Cent jours après sa prise de fonction comme président de l'Ukraine, Viktor Ianoukovitch est loin de faire l'unanimité dans son pays. Le chef de l'Etat, qui prônait au soir de sa victoire l'équilibre entre Est et Ouest, se retrouve aujourd'hui accusé de brader l'indépendance du pays, au profit de la Russie.
De notre correspondant à Kiev, Camille Magnard.
Après cinq ans de conflits russo-ukrainiens récurrents, les relations entre les deux pays sont de nouveau au beau fixe. Une bonne nouvelle pour la stabilité de la région, mais à quel prix pour l'Ukraine ?
Virage géopolitique vers Moscou
En avril dernier, en signant les accords de Kharkiv, le président ukrainien a provoqué un tollé dans une large partie de l'opinion : il a cédé à la Russie le stationnement de la base militaire russe à Sébastopol jusqu'en 2042, soit 25 ans de plus que prévu. Certes, en échange, Viktor Ianoukovitch a obtenu un rabais de 30% sur les prix du gaz russe, mais pour nombre d'analystes, cette transaction est très clairement en défaveur de l'Ukraine. Autre signe fort, l'Ukraine de Viktor Ianoukovitch a officiellement renoncé cette semaine à rejoindre l'Otan. L'adhésion à l'Alliance atlantique, c'était un symbole fort d'ancrage stratégique à l'Ouest, voulu par l'ancien président orange Viktor Iouchtchenko. Ce renoncement est donc victoire pour le tandem Poutine-Medvedev qui voit d'un très mauvais œil l'emprise de l'Otan sur sa sphère d'influence postsoviétique.
Mais c'est sur le plan économique que le rapprochement russo-ukrainien se confirme. Selon la presse ukrainienne, des capitaux russes dissimulés sous des montages financiers opaques ont pu acquérir, avec la bénédiction du pouvoir ukrainien, deux des plus grands groupes métallurgiques du pays. Au-delà de ces négociations en sous-main, les accords économiques et stratégiques se multiplient entre Kiev et Moscou, alors que se dessine un très polémique rapprochement entre les deux compagnies gazières nationales, Gazprom et Naftogaz. Ces signes ayant passablement inquiété l'Union européenne, Viktor Ianoukovitch ne cesse de rassurer ses partenaires à l'Ouest. L'adhésion de l'Ukraine à l'UE reste, selon le président, la priorité de son équipe. Mais au sommet de l'Etat, on cache mal son agacement devant la lenteur des négociations avec Bruxelles, ralenties par le manque de coopération des Ukrainiens face aux exigences européennes en matière de réformes administratives et judiciaires.
Une situation économique qui reste fragile
Si la baisse significative des prix du gaz a permis à Viktor Ianoukovitch de boucler le budget 2010, les belles promesses sociales des élections passées ne semblent plus d'actualité : elles iraient à rebours des recommandations du FMI, qui hésite encore à verser la dernière tranche du prêt concédé à l'Ukraine en 2008. Chez les investisseurs étrangers, l'impatience est également perceptible devant les manquements du gouvernement ukrainien, qui ne s'acquitte plus depuis des mois du remboursement de la TVA et fait désormais la part belle aux intérêts russes.
« Poutinisation » du pays ?
Face à un pouvoir exécutif fort et uni, le Parlement se met progressivement au pas. Par un habile tour de passe-passe constitutionnel, Viktor Ianoukovitch a réussi à rallier un bon nombre de députés autrefois dans l'opposition, ce qui lui assure une large majorité au sein de l'Assemblée. Sa rivale lors de l'élection présidentielle, Ioulia Timochenko, n'a pas su pour l'instant prendre la tête d'une opposition désunie et affaiblie. Viktor Iouchtchenko, l'ancien président, est quant à lui quasi-absent de la scène politique.
La fronde viendrait donc plutôt de la société civile et des médias, qui se dénoncent de concert d'atteintes croissantes aux libertés dans le pays. Plusieurs journalistes de renom ont d'ailleurs lancé un appel intitulé « Stop censure » : le pouvoir en place, avec la complicité des oligarques propriétaires des principaux groupes de presse, tenterait trop régulièrement de faire passer en force ses messages, notamment sur les plateaux de télévision, principal média de masse en Ukraine. Affaiblissement de l'opposition, union sacrée des milieux d'affaires, et pressions sur les médias : 100 jours après l'arrivée au pouvoir de Viktor Ianoukovitch, nombreuses voix en Ukraine disent craindre une « poutinisation » progressive du pays.
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