demande « de ramener le collègue à la raison... ». Une célérité à mettre en miroir avec la lenteur dont se plaignent contrôleurs et inspecteurs, en prise directe avec la problématique de l’amiante sur le terrain. « J’ai un problème sur un chantier de désamiantage, avec des niveaux d’empoussièrement plus élevés que ce que ne prévoit la réglementation, raconte un inspecteur, sous couvert d’anonymat. J’ai demandé l’aide de ma hiérarchie, cela fait trois mois que j’attends une réponse ». Le directeur de la DGT, Jean-Denis Combrexelle, se défend de tout traitement de faveur : « Il y a, au ministère du Travail, des centaines de lettres d’interventions, parfois très vives, des organisations d’employeurs contestant la réforme concernant l’amiante au motif qu’elle serait trop sévère et difficilement applicable pour les entreprises ». Il assure aussi que ses services ont simplement fait respecter la réglementation en vigueur depuis juillet 2012 [1]. L’agent de contrôle aurait lui estimé que la règle qui s’appliquait était celle qui prévalait lorsque le marché a été passé pour ce chantier, soit avant l’été. Le syndicat envisage de faire un recours devant l’Organisation internationale du travail.
Renversement des priorités
Le conflit n’est pas seulement d’ordre technique. « Du point de vue des agents, il est difficile de contrôler le secteur de l’amiante car les textes de ne sont pas adaptés, estime un représentant de Sud Travail. L’administration produit des réglementations, qu’elles soient applicables ou pas, et à nous de nous débrouiller. Nous sommes isolés. » Près d’un million de travailleurs sont exposés à cette fibre reconnue comme cancérigène, et tout particulièrement les milliers d’ouvriers des chantiers de désamiantage. Mais le malaise est plus profond et a été tragiquement mis en lumière par deux suicides d’inspecteurs du travail, celui de Luc-Real Rainaldy en mai 2011 à Paris, et celui de Romain Lecoustre, en janvier 2012 à Lille, tous deux reconnus accidents du travail. Il touche à la transformation structurelle de l’inspection. La politique de l’action chiffrée, héritée de la LOLF (Loi organique relative aux lois de finances) puis de la RGPP (Révision générale des politiques publiques) a fait des dégâts sérieux. La tendance est désormais aux contrôles réalisés dans des domaines déterminés par le Ministère et répondant, selon les syndicats CGT, CFDT, FSU et Sud Travail, à des commandes politiques, déconnectées des demandes des salariés. « S’agissant de la « perte de sens »(dont se plaignent les contrôleurs et inspecteurs, ndlr), l’inspection du travail est l’un des corps qui a fait l’objet du plus d’efforts budgétaires et administratifs de toute la fonction publique lors de ces dernières années, le passage des contrôleurs de B en A [2] , dans le cadre du plan Sapin en est l’illustration, plaide Jean-Denis Combrexelle. Un plan qui s’inscrit dans une réforme plus vaste sur le « ministère fort » qui vise à donner tout son sens et sa légitimité à l’action de l’inspection du travail ». Cet argumentaire ne passe pas. En février, une grève a mobilisé inspecteurs et agents de contrôle contre la réforme Sapin. « Je n’ai jamais vu autant de colère en trente ans d’inspection, assurait Gérard Filoche, ancien inspecteur et membre du bureau national du PS, dans une tribune pour le site internet du Nouvel Obs à l’issue de la mobilisation. (…) Il s’agit tout d’un simplement de l’assassinat de l’inspection du travail indépendante telle qu’elle existe depuis la Seconde guerre mondiale. Et le coup vient d’un gouvernement de gauche ».
Notes
[1] Réglementation établie après un rapport rédigé par l’Institut national de recherche et sécurité (INRS) portant sur le retrait de matériaux amiantés friables et non friables, et qui montrait des taux de fibres trop élevés par rapport aux recommandations d’exposition sanitaire de l’OMS.
[2] B et A sont des grades de la fonction publique. Par la réforme Sapin, des contrôleurs de grade B vont devenir inspecteurs (de grade A) sans passer par un concours.
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