Lundi et mardi, le président ukrainien reçoit pour la deuxième fois son homologue russe, Dmitri Medvedev, dans un climat intérieur tendu. Cinquante jours à peine après son intronisation, Viktor Ianoukovitch est accusé de brader l’indépendance politique de l’Ukraine, et présenté par une partie de la presse comme le plus pro-russe des présidents ukrainiens depuis l’indépendance du pays.
Accords de Kharkiv
Ce sont les récents accords de Kharkiv qui ont mis le feu aux poudres: Medvedev avait alors obtenu, contre une remise de 30% sur les prix du gaz pour l’Ukraine, le maintien de la basse militaire russe de Sebastopol jusqu’en 2042. Cette décision, qui selon nombre d’analystes, annule tous les espoirs de voir un jour l’Ukraine entrer dans l’OTAN, a provoqué la colère d’une partie de l’opinion ukrainienne et des députés de l’opposition. L’accord a pourtant été avalisé à toute vitesse par le parlement quelques jours plus tard, dans le chaos le plus complet, sous les jets d’œufs et les fumigènes.
Le menu de la visite cette fois-ci pourrait s’avérer tout aussi explosif. En négociation, une nouvelle coopération dans le domaine des sciences et de l’éducation, mais aussi et surtout la délimitation des frontières russo-ukrainiennes. Les deux pays se battent depuis la fin des années 1990 pour le contrôle du détroit de Kerch, entre la mer d’Azov et la mer Noire, un débouché maritime très stratégique pour la Russie. «La non-délimitation des frontières est un risque pour les Russes comme pour les Ukrainiens, il est donc capital de régler cette question, estime Mikhaïl Pachkov, expert en relations internationales à l’Institut Razumkov, à Kiev. Mais dans ce domaine, comme dans celui de l’énergie, il est aussi important de défendre les intérêts de l’Etat ukrainien.»
Ioulia Timochenko, cheffe de file autoproclamée de l’opposition, a d’ores et déjà mis en garde les Ukrainiens sur la chaîne de télévision Inter ce week-end. «Il est question ici de perte de territoire», a menacé l’ancienne première ministre, faisant allusion à l’île de Tuzla, située au milieu du détroit de Kertch, et aux réserves de gaz et d’hydrocarbures qui dorment en dessous. L’opposition, disparate et désunie, évoque également la possibilité de voir signés lors de cette visite des «accords secrets», qui concerneraient notamment la possible prise de contrôle par Gazprom, compagnie énergétique russe, de Naftogaz, son équivalent ukrainien. Vladimir Poutine, le premier ministre russe, en bon provocateur, a évoqué cette idée il y a quelques jours, ajoutant à la nervosité ambiante. Vendredi, selon l’AFP, le chef de l’administration présidentielle russe, Sergueï Narychkine, a supposé que «les deux présidents n’ignoreront pas ce dossier» et des manifestations sont d’ailleurs prévues aujourd’hui à Kiev, en signe de protestation.
Inquiétude des européens
Les accords signés aujourd’hui lundi et demain mardi seront aussi surveillés de près par les chancelleries européennes, où l’on s’inquiète de ce rapprochement à marche forcée vers la Russie, bien loin du discours d’équilibre et de neutralité développé par Ianoukovitch pendant toute sa campagne électorale. «Sous le régime orange (ndlr: pendant la présidence de Viktor Iouchtchenko, de 2005 à 2010), les relations russo-ukrainiennes étaient gelées, à part dans le domaine économique. Nous assistons aujourd’hui à l’intensification de nos relations avec Moscou, rappelle Mikhaïl Pachkov. C’est important, notamment pour la stabilité du continent européen. Mais cette relation doit être celle de deux partenaires égaux, alors que nous sommes actuellement dans une réelle asymétrie.»
Mathilde Goanec.
En version radio, ça donne un Q/R de 4 minutes, en direct sur RFI lundi matin. A écouter ici:
BONJOUR_L_EUROPE_17_05_2010_Camille_Magnard
A retrouver aussi sur: http://www.rfi.fr/contenu/20100517-le-president-russe-dmitri-medvedev-rend-ukraine
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