L'image de son visage rongé par la maladie est restée, dans le monde entier, comme le symbole de la Révolution Orange. Le diagnostic des médecins, empoisonnement à la dioxine, avait conforté le mythe de l'homme qui s'élève face au pouvoir criminel post-soviétique. Quatre ans plus tard, alors que le président ukrainien est de plus en plus isolé politiquement, une voix s'élève contre la thèse officielle de l'empoisonnement. Et pas n'importe laquelle : celle de David Jvania, qui était pendant la Révolution Orange le bras droit de Iouchtchenko.
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L'affaire semblait entendue, et la légende presque cousue de fil blanc : le 5 septembre 2004, en pleine campagne présidentielle, le candidat Viktor Iouchtchenko dîne avec les chefs des services secrets ukrainiens, dans la datcha de l'un d'entre eux.
Le lendemain, il tombe gravement malade, et est hospitalisé le 10 septembre dans une clinique privée autrichienne. Là, on lui diagnostique une mystérieuse et foudroyante maladie qui ravage son pancréas et son foie. Son visage, grêlé par une acnée chlorique, en garde aujourd'hui la trace, malgré plusieurs interventions chirurgicales.
Dès son retour en Ukraine, une semaine plus tard, Iouchtchenko dépose plainte pour empoisonnement. En pleine campagne présidentielle, l'affaire est bouclée faute de preuves. Elle sera relancée quelques mois plus tard, quand, élu président, Iouchtchenko fait rouvrir l'enquête. Depuis, plusieurs expertises menées par des médecins européens semblaient faire autorité pour confirmer cette thèse.
Terrorisme médiatique
Et pourtant. Depuis quelques semaines, des doutes se font entendre autour de ce qui s'était imposé comme une évidence dans l'opinion ukrainienne et les médias internationaux. David Jvania, député, oligarque d'origine géorgienne, et surtout très proche de Iouchtchenko à l'époque des faits, est devenu dans les médias ukrainiens le principal pourfendeur de la théorie de l'empoisonnement.
Il était présent lors du fameux dîner du 5 septembre. « C'est moi qui l'ai organisé », reconnaît-il. Mais « tant qu'il n'aura pas été prouvé juridiquement qu'il s'agit d'un empoisonnement, et qu'on n'aura pas établi avec certitude l'endroit et la date des faits, je ne parlerai pas d'empoisonnement, martèle l'ancien trésorier de la campagne de Iouchtchenko. En attendant, pour moi, tout cela n'est qu'une lamentable opération de terrorisme médiatique. »
Pour celui qui a été dans le dernier cercle autour de Iouchtchenko, qui est même le parrain de son plus jeune fils, les expertises médicales n'ont pas de valeur. « Aucun établissement en droit de tirer de telles conclusion n'a établi officiellement la présence de dioxine dans le corps de Iouchtchenko. Au mieux, les médecins interrogés en Europe on dit qu'un empoisonnement à la dioxine pouvait correspondre avec ses symptômes, affirme Jvania. Mais aucun document officiel ne l'atteste. »
Le mythe de l’empoisonnement
David Jvania énonce des doutes plutôt que des certitudes. C'est assez pour faire perdre patience à l'entourage du président, et à une justice toujours intimement liée au pouvoir. « Chaque politicien construit son mythe. L'homme empoisonné, c'est un élément fondamental de l'image de Iouchtchenko, analyse le journaliste d'investigation Sergiy Leschenko, qui a passé plus de 13 heures dans les bureaux des enquêteurs, juste pour avoir publié une interview de Jvania. Il semble que le secrétariat présidentiel a peur que cette affaire d'empoisonnement puisse être utilisée contre Iouchtchenko. L'année prochaine auront lieu des élections présidentielles, alors ils passent à l'action. »
L'action, pour David Jvania, consiste à faire pression, au moyen de l'enquête, sur les proches du président, et au passage sur les journalistes comme Sergiy Leschenko. « Très vite, l'enquête a dépassé les limites de la simple instruction judiciaire. C'est devenu un instrument de pression politique : les téléphones ont été mis sur écoute, plus de 500 personnes ont été inquiétées », dénonce Jvania, qui refuse à présent de répondre au « spectacle » de la justice.
« Cette enquête ne mène plus à rien, reconnaît Sergiy Leschenko. Depuis 4 ans, elle se concentre sur la thèse de l'empoisonnement à la dioxine au cours du fameux dîner à la datcha de Satsiuk, [le directeur adjoint des services secrets à l'époque] mais ils n'ont pu trouver aucune preuve, ni aucun témoignage fiable étayant cette thèse. »
Une enquête qui s'obstine et ne progresse plus, Satsiuk et d'autres participants au souper étant aujourd'hui protégés par leur nouvelle citoyenneté russe.
Suspect n°1
Il y a pourtant bien un nouvel élément qui relance l'enquête. A présent, un suspect semble désigné : David Jvania lui-même, que Viktor Iouchtchenko accuse à présent publiquement d'être impliqué dans son empoisonnement. Après tout, c'est bien lui qui a organisé le dîner du 5 septembre 2004. « Oui, mais tout cela, se défend le député, Iouchtchenko le savait depuis 4 ans, pourquoi ne l'a-t'il pas dit avant ? De plus, ses accusations partent du principe que c'est à ce dîner précisément qu'il a été empoisonné, ce qui n'a pu être formellement établi par personne. Ce jour-là, Iouchtchenko a participé à 4 repas, à 4 endroits différents avec des personnes différentes... », ajoute le nouveau « suspect n°1 ».
Les représailles semblent donc bien opportunistes. Dans le même temps, David Jvania est sous le coup d'une procédure juridique remettant en cause sa citoyenneté ukrainienne. La preuve, selon lui, qu'il dérange, dans le scénario politique imaginé par son ancien ami.
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