La meme steppe que sur des milliers de kilometres autour, les coquillages en plus. L'herbe, quand a elle, recouvre par mottes eparses ce que l'eau a decouvert, mais pousse drue et... salee. De quoi faire le bonheur des "birbulut", les chameaux de l'Aral. Eh oui, nous le decouvrons au passage d'une dune (devrait-on dire une ile?). Par troupeaux entiers, ils peuplent l'etendue aride qui separe desormais le village de pecheurs de Djamboul de la mer, a une quinzaine de kilometres de la. L'herbe salee, ils en raffolent et la qualite de leur viande et de leur lait, les deux raisons pour lesquelles les habitants de la region les elevent depuis fort longtemps, en est parait-il amelioree. Quand le poisson a disparu, ils sont restes la seule richesse des gens d'ici. Et si c'etaient eux, les grands gagnants de cette catastrophe climatique sans precedent ?
Sur cet estran vieux de 40 ans, l'on rencontre toute une faune steppique: des petits rongeurs qui creusent dans le sable des reseaux de tunnels, des renards a la queue rouge, et les majestueux faucons bleus, predateurs opportunistes, rois des lieux. De quoi relativiser l'image de cette Mer d'Aral depourvue de toute vie... La vie s'est adaptee, la steppe a gagne la partie, comme si, elle qui domine deja l'immense vacuite du territoire kazakh, avait besoin de quelques kilometres carres en plus...
A-t-elle vraiment gagnee la partie? Pas si sur... Nous continuons encore, une bonne heure, notre chemin a la recherche de l'eau, traversant le village de Tastubek, et nous l'apercevons enfin. Ce n'est plus un de ces frequents mirages, ironique illusion d'optique, qui se forment sur le sable plat et surchauffe, c'est bien la "petite mer d'Aral" que nous approchons enfin. Etrange littoral, flou, incertain, a l'image de cette mer dont les contours ne se sont plus stabilises depuis la fin des annees 1960. L'eau s'etend jusqu'a l'horizon,au-dela d'une bande littorale marecageuse, ou l'on ne sait si ce sont des touffes d'herbes ou d'algues que l'on voit poindre a la surface. Mais le doute n'est plus possible: la mer est bel et bien en train de reprendre progressivement possession du terrain qu'elle avait abandonne. Et engloutit lentement les mottes d'herbes de la steppe...
La encore, nous parlons de la "petite mer d'Aral" kazakhe, celle qui recoit l'eau du Syr-Daria. Nous avons la confirmation de ce renouveau dans le village de Tastubek, a moins de 2 kilometres a present du bord de l'eau, et d'ou partent la saison venue des bateaux de peche embarquant chacun trois ou quatre pecheurs. Plus rien a voir avec les gros navires du passe que l'on a vu achever de rouiller un peu plus tot... Il s'agit desormis de grosses barques de 6 metres de long, avec une petite cabine, mais les marins de la petite Aral y vivent pendant pres de dix jours a chaque sortie, allant relever leurs filets a l'embouchure du Syr-Daria, la ou l'eau, moins salee, attire de plus en plus de poissons. Le jour de notre visite, trop de vent, les embarcations ne regagneront pas la cote... Le vent, en effet, est le quotidien des habitants du village de Tastubek, un vent qui se transforme souvent en tempete de sable. Un des effets les plus visibles des dereglements climatiques qui ont accompagne l'assechement de la mer, avec une augmentation inportante des temperatures maximales, ete comme hiver.
A Aralsk, nous rencontrons les militants de l'ONG locale Aral Tenizi, qui depuis les annees 1990 tente de trouver des palliatifs a la catastrophe ecologique, mais aussi sociale qu'a ete la disparition de la mer d'Aral pour les villages littoraux. Programme emblematique de cette organisation, la relance d'une peche commerciale, activite qui faisait vivre la region sous l'URSS, completement abandonnee au debut des annees 1980. Dans les eaux rarefiees mais surtout beaucoup plus salees de l'Aral, une seule de la trentaine d'especes de poissons autochtones a survecu, le kambala, l'appelation locale de notre turbot. Un poisson dont la chair n'etait pas tres apprecie, ni des consommateurs locaux, ni des acheteurs internationaux, mais un poisson tout de meme! C'est donc autour du Kambala qu'a d'abord ete relancee la peche, avec des pecheurs reequipes, une usine frigorifique recreee... Ajourd'hui, avec la digue qui empeche la deperdition des eaux du Syr-Daria, la mer se radoucit, et se repeuple d'especes que l'on n'avait plus peche ici depuis 30 ans. Le Kambala se fait meme rare, et n'interesse d'ailleurs plus grand-monde. Preuve que l'activite palliative de l'ONG est a present obsolete et que la nature reprend sa place lentement...
Encore une raison d'esperer autour de la "petite mer d'Aral" ?
Camille et Mathilde
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