Secoué par deux conflits politiques majeurs en deux ans, le Kirghizistan peine à s’installer dans la stabilité. La nouvelle constitution, signée jeudi par le Président après une semaine de manifestions à Bishkek, suffira t-elle à sortir le pays de sa transition post-soviétique ? Ambiance kermesse, jeudi, sur la place Ala Too de Bishkek, la capitale. Ballons, colombe blanche, immenses banderoles et défilé de chanteuses populaires sur la tribune, les leaders du mouvement « Pour les réformes » fêtent leur « victoire ». La Constitution qu’ils ont proposée a été adoptée par une grande majorité au Parlement, et le Président a fini par plier. Il aura fallu huit jours de manifestations, de nombreuses volte-faces dans les négociations, et au final la menace d’un basculement dans la violence mardi pour que les deux camps parviennent à un compromis. A minima. Que reste-t-il en effet dans le texte constitutionnel signé jeudi par Bakiev des revendications du mouvement « Pour les réformes » ? La nouvelle Constitution du Kirghizistan est mixte, « présidentielle-parlementaire », alors que c’est un système purement parlementaire que réclamaient les opposants. Un meilleur équilibre entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire est mis en avant. Reste que Bakiev garde son poste malgré le désaveu maintes fois répété sous ses fenêtres d’une partie de la population, conserve la grande majorité de ses prérogatives, et obtient au passage des garanties sur son maintien au pouvoir. Il a ainsi éloigné la menace d’une procédure d’impeachment, qui nécessitera selon les termes du nouveau texte l’approbation des ¾ du Parlement pour être mise en application. Les revendications de lutte contre la corruption, de réformes économiques et de libéralisation de la chaîne de télévision nationale, ne sont semble-t-il plus à l’ordre du jour. Le prix du compromis Dès lundi, les députés de l’opposition avaient senti le vent tourner, et compris que la mobilisation devrait se faire au Parlement autant que dans la rue. Ils prenaient alors l’initiative en provoquant, en pleine nuit, une session parlementaire exceptionnelle. Et en y proposant un projet constitutionnel alternatif a celui présenté le matin même par Bakiev. Pour le symbole, ce texte était celui rédigé au lendemain de la « Révolution des Tulipes » par une commission ad hoc. Il était donc bien question de revenir aux promesses de mars 2005. Bakiev, mis sur la défensive, réagissait immédiatement mardi matin, et l’on voyait se tenir les premières contre-manifestations devant le Parlement, à quelques mètres de la place Ala-Too. Provocations entre les deux cortèges, interposition des forces de l’ordre prise de court, six blessés légers à la fin de la journée. Le soir même, les leaders de l’opposition, grise mine, lançaient des appels au calme à la foule, qui sentait bien que Bakiev venait de reprendre la main. Pour espérer sortir indemne de la confrontation, il allait falloir aller au compromis. « Le maintien de Bakiev et de son premier ministre Félix Koulov à leur poste jusqu’à la fin de leur mandat a été le prix du compromis », déclarait jeudi Omurbek Tekebayev, député de Jalalabat et figure de l’opposition. Sa camarade, Rosa Otoumbaeva, justifie aussi l’accord trouvé avec le chef d’Etat par la nécessité de réformer « pas à pas » le système politique : « Nous avons un tel fossé à franchir pour passer d’un régime autoritaire à un régime parlementaire qu’il faut y aller par étapes. De notre succès dépendra aussi le développement de la région toute entière ». La population se raccroche à cette idée que la constitution est le principal moteur de changement, en espérant que le reste suivra. Ainsi, cette mère de famille : « Pour moi, je ne crois pas que ça changera beaucoup de choses. Mais pour nos enfants, c’est important ». Quand au maintien du duo exécutif, les manifestants font également preuve de réalisme, sans toutefois cacher leur défiance intacte vis-à-vis de Bakiev. « C’est une victoire pour le Président autant que pour l’opposition. Mais j’espère qu’il finira par partir tout seul, car il a perdu la confiance du peuple », confie Aïdar, qui a campé sur la place Ala-Too toute la semaine. Beaucoup disent vouloir rester vigilant. Selon, Azamat, 21 ans, « si l’opposition ne respecte pas ses promesses, le peuple sortira à nouveau dans la rue pour l’éliminer du pouvoir. Maintenant, nous allons revendiquer nos droits ». Mathilde GOANEC et Camille MAGNARD, pour Colisee.org
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