Nous quittons Khiva pour Ourgench, ville transit. Après une heure d'apres négociations dans un froid glacial, nous grimpons enfin à bord d’un « Car de l’Ouanne » (1), vieil autobus récupéré en France et qui connaît une seconde vie en Ouzbékistan. Divertis par les clips de pop orientale diffuses sur la tele du bus, nous attendons encore une heure que le véhicule se remplisse.
Démarrage, je lâche un cri de joie qui fait sourire mes compagnons de voyage... Inapproprié, car nous stoppons un quart d’heure plus tard. Le bus est en panne, les taxistes d’Ourgench, rigolards, nous avaient prévenu… Un autre véhicule, cette fois-ci aux couleurs du Conseil général de l’Isère (hasard ou vraie filière ?), fait le relais. Seul hic, il est plus petit et tout le monde ne pourra s’asseoir. Qu’à cela ne tienne, nous nous hissons sur un coffre à l’avant, recouvert de Töshoks, sorte de gros matelas bariolés. On part donc finalement, mais dans un confort hasardeux, que nous paierons au cours du voyage… Et pas n'importe quel voyage: neuf heures, entassés dans un bus de deuxieme main (rendons a posteriori hommage aux services techniques du CG isérois pour avoir maintenu en forme son ancien pensionnaire), bien décidés a traverser dans la nuit, sur et sous la neige et donc a une moyenne de 30 km/h, le désert du Kysyl-kum. Le genre de situation qui, avec un peu de recul, vous rappelle que vous etes bien peu de chose...
Les contrôles-barrières se succèdent, un seul policier, imbibé de vodka, vérifiera nos passeports, poussé par une babouchka que la présence d'étrangers dans son bus agace manifestement. Une petite bande se forme autour d’elle, nous regardant d’un air entendu et moqueur. Le reste du bus ignore cette xénophobie latente. Un nan, galette fait-maison circule pour nous dans le bus. Les généreuses donatrices, deux copines rieuses, nous jettent des clins d’œils complices.
Le désert blanc défile, un arrêt, enfin. Au loin, un enchevetrement d’antennes forme un décor surréaliste. Les hommes pissent le nez au vent, sans meme chercher a se cacher derriere muret ou arbuste. Camille les imite, reproduisant le petit rituel de la main passée sur la neige pour se nettoyer. Nous rejoignons les buissons des femmes. Vite, elles retroussent leurs lourdes jupes, descendent leurs pantalons colorés et, les fesses à l’air, se soulagent de ces heures d’attentes. Nous nous dépêchons de faire de même, maintenant habituées à cette impudeur collective.
Boukhara se dévoilera de nuit, à travers les vitres d’un taxi. Nous atterissons sans le savoir dans le quartier juif et une synagogue est notre voisine. Au petit matin, nous découvrirons des maisons de pierre couleur ocre, aux toits plats. Les mosquées et medressas sont éparpillées dans toute la ville, au gré des rues tortueuses. Khiva la ville musée nous semble bien loin.
Boukhara, ancienne capitale du pays et centre religieux historique, tourne autour de son immense mosquee centrale, qui fait face a une école coranique encore en activité. Si nous visitons l'esplanade superbe dans la lumiere rasante, le lieu de culte ferme ses portes aux femmes et aux non-musulmans. Nous nous "vengerons" en prenant de la hauteur, afin d'admirer la ville au soleil couchant, du haut de l'Arcq, l'immense palais de l'ancien khan (seigneur) de Boukhara. Les russes puis les sovietiques ont detruit l'interieur de l'edifice et les murailles ne protegent plus qu'un terrain vague, surplombant la ville.
Premiere approche aussi de l'absurdité ouzbeke. Impossible de trouver des sums, monnaie officielle, dans les bureaux de change de la ville. Nous tentons de changer nos devises au siege local de la banque nationale. Ici aussi, les caisses et les bureaux sont vides. Le policier surveillant l'entrée nous conseillera le plus naturellement du monde d'essayer le marche noir. avant de se raviserquelques secondes plus tard: c 'est finalement lui-meme qui fera la transaction, sortant des liasses de billets de sa veste d'uniforme. En Ouzbekistan, l'argent, comme le reste, se trouve au marche, et pas a la banque.
Nous quittons Boukhara apres avoir pris notre petit dejeuner, pain, kéfir (sorte de yahourt acide et crémeux) et thé noir, dans une tchaikana (maison de thé) de quartier. La vieille batisse accueille de vieux monsieurs qui semblent y passer toutes leurs journées. Assis ou allongés, ils palabrent en avalant des litres de thé fumant et en chiquant un tabac que l'on sait souvent melé d'autres drogues. Un vrai petit club anglais, avec sa hierarchie implicite, ses figures qui font autorité, et la cour de ceux qui essayent de se rapprocher de la table ou l'on potine.
La encore, que des hommes. Une vieille dame, a la peau tres brune, a semble-t'il recu le privilege de profiter d'un coin de la salle. Elle rigole doucement dans la pénombre. L'un de nos voisins, surpris par notre présence, entame une conversation amicale. Il touche son nez, mimant notre Charles de Gaulle national. D'un signe de tete, et d'une main sur le coeur, il salue notre depart. N'en deplaise a la "dame du bus", nous sommes définitivement charmés par les vieux messieurs ouzbekes et le rythme de la vie d'ici...
Mathilde et Camille
(1) Où est donc située l’Ouanne ? Le premier de nos lecteurs qui répondra à cette interrogation recevra un cadeau gracieusement offert par les animateurs du site www.journalistes-asiecentrale.net...