Universitaire en Equateur et doctorant en économie du développement, le chercheur français William Sacher a publié en 2012, avec le Québécois Alain Deneault, Paradis sous terre (Rue de l’Echiquier, 2012), un livre qui critique férocement le modèle minier canadien. Leur ouvrage précédent, Noir Canada : pillage, corruption et criminalité en Afrique (Ecosociété, 2008), a été retiré de la vente en 2011 sur la pression de l’industrie minière.
Terra eco : A votre avis, pourquoi la France se tourne-t-elle à nouveau vers la mine ?
William Sacher : Il y a bien sûr cette volonté de « nationalisme des ressources », produire davantage en Europe et s’assurer le contrôle sur certains producteurs dans les pays du Sud. Mais pour l’or, la crise économique globalisée que nous vivons depuis 2008, avec un retour vers des valeurs refuges, joue aussi un rôle. Depuis 2000, on est sur une pente ascendante des activités spéculatives. Des projets d’exploration, il y en a donc pléthore. Mais un sur 500 seulement va aboutir à une extraction effective. Cet emballement spéculatif sur le simple fait de posséder des droits via une concession minière suffit à engranger des bénéfices sur les bourses de Sydney ou de Toronto. On va spéculer autant sur les sites miniers que sur les annonces politiques, et l’annonce d’un nouveau code minier français, plus attractif, fait partie de ce processus.
Comment se structure le marché aujourd’hui ?
Il y a une division du travail assez nette. L’exploration des nouveaux territoires et des nouveaux gisements est une tâche réservée aux entreprises « juniors », de petite taille, qui ne génèrent des bénéfices que grâce à la spéculation boursière sur leurs résultats. Ce sont les conquistadors modernes, ceux qui vont défricher le terrain, qu’il soit minier, politique ou réglementaire. Ils ont donc un savoir-faire dans leur capacité à imposer un projet minier et à faire taire la résistance des communautés. Ils livrent ainsi des projets clés en main aux « majors » quand il y a une disponibilité technique, mais aussi sociale et politique.
Quelle est l’influence des cours des matières minérales sur l’activité ?
Les gisements sont généralement considérés comme « a-historiques » : en gros, ils n’attendraient que nous pour être exploités. Mais ce n’est pas ça du tout. C’est une conjonction de facteurs où l’anomalie géologique est importante, mais également les facteurs financier, culturel, social, politique, structurel. Tout ceci va conditionner un territoire à devenir un gisement. Du coup, si les cours se cassent la figure, ce que l’on considère aujourd’hui comme un gisement ne le sera plus demain.
Le Canada a une forte activité minière à l’intérieur de ses frontières, mais surtout dans le reste du monde. Vous êtes très critique sur ce modèle…
On parle bien souvent de « double standard » à propos du Canada minier. En gros, ce pays pratiquerait, via des compagnies privées dans le Sud, ce qu’il n’autorise pas chez lui. Mais l’examen en détail montre que ces différences sont en fait minimes. Aujourd’hui, au Canada aussi, les pouvoirs publics se retrouvent aux prises avec des mines fermées et leurs déchets abandonnés par les industriels, ce qui coûte des milliards de dollars en nettoyage. L’industrie minière canadienne a généré des catastrophes environnementales et humaines : ruptures de barrages, déplacements forcés de populations, fuites radioactives… L’implantation au Sud, ce n’est pas la recherche de standards plus faibles, c’est la généralisation du modèle canadien. Et ce modèle est bien sûr plébiscité par l’industrie. Les législations de certaines provinces canadiennes sont régulièrement citées comme étant les plus attractives au monde. Et il y a une volonté de généraliser ce cadre légal au reste de la planète. C’est ce qui a été fait en Afrique, en Asie, en Amérique latine.
En France aussi ?
La législation doit être attractive du point de vue de l’industrie minière, sinon celle-ci n’y viendra pas ! On ne parle pas seulement de la question des redevances, de l’imposition, mais aussi du cadre légal de la gestion de la protestation sociale. Comme, par exemple, ces mécanismes pseudo-juridiques d’audiences publiques où sont conviées les sociétés minières et la société civile. C’est démocratique, mais à l’avantage de la société minière, car elle est toujours ultrapréparée. Les citoyens doivent, eux, se préparer en quatrième vitesse. Et ceux qui tranchent – les instances gouvernementales – sont en général acquis au projet. C’est un mécanisme biaisé, basé sur le modèle de la « bonne gouvernance ». On désamorce en provoquant le débat, mais tout le monde n’a pas les mêmes armes.
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