Sur la route avec nous

BDMT # 5 // « Mathilda, les races existent, c’est écrit dans mon livre »

Cours d’histoire en français, en école kirghize… Leçon du jour, la Shoah. La seconde guerre mondiale, vue du Kirghizistan, ne ressemble pas à celle que j’ai apprise à l’école. Les élèves, entre 15 et 16 ans, sont incapables de me donner une définition des chambres à gaz ou des fours crématoires, n’ont jamais entendu parler d’Auschwitz et assimilent les camps de concentration nazis aux goulags russes. J’explique donc la notion de « génocide », et évoque les critères raciaux dont s’est servi le régime nazi pour commettre l’extermination des peuples dits « inférieurs ». Une des élèves, toujours très vive et réactive, m’interrompt : « La race juive existe, en dehors de la religion. Il y a un type juif : les pieds, le nez, la taille…. ». Je persiste, arguant que le « type juif » n’existe pas et que c'est au nom de pareilles notions raciales qu’ont été commis massacres, esclavages et autres colonisations. Elle ne lâche pas et fait bientôt l’unanimité, appuyée par un professeur appelé par mes soins en renfort : dans les cours de biologie kirghizes, les élèves apprennent qu’il existe trois races, blanche, noire et jaune, et qu’il existe un type juif comme un type français ou africain. Le jour suivant, c’est livre à l’appui que l’élève m’achève, en me montrant une étude (française) de 1902 sur les différents types et nationalités. J’explique alors que le concept de race en France est considéré comme dépassé, car non scientifique, dangereux, discriminant et qu’il est inopérant aujourd’hui, dans des populations largement brassées. Impossible, nous ne nous rejoignons pas. Deux mentalités, deux façons de voir, je reste seule avec mon concept.

Plus tard, j’aurais un début d’explication : les manuels datant du début de l’époque soviétique sont toujours en vigueur au Kirghizistan, faute de moyens pour rééditer de nouveaux manuels. Les programmes n’ont donc pas changé. D’où mon effarement. Et une bonne remise en question sur l’universalité de nos valeurs…

Mathilde

01 mars 2007 dans Bishkek dans ma tete | Lien permanent | Commentaires (4)

BDMT #4 // Le Turkménistan n'a pas attendu le "vote des bêtes sauvages"

« Vous, Koyaga, avez voulu savoir parmi ses collaborateurs qui était son adjoint, son éventuel successeur. Il a souri et vous a répondu qu’il ne choisirait jamais librement et de bon cœur un successeur et il vous a conseillé de ne jamais en désigner un. Parce qu’un successeur, qu’on le veuille ou non, est un concurrent et les peuples arrêtent d’être attachés à un guide dont la disparition cesse d’être une catastrophe pour un pays. »

Ahmadou Kourouma, En attendant le vote des bêtes sauvages, extrait mettant en scène un jeune dictateur africain, venu prendre des leçons auprès d’un plus vieux que lui.

Au moment où nous nous frottons aux dictatures d’Asie centrale, certaines lectures nous rappellent que l’autoritarisme est un art qui a ses codes et ses règles d’or qui unissent tous les despotes, d’Afrique, d’Amérique et d’Asie.

Saparmourat Niazov disparu, le Turkménistan s’est donc « choisi » un nouveau président. Pas le successeur désigné du Turkmenbachi, non : celui-ci a appliqué à la lettre la règle énoncée ci-dessus. Gourbangouli Berdymouhammedov, l’« élu » de dimanche, 89% des voix, était jusqu’alors un honnête ministre éclipsé par l’omniprésent président (omniprésident ?), juste assez discret pour avoir échappé quinze ans durant aux incessantes purges parmi l’élite politique du pays… Autre précepte du parfait despote, cette application à évincer régulièrement tout personnage public ou ministre qui pourrait prendre de l’importance à l’ombre des statues dorées. Saparmourat Niazov a lui poussé cette paranoïa managériale jusque dans les rangs de sa propre famille.

Berdymouhammedov n’était donc pas le successeur désigné de Niazov ; pour la bonne raison qu’il n’en existait pas. C’est dans les heures qui ont suivi la crise cardiaque mortelle du Turkmenbachi, le 21 décembre dernier qu’il l’est devenu. D’autres se sont chargés de lui tailler le costume du parfait héritier. Première étape, se débarrasser du principal prétendant, le président du Parlement, évincé et incarcéré le 22 au matin au nom d’ooportuns motifs judiciaires. Berdymouhammedov endosse sur ces entrefaites la fonction de président par intérim, et c’est lui qui dirige les cérémonies de funérailles du regretté despote. Le symbole de légitimation envoyé à la population turkmène est fort : à l’ère soviétique, pour connaître le successeur du chef, il suffisait de savoir qui organisait son enterrement…

Mais voilà, la Constitution est formelle, le président par intérim ne peut être candidat aux élections prévues le 11 février. Qu’à cela ne tienne, ladite Constitution est modifiée fin décembre. Autre réforme « sur-mesure » : le même jour, l’âge légal d’un candidat est rabaissé de 50 à 40 ans… Faut-il préciser que Berdymouhammedov affiche… 49 ans au compteur ?

C’est donc bien assis sur le trône laissé vide par Niazov que Berdymouhammedov a abordé, et débordé, ce scrutin qui n’en aura pas été un (demandez à l’OSCE si vous me croyez pas).

Alors pourquoi Berdymouhammedov ? Le nouveau président turkmène est, pour certains, une marionnette agitée par un autre: Akmourad Rejepov, le très influent chef des très puissants services secrets turkmènes. Un autre miraculé (mais qui croit encore aux miracles en Asie centrale ?) des années Niazov, dans l’entourage très proche du Turkmenbachi. Et, on le comprend bien, soucieux depuis la mort inopinée de ce dernier d’assurer la continuité du régime et accessoirement de ses colossaux intérêts financiers personnels. 

Ahmadou Kourouma inscrit ses dictateurs dans l’Afrique de la guerre froide. Dans l’Asie centrale ex-soviétique du gaz et du pétrole, on n’a pas de leçons à recevoir de personnes. Pour une version plus locale du propos, et où la triste réalité ne prend pas la peine de se cacher sous la fiction, on conseillera  Murder in Samarkand, de Craig Murray. Ex-ambassadeur britannique en Ouzbékistan, Murray y décrit les mécanismes du système Karimov et les hypocrisies diplomatiques des puissances occidentales. Sa carrière, semble-t’il, en a pris un coup…

Pour ceux qui veulent aller plus loin sur les élections turkmènes, lisez (en anglais) le très complet rapport de l’International Crisis Group sur le sujet.

Camille

17 février 2007 dans Bishkek dans ma tete | Lien permanent | Commentaires (1)

BDMT #3 // FMI, "ket'sin" ?

Le Kirghizistan serait en banqueroute. Felix Koulov, premier ministre, a annonce la nouvelle a la presse affolee la semaine derniere. Avec 2 milliards de dollars de dette exterieure, le Kirghizistan est donc entre de plain-pied dans le club tres select des pays pauvres les plus endettes (PPTE) de la planete... Heureusement pour le petit Etat centrasiatique, la Banque Mondiale  et le FMI veillent au grain et proposent au Kirghizistan une reduction de sa dette, moyennant un controle de l'economie et des institutions, "pour que le pays puisse réduire davantage la pauvreté dans les prochaines annees et repondre aux objectifs du millenaire pour le developpement" (1)

dans les prochaines années et atteindre les objectifs du Millé-
naire pour le développement

Les altermondialistes en ont fait leur bete noire, de ce grand mechant Fond Monetaire International, coupable selon eux de modeler l'economie des pays fragiles a la sauce liberale. En effet, en echange d'une reduction de la dette, l'organisme exige souvent la privatisation totale ou partielle des services publics et impose des restrictions budgetaires lourdes. Les desormais fameux "ajustements structurels".

A Bishkek, nous sommes au coeur de ce debat : "y aller, ou pas". Le Parlement doit donner sa reponse quant a l'adhesion du pays au programme de reduction de la dette le 15 decembre 2006. Quinze ans apres la chute de l'URSS, la menace d'une nouvelle tutelle, cette fois-ci financiere, est dans toutes les tetes. La population, mal informee sur les mecanismes mondiaux, s'interroge sur les intentions de la communaute internationale. Dans le doute, le premier ministre, tres favorable au programme PPTE, a demande aux membres du gouvernement de ne "critiquer" le FMI en public. Le president reserve egalement sa reponse.

Heureusement, les kirghizes ont de la ressource... En prenant exemple sur les lointains voisins nippons, le ministere des Finances a ouvert un compte "special remboursement de la dette", sur lequel les habitants sont invites a deposer leur participation, meme symbolique. La presse locale mediatise avec enthousiasme chaque versement, a l'instar de cet etudiant ayant depose deux mois de droits d'inscriptions a la facultee sur le compte commun. Plus d'un million de soms, soit 20 000 euros, auraient deja ete collectes...

Mathilde GOANEC

(1)Bulletin du FMI, 6 novembre 2006.

05 décembre 2006 dans Bishkek dans ma tete | Lien permanent | Commentaires (0)

BDMT #2 // Au pied du geant chinois

"Quand la Chine s'eveillera"... disait Alain Peyrefitte. Depuis, on pensait avoir oublie la suite de cette maxime. Et c'est ici, a une chaine de montagne du geant en eveil, qu'elle nous revient en memoire: "... le monde tremblera." Pas moins.

Il a deja commence a trembler, certes, il n'est pas question d'enfoncer des portes ouvertes. Il est devenu une habitude de retourner les assiettes, les appareils elecrtoniques et de scruter les etiquettes de pret-a-porter pour y relire les trois mots entres dans notre quotidien depuis plusieurs annees deja. Made in China.

Ici a Bishkek, nous sommes bien places pour ressentir les secousses sysmiques: le plus flagrant des symptomes, c'est dans les bazars de la ville qu'on le ressent. L'image d'Epinal des pittoreques marches orientaux a vecu. Pour trouver un tissu traditionnel, une piece de feutre estampillee centrasiatique, il faudra se frayer un chemin entre les kilometres d'etals proposant tous la meme marchandise chinoise. On nous regarde comme des illumines parce que nous preferons une couverture kirghize en laine de mouton a une couverture synthetique aux motifs et couleurs criards.

Acheter des bottes pour l'hiver ? Vous avez le choix: A Dordoy, au nord de la ville, des centaines de containers exposent les trente, quarante modeles chinois a l'infini. Sur les routes du pays, les camions acheminant leurs tonnes de produits manufactures migrent tous dans le meme sens, et le col de Torugart, a la frontiere entre Kirghizistan et Chine, est un incessant point d'echange economique. A sens unique.

Car le Kirghizistan, petit pays a l'industrie quasi-inexistante, dont l'economie n'en finit pas de s'etioler depuis 15 ans d'independance, n'a pas de quoi rivaliser avec son encombrant voisin. A la frontiere, la sinification de la region ouighoure du Sin-Xiang va bon train, et inquiete les kirghizes.

Dans les universites nationales de Bishkek, on prophetise pour 2010 la maturite du geant. Que se passera-t-il alors pour le petit Kirghizistan ? Certains nous font part ouvertement de leurs craintes. Les grands projets de cooperation regionale, tels que la creation d'une ligne de chemin de fer trans-asiatique reliant l'Asie centrale au port de Shangai semblent tracer la voie pour une plus large ouverture de la region a l'influence chinoise.

Une tutelle tombe, une autre s'annonce... Est-ce donc le destin d'un petit pays mal-ne dans une region trop strategique pour lui ?

Camille

28 novembre 2006 dans Bishkek dans ma tete | Lien permanent | Commentaires (0)

BDMT # 1 // Expat or not expat ?

Nous inaugurons ce mardi une nouvelle catégorie de notes, Bishkek dans ma tete. Des réflexions un peu plus personnelles sur un thème choisi par l’auteur. Mathilde se frotte à l’exercice en premier… Vous êtes bien entendu invités a réagir

Dimanche à Bishkek, mois d’octobre. Nous assistons à un match de football organisé par les américains de Bishkek. Match international, disait l’affiche… En réalité, mis à part le décor (un grand stade assez délabré, typiquement kirghize), l’ambiance est totalement américaine : jolies blondes, lunettes de soleil, pom-pom-girls, bières à la bouteille, hot-dogs et commentaires en anglais…
A Bishkek vit une petite trentaine de Français, sans compter les quarante militaires de la base militaire de Manas. Nous les connaissons presque tous, de près ou de loin. Un industriel (le seul), des profs de français, des employés de l’ambassade, quelques humanitaires… Il est parfois tentant de rester dans ce cocon francophone, de parler du pays, du fromage qui nous manque, de Sarkozy qui nous manque beaucoup moins, ou de ce « si fabuleux Kirghizistan ». Nous pourrions presque, et sans effort, re-constituer un cercle d’amitiés composé uniquement de Français, et ne croiser des Kirghizes qu’au bazar ou dans les « marchroutkas ».
Malgré notre faible russe, notre kirghize quasi-inexistant, nous tentons de lutter contre cet enfermement, en essayant de créer un maximum de liens avec des locaux. Mais là encore, difficile d’échapper à nos origines. Nous attirons les kirghizes francophones, trop heureux de trouver des natifs avec qui pratiquer. Difficile de leur répliquer : « Basta le français ! Rouskii sitchas (russe maintenant) !
En observant nos compatriotes, deux attitudes se dégagent : ceux qui refusent tout contact ou presque, avec des Français, pour une immersion totale. Ou encore ceux qui restent entre eux, menant une vraie vie de Français… à l’étranger. Le problème s’était déjà posé lors de notre escapade québécoise. On ne peut pas nier, en particulier ici où le choc culturel est permanent, le besoin d’être « entre nous ». A l’instar de ce quadra français débarqué un soir chez nous, et qui cherchait désespérément à passer une soirée chez des compatriotes : après deux semaines passées seul dans des familles kirghizes, tout ce qu’il voulait, c’était parler sa langue, et surtout échapper pour un soir aux agapes et à la vodka indéfectibles de l’hospitalité kirghize…
Pour notre part, nous essayons de trouver une voie intermédiaire, n’étant pas des fervents de la discrimination nationale par principe (!), mais bien déterminés à vivre à la kirghize…

Mathilde

21 novembre 2006 dans Bishkek dans ma tete | Lien permanent | Commentaires (1)

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