La crise enfle encore à Bishkek, capitale du Kirghizistan, petite république de l’ex-Union soviétique. Désormais, les manifestants réclamant le départ du président Kourmanbek Bakiev font face à ses partisans, tout aussi déterminés. Hier, la police a fait dégager la foule près du Parlement en tirant à l’aide de pistolets à gaz, provoquant un mouvement de panique et faisant six blessés légers.
Six jours déjà que plusieurs milliers de kirghizes réclament dans la rue la démission du président Kourmanbek Bakiev. Ce mardi, les manifestants, massés devant le Parlement, ont fait face aux militaires, à la police, et à quelques contre-manifestants venus soutenir leur président. Soudain, coups de tonnerre. Ce sont les tirs de pistolets à gaz qui résonnent contre les façades alentours. Pris de panique, les manifestants se dispersent en courant. Il y aura au final six blessés légers, rattrapés par les balles en caoutchouc tirées par les forces de l’ordre pour éloigner la fronde. Retour vers la place Ala-Too, QG des opposants, à quelques centaines de mètres de là.
L’esplanade s’est transformée depuis jeudi en une petite cité de toile. Sous la centaine de tentes igloos ou à l’abri des yourtes posées sur le bitume, quelques milliers de personnes réclament le départ de Bakiev. Porté au pouvoir lors de la « Révolution des Tulipes » en mars 2005, l’homme du changement ne fait plus l’unanimité dans son pays. Il doit faire face au mouvement « Pour les réformes », formé par ses anciens camarades, devenus de farouches opposants. « Bakiev, dégage ! », est le seul mot d’ordre, inlassablement répété par les orateurs à la tribune.
La contestation se cristallise autour de la réforme constitutionnelle promise par Bakiev et qu’il tarde à mettre en place. Plus largement, les manifestants évoquent les problèmes qui minent le pays et la région toute entière : corruption, clientélisme, sous-développement chronique et despotisme présidentiel.
Après une bonne mobilisation jeudi, le mouvement s’est essoufflé. Le peuple kirghize, douché par la dernière « révolution », dont il retient surtout les pillages et la violence, ne suit pas. L’opposition, hétéroclite, n’échappe pas aux suspicions de corruption et autres malversations politiques. De grands moyens sont pourtant déployés par le mouvement « Pour les réformes »: repas offert midi et soir sur la place, scène improvisée où se succèdent les chanteurs à succès, discours incessants des leaders pour motiver la rue.
Contre-manifestations
Lundi, le mouvement bascule à nouveau : Bakiev, pressé d’agir, propose enfin un projet de réforme constitutionnel au Parlement. Trop tiède pour ses détracteurs. Bakiev s’emporte et dénonce cette tentative de « coup d’ Etat ». Dans la nuit, poussés par un regain de soutien populaire, les députés de l’opposition reprennent l’initiative : ils provoquent une session extraordinaire et se déclarent Assemblée constituante. « Nous étions sous pression de la foule, et il nous fallait agir tout en respectant notre engagement pour la légalité et la non-violence », explique Rosa Otunbaeva, un des leaders du mouvement « Pour les réformes » Au petit matin, c’est dans une atmosphère d’euphorie qu’on présente aux manifestants la « nouvelle Constitution ». Le texte, rédigé dans la foulée de la « Révolution des Tulipes » mais jamais accepté par le Président, a été ratifié en quelques heures par 38 députés. On est encore loin des 51 signatures nécessaires pour le faire adopter.
La situation se complique encore mardi après-midi avec la formation, à quelques dizaines de mètres de la place Ala-Too, d’un deuxième rassemblement. Les pro-Bakiev, pour majorité venus du Sud natal du président, se sont massé devant le Parlement, où ils ont monté à leur tour quatre yourtes, branché les sonos et déployés les drapeaux. Fort de ces soutiens, Bakiev entend montrer qu’il garde toujours la main. « On veut la stabilité. La stratégie des opposants, c’est de mettre les gens face à face… Qu’ils partent ! », entend-on dans les rangs. « Il faut laisser le temps à Bakiev de réaliser ses promesses », poursuit Daniar, la vingtaine. Trois jeunes femmes scandent le nom de leur président avec chaleur : « Tous ces scandales autour de Bakiev, c’est de la propagande… »
Des deux côtés, on souhaite la « réconciliation du peuple kirghize », comme ce jeune leader du Parti de la jeunesse, Maxat Kourakounov, rallié à l’opposition. En attendant, les provocations de parts et d’autres ne manquent pas, malgré les appels au calme des leaders de l’opposition qui savent que leur mouvement doit rester pacifique pour perdurer. Les six blessés de ce mardi, et les déclarations de Mourat Soutalinov, chef des services spéciaux, menaçant de faire évacuer la place Ala-Too par la force dans la nuit, ne sont pas pour apaiser le climat dans le centre de Bishkek.
Mathilde Goanec et Camille Magnard
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