C’est l’histoire rocambolesque d’un rocher minuscule sur la Mer Noire, objet de toutes les convoitises entre la Roumanie et l’Ukraine… L’Ile des serpents, située à 40 kilomètres des côtes ukrainiennes et roumaines, doit son nom énigmatique aux milliers de couleuvres qui la peuplaient, avant que les hommes n’y posent le pied. Aujourd’hui, la faune de ce territoire grand comme trois terrains de football n’intéressent plus personne. En revanche, ses fonds sous-marins font saliver Bucarest et Kiev, car ils recèlent du gaz et du pétrole en quantité astronomique. Et, si l’Ile des serpents est sans conteste ukrainienne, qui de la Roumanie ou de l’Ukraine possède les eaux territoriales au sud de l’îlot? Où se situe la frontière maritime entre ces deux pays ? La Cour Internationale de justice de La Haye a tranché hier, en traçant à égale distance la frontière au milieu de la Mer Noire, de part et d’autres des côtes des deux pays et des eaux territoriales de l’île.
Le conflit autour de l’Île des serpents commence en 1997. L’Ukraine, fraîchement indépendante, établit formellement avec la Roumanie le tracé des frontières communes. En réalité, la question de l’Ile des serpents reste en suspens et ne cessera de parasiter les relations diplomatiques entre Kiev et Bucarest. Pour l’Ukraine, l’îlot est une île à part entière et la frontière maritime avec la Roumanie doit donc passer au large des eaux territoriales, laissant à Kiev l’entière jouissance des ressources énergétiques sous-marines. Conscients de l’intérêt stratégique majeur de ce confetti de terre et de roc, les Ukrainiens ont d’ailleurs entrepris le peuplement de l’Ile des serpents, où réside aujourd’hui une centaine de militaires et de scientifiques. Pour le pouvoir roumain, l’Ile des serpents n’est qu’un vulgaire caillou, qui ne peut en aucun cas influencer le tracé d’une frontière maritime. Hier, les juges de La Haye, tout en reconnaissant le caractère insulaire de l’Ile des serpents, ont estimé que ses côtes n’entraient pas dans le calcul du tracé frontalier. Un camouflet pour l’Ukraine, sans être pour autant une victoire totale pour la Roumanie, qui obtient selon son représentant à La Haye, Bogdan Aurescu, « 80 % du territoire maritime disputé ». Alexandre Koupchichyn, Vice-ministre des affaires étrangères ukrainiens, a quant à lui estimé que « cette décision est un compromis sage » et que « les deux parties se plieront au jugement ».
La fin du conflit signifie surtout pour les deux pays le début de l’extraction des ressources énergétiques. L’Ukraine comme la Roumanie cherche par tous les moyens à réduire sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. Les grandes compagnies comme Total ou Shell, qui depuis des années rongent leur frein, pris dans la querelle ukraino-roumaine, se frottent aussi les mains, devant les 100 milliards de mètres cubes de gaz et les 10 millions de tonnes de pétrole brut qui dorment sous les eaux.
Si le sort de l’Ile des serpents semble pour l’instant réglé, la question des frontières va hanter pour longtemps encore la diplomatie ukrainienne. Côté roumain, la frontière devrait certainement évoluer, au vu du sol très mouvant du Delta du Danube, qui ne cesse de s’étendre. Côté russe, c’est l’île de Touzla qui pose problème. Cette bande de sable, située sur la frontière au milieu du très stratégique détroit de Kertch, à l’extrême est de la Crimée, est une véritable pomme de discorde entre Kiev et Moscou. Du travail en perspective pour les juges de La Haye, qui règlent, près de 20 ans après, des conflits hérités du démantèlement de l’Union soviétique.
UN coin charmant à voir pendant qu'il est encore temps, quoi...
Rédigé par : Elo | samedi 07 fév 2009 à 11h46