Petit pays, peu médiatisé, la Slovénie est pourtant le théâtre d'un pacte social efficace, qui trouve son fondement dans une culture du compromis élaborée à l’indépendance du pays, en 1991. Acteurs majeurs de ce dialogue social, les syndicats.
Les syndicats slovènes (et notamment l’Association slovène des syndicats libres, ZSSS) ont remporté deux victoires remarquées cette année. Avril 2011 : la population rejette par référendum un projet gouvernemental introduisant de nouveaux contrats de travail précaires, surnommés par la rue les « mini jobs » et réservés aux chômeurs, aux étudiants et aux retraités... Juin 2011, même sanction : sous la pression du FMI et de l’Union européenne, le gouvernement slovène tente d’allonger de deux ans l’âge du départ en retraite (actuellement fixé à 62 ans pour les hommes comme pour les femmes). A nouveau convoqués par les syndicats à un référendum, les Slovènes votent, à 72 %, contre ce projet.
Derrière ces batailles, qui rappelle des combats menés en France (lutte contre le CPE, en 2007, lutte contre la réforme des retraites, en 2010), c’est toute l’histoire contemporaine slovène qui fait jour. Bon élève de l’après-Yougoslavie, la Slovénie a su conserver une partie de son tissu industriel élaboré sous Tito et éviter ainsi la faillite économique lors de son effondrement. Forts de cette stabilité financière, assez rare dans la région, les Slovènes ont su dire « non » très tôt aux tenants d’une austérité à toute épreuve. Au début des années 90, l’application du plan « Sachs » (1) prônant des privatisations massives et un démantèlement partiel des services publics, voulu par le FMI, s’est heurtée en Slovénie à la fronde populaire. Sur fond de luttes sociales, mais aussi de concessions et de compromis nécessaires à un rapprochement vers l’UE, les différents acteurs du jeu politique slovène ont su élaborer une sorte de « pacte social », qui, malgré la mise en marche d’une économie de marché, garantit la continuité d’une grande partie des acquis sociaux. Un rapport du sénat français, publié en 2006, rapprochait même la Slovénie du modèle scandinave, soulignant l'attachement du pays à une économie mixte (privée-publique) et à la perpétuation d'une protection sociale conséquente. Quel rôle ont joué les syndicats dans cette transition ? Miroslav Stanojević, professeur et chercheur à la faculté de Ljubljana, nous donne les clés du contexte syndical slovène, et ses récentes évolutions face à la crise.
On parle de 40 % de syndiqués au sein de la population active en Slovénie, quand la moyenne européenne tourne plutôt autour de 23 % (2). Les syndicats slovènes sont-ils toujours puissants aujourd’hui ?
Pour moi, ces bons chiffres étaient vrais jusqu’en 2005. Nous avons depuis observé sur le terrain une chute de 10 % du nombre des adhérents. Il semble que depuis, les chiffres se soient stabilisés autour de 30 %. Le nombre de syndiqués a décliné après l’entrée du pays dans l’Union européenne (en 2004), pendant ces années où la Slovénie a dû se conformer aux standards européens et négocier son entrée dans la zone euro. Pendant toute cette période, la coalition de centre-droit, qui avait enclenché nombre de réformes néolibérales en 2005, était au pouvoir. La résistance massive des syndicats a ralenti l’application de telles réformes, mais le conflit, combiné à une pression grandissante sur les travailleurs de la part des marchés financiers, a très certainement provoqué de nombreuses pertes dans les rangs syndicaux.
Comment expliquer ces taux, malgré tout assez bons, d’adhésion syndicale ?
Ce phénomène d’un si fort taux de syndication, entamé dans les années 90, s’explique par la série de grèves menées au début de cette décennie. La désintégration du marché intérieur de la Yougoslavie a causé une crise sérieuse pour certains pans de l’économie slovène. A partir de là, le sentiment d’insécurité et le mécontentement ont grandi. Les syndicats, qui ont su articuler ce mécontentement, ont attiré à cette époque énormément de monde et sont devenus des acteurs incontournables dans le processus de transition du pays.
Plus généralement, la population a-t-elle confiance dans les structures syndicales ?
Oui, même si cela dépend du thème dont il est question. Disons que le plus faible taux de soutien correspondrait aux chiffres d’adhésion que j’ai évoqué précédemment.
Y-a-t’il un lien entre la tradition slovène d’autogestion (liée à la période socialiste sous Tito), et ce poids des acteurs syndicaux dans la vie de l’entreprise ?
Bien sûr. La participation des travailleurs dans la prise de décision, au sein de la sphère économique, a définitivement influencé la formation de structures et de politiques syndicales relativement indépendantes à la fin des années 80 et au début des années 90.
Même si les chiffres sont en baisse, peut-on parler d’un miracle syndical slovène, comparé à la France par exemple ?
La Slovénie n’est pas un miracle et il n’y a pas de miracles en Slovénie, malheureusement… L’histoire slovène a effectivement permis au pays d’avoir de bonnes bases de départ, constituées sur un développement économique plutôt positif au sein de l’ancienne Yougoslavie. La Fédération avait en effet mis en place des échanges avec les marchés occidentaux dès 1950. Dans ce dispositif, l’économie slovène a su tirer son épingle du jeu, grâce à son niveau de développement et sa position géographique. Tout ceci a permis à la Slovénie d’entamer sa transition dans les années 90 sans être réellement gênée par des problèmes de dette publique ou de budget déficitaire. Ces problèmes sont, en réalité, apparus récemment. Mais vu d’ici, le vrai miracle, c’est le syndicalisme à la française et son énorme capacité de mobilisation, malgré un degré d’adhésion relativement bas.
En quoi consiste ce fameux « compromis slovène », né après l’intervention du FMI dans le pays ?
Pour vous donner une idée, une réforme modérée du système des retraites a été imaginée à la fin des années 90, et cela a plutôt bien fonctionné pendant une décennie. La proposition de départ était pourtant basée sur une privatisation totale du système (définie par les institutions financières mondiales), mais elle s’est cognée à une très forte opposition syndicale. Le résultat de cette confrontation a abouti à une réforme modérée. Mais récemment, sous la pression de la crise (et l’accroissement des déficits et de la dette publique), combinée à une demande de réformes structurelles de la part de l’Union européenne, le gouvernement de centre-gauche (au pouvoir depuis 2008), a tenté à son tour de mettre en place une ambitieuse réforme des retraites, sans avoir l’accord des syndicats.
Ce qui a abouti à des manifestations monstres cette année, contre la réforme des retraites et contre l’instauration des « mini-jobs ». Et contrairement à la France, les syndicats slovènes semblent avoir eu gain de cause...
Les causes de la mobilisation ont été les mêmes qu’en France. Mais la différence clé se joue sur un plan institutionnel et constitutionnel. En Slovénie, les syndicats sont autorisés à organiser des référendums contre des projets de loi, qui, en cas de victoire, peuvent stopper la procédure législative. Et dans le cas de la réforme des retraites, le soutien de la population à l’action syndicale a été, c’est compréhensible, extrêmement fort.
Comment définiriez-vous les relations actuellement entre le pouvoir politique et les syndicats en Slovénie?
Clairement, les relations entre le gouvernement actuel de centre-gauche et les syndicats sont gelés. Le camp de centre-droit, qui a été confronté aux syndicats quand il est arrivé au pouvoir en 2005, a récemment apporté son soutien public aux syndicats et à la résistance populaire contre la réforme des retraites et l’instauration des « mini-jobs ». Mais dans moins de deux mois, nous allons avoir de nouvelles élections : le centre-droit a de bonnes chances de l’emporter. Je suppose que dans ce cas-là, leurs relations avec les syndicats vont changer, et que l’on va à nouveau passer d’un soutien évidemment instrumentalisé, à des négociations vraisemblablement conflictuelles.
Propos recueillis par M.G
(1) Jeffrey Sachs est un économiste américain, proche des institutions financières mondiales. Il a été l’un des promoteurs de la « thérapie de choc », dans des pays comme l’Argentine, la Russie, la Pologne ou encore la Slovénie, aux prises avec des difficultés économiques, notamment dans les années 90.
(2) http://fr.worker-participation.eu/Systemes-nationaux/En-Europe/Syndicats
La Slovénie en chiffres
Nombre d'habitants : 2 054 199
Superficie : 20 273 km2
PIB : 35,9 milliards d'euros en 2009
Salaire moyen : 967,32 euros
Durée légale du temps de travail : 40 heures par semaine
Niveau de corruption : 27e sur 178 pays selon Transparency international ( la France est 25e).
Espérance de vie : 74,5 ans pour les hommes et 82 ans pour les femmes
Lire le blog en entier, tres bon
Rédigé par : HoorgoMup | jeudi 31 mai 2012 à 14h48