« Là-dessus, Oleg aperçut un éventaire installé dans le renfoncement du mur de telle façon qu’il ne brisait pas le tracé de la route. Le store de toile de l’éventaire était levé comme une visière et soutenu par deux barres obliques. De dessous la visière se répandait une petite fumée bleutée. Il lui fallut rudement baisser la tête par-dessous la visière pour s’approcher et là ne plus relever le cou. Une longue rôtissoire traversait l’éventaire dans toute sa longueur. Un foyer brûlait en l’un de ses points, et tout le reste était rempli de cendre blanche. En travers de la rôtissoire, au-dessus du foyer, était posée une quinzaine de longues broches pointues en aluminium, garnies de morceaux de viande. Oleg devina que c’était là le chachlik. Encore une découverte qu’il faisait dans le monde nouvellement créé, ce chachlik, dont il était tant question dans les conversations gastronomiques des détenus. Oleg, lui, en trente-quatre années d’existence, n’avait jamais eu l’occasion d’en voir de ses propres yeux : il n’était jamais allé ni au Caucase, ni au restaurant et dans les cantines populaires d’avant-guerre, on servait du chou à la viande hachée et du gruau d’orge. Le chachlik ! Il était capiteux, ce parfum, mélange de fumée et de viande ! La viande sur les brochettes n’était ni calcinée ni même d’un brun foncé, mais de cette teinte rose gris, tendre, qu’elle a quand elle commence à être à point. Le marchand, un homme nonchalant au visage gras et rond, tournait certaine des broches, en déplaçait d’autres du foyer vers les cendres. »
Extrait de Le pavillon des cancéreux, d’Alexandre Soljénitsyne.
En s’installant derrière la longue table de la tchaikhana enfumée, en plein centre du bazar de Turkestan (Kazakhstan), la tenancière du lieux n'a qu'une question a la bouche: « Combien de chachliks ? » Une théière de thé vert, quelques tranches de pain blanc et trois ou quatre brochettes de mouton par personne, voilà pour le menu ! Les chachliks passent en un instant de la rôtissoire à la table, sur une assiette agrémentée de rondelles d’oignon cru, et d’un peu de piment rouge. Ensuite, à sa guise, on les arrose d’ouksous, le vinaigre où marinent quelques légumes et gousses d’ail, ou de ketchup mal imité.
Trois chachliks, du pain, du thé, voilà le repas privilégié des travailleurs de bazars, voyageurs, chauffeurs de taxi ou camionneurs, mais aussi des touristes centrasiatiques.
Ici, on est carnivore, et l’on n’a pas peur de croquer dans un beau morceau de gras jaune et grillé, indispensable à toute brochette digne de ce nom. Dans les restaurants plus raffinés, le chachlik, version locale du kebab méditerranéen, peut être de mouton, de bœuf ou de poulet, voire de foie de mouton dans les grandes occasion. Enfin, on le déguste également à base de viande hachée épicée, pressée sur la tige plate d’aluminium… En bref, une alternative savoureuse à l’éternel mouton bouilli des montagnes kirghizes !
Camille et Mathilde