Un coup à droite, un coup à gauche, la politique du Premier ministre hongrois Viktor Orban est tout sauf traditionnelle et suscite l'incompréhension voire l'inquiétude à l'Ouest... Elle révèle aussi les difficultés de la Hongrie, sortie du giron communiste en 1989 et qui a longtemps incarné l'espoir dans les milieux libéraux, à trouver sa voie.
« Le modèle social européen est de plus en plus menacé par le capitalisme global et sans limites, par les problèmes du monde de la finance et de l´économie. Le marché du travail est exposé à une flexibilité démesurée et à la précarisation. Il faut agir ensemble contre ces effets, car en cas d'échec, les gens pourraient perdre définitivement le sentiment de pouvoir influencer le processus décisionnel, et ce malgré l’existence des structures institutionnalisées. Les solutions extrémistes pourraient alors obtenir « le feu vert ». Cette prédiction de Jaroslav Zavadil, président de la Confédération tchéquo-morave des syndicats, est-elle en train de se réaliser un peu plus au sud des frontières tchèques, en Hongrie? Depuis des mois, ce pays et son président défraient la chronique et inquiètent l'Europe tout entière, sans que l'on sache réellement comment définir sa politique sociale et économique. Viktor Orban, arrivé au pouvoir en mai 2010, est-il réellement le pourfendeur du capitalisme financiarisé et mondialisé, comme il aime parfois à se présenter? Daniel Cohn-Bendit, en janvier au Parlement européen, n'a pas d'ailleurs manqué de comparer le président hongrois à Hugo Chavez au Vénézuela ou au cubain Fidel Castro, alors même que son parti, le Fidesz (Union civique hongroise), est classé à droite et est membre du Parti populaire européen.
Mais dans sa tambouille idéologique, Viktor Orban met un peu de tout, et n'hésite pas à puiser dans le répertoire anti-libéral pour séduire les classes moyennes hongroises, son cœur de cible électoral. « Le gouvernement Orban, conservateur et très nationaliste, est aussi celui qui tente de taxer les banques et qui s'oppose à la privatisation du système de retraite, même si tout ceci prend une forme « orbanesque », analyse Bernard Chavance, économiste spécialiste des pays d'Europe de l'est. Et donc ceux qui vont critiquer Orban en Hongrie, les libéraux hongrois, sont des gens qui vont à la fois défendre la Constitution, s'opposer à la concentration de ses partisans dans les institutions et à la domination de son parti, mais également à sa manière de remettre en cause l’indépendance de la banque centrale, ou bien à la façon dont il taxe les capitalistes, ce qui est contraire au fonctionnement normal de l'économie de marché. » Protectionnisme à la hongroise Soulevant la colère des milieux économiques et financiers européens, le gouvernement hongrois a effectivement fait voter un impôt qui taxe davantage les entreprises étrangères que nationales. Viktor Orban a dans le même temps nationalisé des fonds de pensions privés et a permis la conversion dans la monnaie nationale de prêts immobiliers contractés en devise étrangère, ce qui a soulagé une partie des Hongrois étranglés par les remboursements... Jusqu'à la fin 2011, la Hongrie avait d'ailleurs rompu ses accords avec le Fond monétaire international (FMI), et son président jurait par tous les dieux de refuser l'intervention de l'institution financière dans le pays, au nom de la préservation de son « indépendance ». Pour Tamás Gáspár Miklós, philosophe hongrois et leader du parti Zöld baloldal (la gauche verte) (1), tout ceci n'est que poudre aux yeux : « A l'image des conservateurs d'Europe centrale, la droite hongroise estime que les adversaires de cette classe moyenne sont d'une part, les multinationales, les institutions bancaires et le « capitalisme financier » et de l'autre les prolétaires, les pauvres, les « communistes » (…). Davantage que raciste à l'ancienne mode, la droite hongroise est avant tout opposée aux subventions pour les pauvres, à l'aide aux chômeurs, assimilés aux Roms, et à tous les éléments « improductifs » de la société, appelés « inactifs » - une catégorie qui inclus les retraités. » La Hongrie, un peu la queue entre les jambes, a d'ailleurs repris à la fin de l'année dernière ses négociations avec le FMI, devant de graves difficultés économiques... Mais l'institution, de concert avec l'Union européenne lui refuse désormais un prêt de plus de 15 milliards d'euros, en mesure de rétorsion vis-à-vis de sa politique intérieure mais surtout de sa volonté de réformer la banque centrale du pays. En réaction, Orban n'a pas manqué de mobiliser ses partisans sur le thème d'une Europe dirigiste et non démocratique, semblable à « l'Union soviétique ».
Plus populiste qu'anti-libéral, Viktor Orban ne convainc pas vraiment sur la sincérité de ses engagements auprès de son peuple. Les syndicats hongrois le jugent d'ailleurs en partie coupable de la dérive sociale et économique du pays, déjà pourtant largement entamée par les démocrates et socialistes au pouvoir avant lui. « Nous devrions aller bien mieux que ça, car nous exportons massivement, surtout vers l'Allemagne, qui est plutôt en bonne santé, remarque Székely Tamás, président du syndicat de la chimie hongrois et vice-président de la plate forme citoyenne Szolidaritas. Malheureusement, depuis son arrivée au pouvoir, le président mène une politique désastreuse, en augmentant les impôts, sauf sur les plus riches, en taxant les banques, le secteur énergétique, les sociétés étrangères, en modifiant le code du travail au désavantage des travailleurs, tout en ne réussissant pas à juguler la hausse des prix. » Le taux de chômage, qui avoisine aujourd'hui les 10,5 %, a augmenté d'un tiers depuis le milieu des années 2000 alors même qu'au sortir du communisme, la Hongrie était considérée comme l'état le plus prometteur par le reste de l'Europe. Les coupes sont sévères aussi dans le domaine de l'éducation, de la santé, ou dans les aides aux plus démunis, mâtinées désormais de « préférence nationale », sur l'air bien connu de « la Hongrie aux hongrois », ce qui place la politique de Viktor Orban plutôt à l'extrême droite de l'échiquier politique européen. Surtout, l'État semble désormais assujetti à la seule volonté présidentielle, remettant en cause ce qui semblait pourtant être l'un des acquis de l'intégration des pays de l'Est dans l'Union européenne, selon Bernard Chavance : « L'UE a eu un rôle plutôt stabilisateur car dans les conditions d'adhésion, il y avait malgré tout des réformes administratives et des programmes de formation des fonctionnaires très importants. Cela a joué un rôle capital dans la capacité de ces états à gagner une certaine autonomie vis-à-vis des intérêts politiques. » La troisième voie, selon Orban, ressemble donc bien à un leurre...
« Quel sera le futur de la Hongrie?, s'interroge Székely Tamás, qui milite avec le mouvement Szolidaritas pour que les partis démocratiques s'unissent lors des prochaines élections, ce qui est loin d'être gagné. La situation sociale n'est pas satisfaisante dans un régime néo-libéral comme le nôtre, car qui prend en charge les pauvres, les personnes âgées? Où sont passés la protection sociale et nos ambitions pour l'éducation? Le libéralisme est définitivement nécessaire sur le plan démocratique, mais assurément défaillant dans le domaine économique. » Tamás Gáspár Miklós, Le leader du parti Zöld baloldal, est plus dur encore dans son point de vue accordé au Monde diplomatique: « Les peuples d'Europe de l'Est ont beau être rebelles, leur transition vers un régime de marché à l'occidentale a été fatale à leur modèle social. En Hongrie, elle entraîna par exemple la disparition de la moitié des emplois dans les deux années qui suivirent la chute du bloc soviétique. Le pays ne s'en est jamais remis. (…) M. Orban, qui parle « d'une société fondée sur le travail », a officiellement sonné le glas de l'Etat-providence. » Sommé en janvier par la commission européenne de revenir sur trois des ses réformes clés, tout à la fois adulé et détesté par la population, Viktor Orban ne pourra pas éternellement jouer de son ambiguïté politique.
Mathilde Goanec
(1) Hongrie, laboratoire d'une nouvelle droite, G.M. Tamas, février 2012, Le Monde diplomatique.