Notre venue au Kazakhstan se fait dans une periode ou le pays fait parler de lui sur divers fronts; une fusee Proton en partance de la base de Baykonour explose en vol et retombe en pieces detachees sur la steppe kazakhe, heureusement deserte (le pays, immense, n'heberge que 16 millions d'habitants); l'equipe nationale de foot epingle les diables rouges belges, 2-2, en match de qualification de l'Euro 2008: a quand un 11 kazakhe dans les plus hautes spheres du foot mondial ? Bientot, parait-il...
Enfin, et surtout, c'est de Kashagan dont il est beaucoup question en ce moment: Kashagan, c'est le nom d'un gigantesque gisement petrolier offshore situe sur la mer Caspienne, considere comme le plus prometteur que l'on ait decouvert depuis les annees 60 dans le monde... 13 milliards de barils de réserves de brut exploitables, voila ce dont il est question: pour les compagnies petrolieres occidentales, c'est une part non negligeable de leurs perspectives de croissance, pour l'Etat kazakh, c'est une rente energetique de plus, le pays etant deja riche grace a ses reserves de gaz naturel, de quoi financer l'avenir radieux du pays.
Pour construire et exploiter le gisement, un consortium d'entreprises internationales s'est constitue autour de grands groupes petroliers, le Kazakhstan n'etant pas capable seul de mener a bien ce chantier tres technique de par son envergure et le fait que la mer gele la-bas une bonne partie de l'annee. ENI l'italien assume la responsabilite d'operateur des travaux, et se partage la grosse part du gateau avec trois autres operateur, l'anglo-neerlandais Shell, l'americain EXXON, et, bien sur, le francais TOTAL, tous a egalite avec 18,52% des parts. A titre indicatif, Total compte tirer de sa participation dans Kashagan une production de 250 000 barils par jour, soit pas moins de 10% de la production actuelle du groupe. Parmi les moindres collaborateurs du consortium nomme KCO, on trouve la société d'hydrocarbures de l'Etat kazakh, Kazmounaïgaz, a 8,33% des parts.
Depuis plusieurs mois deja, l'on sentait que l'Etat Kazakhe voulait revoir a la hausse ses profits dans le gisement. La hache de guerre a ete deterree par le gouvernement kazakhe fin aout, avec la suspension du chantier pour trois mois sur decision de justice, sur le pretexte qu'Eni ne respectait pas les normes environnementales en vigueur dans le pays. Mais depuis, les revendications kazakhes se sont faites plus precises: le pays réclame bel et bien que sa part dans les profits pétroliers de Kashagan passe de 10% à 40%, et que son entreprise Kazmounaïgaz co-dirige le consortium international aux cotes d'ENI. En clair, le Kazakhstan veut remettre la main sur son tresor petrolier, et met la pression sur ses partenaires internationaux. Poutine avait fait la meme chose en Russie, pour le gisement de Sakhalin-2, en 2006, degageant Shell pour faire la place a Gazprom.
Mais le Kazakhstan n'est pas le Venezuela, et la manoeuvre kazakhe s'appuie sur d'autres faits, d'autres chiffres; l'exploitation du gisement de Kashagan devait initialement demarrer en 2005. elle a ete dernierement repoussee a 2010, ce qui n'est pas anodin quand on suit les cours du baril de petrole depuis 2005, et que les projections sur l'evolution de la courbe dans les prochaines annees prevoient plutot son inflechissement. le Kazakhstan a beaucoup perdu dans ce retard, et ce n'est pas tout: la facture du chantier mene par ENI est passee, du fait des contraintes techniques couteuses et de l'augmentation generale des couts de ce type constructions, de 57 milliards de dollars a 136, selon le gouvernement kazakhe. comme nous le confiait ces derniers jours a Astana un senateur kazakhe soucieux de faire comprendre le point de vue de son pays : "Qu'est-ce que vous diriez, vous, si vous faisiez construire une belle maison et que l'on vous annonce que le chantier a un tel retard, et qu'il va finalement vous couter trois fois plus cher ?" Le ministre des finances kazakhe, quelques jours plus toit, jouait la corde sensible: tous ces delais supplementaires, ces surcouts monumentaux, c'etait "avant tout des ecoles, des hopitaux en moins de construits", et dont les kazakhes ont bien besoin.
Dans ce climat, les negociations courtoises se sont accelerees ces derniers jours entre le gouvernement kazakhe et la direction d'ENI. L'ultimatum est le suivant: si le groupe italien, et derriere lui le consortium KCO, n'acceptent pas les conditions kazakhes (co-direction de Kazmounaïgaz, augmentation substencielle de la part kazakhe dans les profits d'exploitation et sans doute versement de pres de 10 milliards de dollars de compensation) avant le 22 octobre, un mysterieux "plan B" sera enclenche. Qui impliquerait sans doute l'eviction pure et simple d'ENI. Le Parlement Kazakh a d'ailleurs fait savoir dernierement qu'il etudiait une proposition de loi facilitant la rupture de contrats passes avec des entreprises etrangeres sur l'exploitation des matieres premieres. Touts ressemblances avec une situation existante est bien sure purement fortuite...
Camille MAGNARD, avec AFP (Antoine Lambroschini), REUTERS et Regis Gente
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