conflit . Alors que les violences ethniques continuent, la population forme des milices pour se protéger.
Par MATHILDE GOANEC Envoyée spéciale à Bichkek
Les Kirghiz et Ouzbeks vivent côte à côte depuis des décennies, parlent une langue très proche et partagent la même religion musulmane. Pourtant jour après jour, les morts s’accumulent et la haine grandit. Après cinq jours de violents affrontements ethniques dans le sud du Kirghizistan, la situation est loin de se calmer, la majorité de la population étant prise au piège des bandes radicales qui ont déclenché les hostilités.
A Djalalabad, les Ouzbeks ont organisé pour se défendre des milices populaires, des groupes d’hommes armés qui sillonnent les rues pour protéger leurs proches des attaques, des pillages et des incendies. Certains groupes appelés les «drujinis» sont mixtes, Kirghiz et Ouzbeks unis pour «défendre leurs maisons, leurs quartiers», raconte un témoin. Selon un Occidental évacué d’Och dimanche, une certaine résistance multiethnique existe également au sein de la capitale du sud : «J’ai eu la chance de me réfugier dans un quartier mixte, ouzbek et kirghiz, épargné par les affrontements car les habitants des deux ethnies se sont regroupés pour défendre leurs maisons. Quand les groupes armés kirghiz sont venus pour mener des pogroms, les Kirghiz du quartier sont intervenus pour les repousser.»
Difficile pour les habitants de comprendre ce qui est réellement en train de se jouer. Ce n’est pas un hasard si les violences de ces derniers jours ont lieu dans la vallée de la Ferghana, un territoire riche et fertile, morcelé depuis 1991 entre trois pays, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Kirghizistan. Les Ouzbeks, cultivateurs sédentaires, réputés pour leur sens du commerce, se sentent ici chez eux, et remettent en cause la légitimité sur ce territoire des Kirghiz, ancien peuple de bergers nomades. Les réfugiés ouzbeks de ces derniers jours, massés à la frontière avec l’Ouzbékistan, craignent d’ailleurs de ne pas retrouver terres et maisons à leur retour.
Car à Och comme à Djalalabad, il semble que le seul réel moyen de se défendre soit désormais de fuir. Nombre d’habitants ouzbeks de Och ont déjà quitté les lieux, laissant derrière eux des quartiers entièrement détruits. «Aujourd’hui encore la situation n’est pas claire, il y a des gens armés qui se rassemblent dans la rue, je peux les voir depuis ma fenêtre, tout le monde est très nerveux, raconte Alisher. Notre quartier, entièrement ouzbek, est bloqué mais j’ai réussi à faire partir ma femme et certains de mes enfants vers la frontière avec l’Ouzbékistan.» Tattabubu, kirghize, pense elle aussi quitter la ville, mais les dangers sur la route la font hésiter : «Samedi, à trois heures du matin, c’était la vraie panique. J’habite dans un quartier plutôt kirghiz. Tout le monde appelait en disant que des Ouzbeks allaient venir avec des armes, alors on a rassemblé nos affaires.» La jeune femme a des larmes dans la voix : «Mais où va-t-on aller ? L’aéroport est trop loin, et c’est trop dangereux avec les enfants car on doit traverser des villages ouzbeks… On ne sait pas quoi faire car on commence à manquer de nourriture.» Une aide humanitaire a commencé à s’organiser depuis le nord du pays pour envoyer des vivres au sud, privé de tout. «De la farine, des pâtes, du lait… Pour les Kirghiz, comme pour les Ouzbeks», assure Oumarali Iferman, un responsable de convoi, à Bichkek.
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