Mardi 13 avril 2010, Kiev, De notre correspondante GOANEC Mathilde.
Aujourd’hui, dans la société ukrainienne, il y a
une vraie crainte de voir à nouveau la liberté d’expression
disparaître, de voir comme sous l’URSS la liberté de création artistique
bafouée. » Evgenia Belorousets, journaliste et militante,
participait mardi dernier à un débat public à Kiev autour de la très
controversée Commission nationale d’experts pour la protection de la
morale publique.
Les derniers faits d’armes de cet organe
étatique (roman retiré de la vente pour pornographie, film « Brunö »
interdit de diffusion, campagne d’affichage contre le sida bloquée), en
activité depuis 2008, inquiètent les journalistes, font s’agiter la
blogosphère… Dans la salle, les experts de la Commission, qui ont
souvent largement dépassé la cinquantaine, crient leur bonne foi,
s’insurgeant du « procès public » mené contre eux, leurs
détracteurs criant à la « censure ».
« Les membres de
cette commission, souvent professeurs ou notables de l’URSS, vivent dans
le passé, commente Evgen Zakharov, illustre défenseur des droits de
l’homme. Nos jeunes artistes, eux, vivent dans l’après-demain. Il y a
un énorme fossé… »
Cinq ans de prison pour avoir
mimé une scène de sexe
Le débat s’est cristallisé
ces trois derniers mois autour d’Alexander Volodarsky, jeune blogueur
ukrainien. Pour avoir mimé en janvier une scène de sexe, nu, devant le
Parlement ukrainien, en protestation contre les décisions de la
Commission, Volodarsky risque aujourd’hui la prison ferme. L’issue de
son procès a été repoussée, mercredi dernier, à la mi-avril.
«
Il y a un vrai danger pour la liberté d’expression et de création,
voilà pourquoi certains artistes comme Volodarksy manifestent,
explique Kiril Savin, représentant en Ukraine de la Fondation du Parti
vert allemand, qui soutient le mouvement. Selon moi, ce n’était pas
une très bonne performance ! Et il aurait pu être puni par voie
administrative. Mais cinq ans de prison, c’est inacceptable ! »
Vassili Kostitsky, chef de la commission de la morale tant décriée, se
défend lui de toute censure : « Nous essayons juste de protéger nos
enfants et l’éthique, comme cela se fait dans tous les pays normaux en
Europe. Le matin chez nous, quand les enfants regardent la télé, on peut
voir des annonces pour des programmes érotiques pour les adultes. Je
rappelle d’ailleurs que nous n’interdisons rien, nous rendons seulement
des avis qui sont suivis ou pas par les ministères concernés ».
Le microcosme intellectuel ukrainien, et sa frange la plus jeune, qui
innove, repousse les limites, provoque le pouvoir, craint pourtant les
dérives d’une Commission aux prérogatives larges et mal définies. Le
flamboyant Youri Andrukhovych, chef de file des écrivains ukrainiens
contemporains, a lui aussi pris parti : « Depuis les années 90,
plusieurs gouvernements différents se sont succédé, qui ont toujours
donné à la sphère intellectuelle et artistique une certaine liberté.
Aujourd’hui, je pense que le pouvoir veut contrôler cette sphère-là
également. Pour l’instant, ce sont seulement des faits sans grande
importance, mais il faut en parler, car si cela se généralise, il sera
déjà trop tard pour réagir. »