La deuxième mort de Guéorgui Gongadzé
Article publié dans Libération, le 18 mars 2008,
La version russe, sur le site internet d'INOPRESS, envoyée par une amie ukrainienne. A vos dicos...
L'affaire Gongadzé n'est pas une affaire classée
Le meurtre du journaliste d'opposition Géorgui Gongadzé, retrouvé décapité en novembre 2000 est devenu le symbole des dérives du régime post-soviétique corrompu de Léonid Koutchma. Après la « révolution orange », la relance apparente de l'enquête par le nouveau pouvoir a finalement bien conduit à un procès et à un jugement : les trois anciens policiers reconnus coupables de l'assassinat ont été condamnés samedi 15 mars à des peines de 13 et 12 ans de prison. Mais pour les proches du journaliste assassiné, le combat pour la justice ne s'arrête pas là, pas tant que les commanditaires du crime ne seront pas identifiés et condamnés.
par Camille Magnard
Article publié le 16/03/2008 sur www.rfi.fr
Le corps, difficilement identifiable, et une série de rebondissements impliquant directement Koutchma, ont fait de ce crime le déclencheur d'une vague de colère contre un pouvoir ukrainien sclérosé et corrompu. Ce n'était pas encore la « révolution orange » de 2004, mais le mouvement « l'Ukraine sans Koutchma », qui avait rassemblé dans les rues de Kiev des milliers de manifestants à l'hiver 2000-2001.
Dès le 12 décembre 2000, le député socialiste, Olexandre Moroz, faisait entendre au Parlement ukrainien une cassette audio, un enregistrement effectué dans le bureau du président par l'un de ses gardes du corps. Sur la bande, on croit reconnaître la voix de Koutchma ordonnant de livrer Gongadzé « aux Tchéchènes », ces derniers étant réputés pour éxécuter les basses oeuvres.
Inaccessible vérité
Aujourd'hui encore, dificile de savoir si la voix enregistrée était bien celle du président ; certains, dont la mère de la victime, Lessia Gongadzé, gardent même des réserves sur l'identification du cadavre. La tête manquante du corps n'a jamais été retrouvée. Poussive, embarrassée quand elle n'est pas tout simplement étouffée par le parquet général, l'enquête sur l'assassinat du journaliste peine à apporter un éclairage satifaisant sur les circonstances du crime.
Par deux fois, les témoignages de deux personnages de haut-rang supposés avoir connaissance de l'identité des commanditaires ont échappé au dossier. Celui d'abord du général Oleksey Poukatch : chef des services de surveillance au ministère de l'Intérieur, supérieur hiérarchique des trois anciens policiers condamnés, il est porté disparu depuis que la justice a fait mine de s'intéresser à son rôle apparemment décisif dans le crime. Puis, en mars 2005, c'est le précieux témoignage de l'ancien ministre de l'Intérieur, Iouri Kravtchenko, qui échappe à l'instruction : convoqué par la justice, l'homme est retrouvé mort à son domicile. Officiellement, un suicide qui laisse deux traces de balles sur le crâne de la victime.
Affaire classée?
Huit ans de lutte désespérée pour la justice, de tribunes en silences, de persévérance en abattement : pour les proches de Guéorgui Gongadzé, sa veuve Myroslava et sa mère Lessia, le verdict de ce samedi 15 mars 2008 n'est qu'accessoire, tout comme l'était le rôle des condamnés dans l'assassinat. Les trois anciens policiers comptent d'ailleurs faire appel de la décision, précisément par ce que « la peine est trop sévère compte-tenu [de leur] rôle secondaire », selon l'avocat de l'un d'eux.
La partie civile, elle, ne fera pas appel. Le véritable combat n'est pas là, mais dans la vraie enquête qui reste à mener, celle qui vise les commanditaires de ce crime sur ordres. Même si elle se poursuit en théorie, l'instruction est « de facto au point mort », alerte l'avocate de la veuve Gongadzé, Valentyna Telytchenko. « Malheureusement, les commanditaires et d'autres participants qui sont maintenant des personnes publiques, ne sont toujours pas inquiétés », s'est également émue le Premier ministre ukrainien, Ioulia Timochenko, à la clôture du procès. Avant de reconnaître que « cette histoire n'est pas encore finie ».
Pour les proches du journaliste assassiné, comme pour tous ceux qui attendent que toute la lumière soit faite sur l'une de pages les plus sombres de la politique ukrainienne d'après l'URSS, la chose est entendue : au-delà du procès qui s'achève et des peines prononcées, le combat reste à mener pour ne pas faire de l'affaire Gongadzé une affaire classée.
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