Le reportage radio qui nous a donne l'occasion de cette note sera diffuse prochainement, dans le cadre de l'emission Priorite Sante, sur RFI...
Nous passerons une heure dans le SIZO, à peine le temps de sentir l’ambiance. Je demande la permission d’entrer dans une cellule pour prendre une photo, les 7 prisonniers présents me tournent le dos mais se laissent photographier (1). Puis nous repartons dans la cavalcade des couloirs, toujours sous escorte. Nous ne verrons en détail que la partie de la prison en cours de rénovation, financée par MSF. En plus du bruit de la prison, nous sommes donc au cœur d’un vrai chantier.
Colonie 31, colonie tuberculose. Après la détection au SIZO, les prisonniers malades (et condamnés) passent dans cette enceinte située à une trentaine de kilomètres au nord de Bishkek. Y arrivent également des détenus de tous le Kirghizistan, transférés ici sur ordre médical.
Après l’habituel contrôle de nos passeports, nous entrons dans ce qui ressemble à un
petit village-vacances désenchanté. Pelouses, arbres fruitiers, à votre droite, l’hôpital, à votre gauche les bâtiments administratifs. Nous y entrons pour plaider notre cause, passage obligé auprès des autorités du lieux. L’autorisation du ministre de la justice ne suffit pas, il faut renégocier dans chaque structure avec le chef local. « Les journalistes, on les connaît ! », déclare ce dernier… Nous sommes assis en rang, au bord de l’habituelle table en T, qui place notre interlocuteur seul face au mur. De l’autre côté de la table, une rangée de gardiens. Finalement, nous ferons le tour des lieux avec un seul d’entre eux, pas franchement réjouit à l’idée de se coltiner des visiteurs.
Nous entrons dans l’enceinte de la prison proprement dite, y croisons les prisonniers, vêtus d’un costume de gros drap gris anthracite. Ils sont libres d’aller et venir, fument des cigarettes avec des gardiens que rien ne différencie des autres si ce n’est l’habit militaire et la corpulence. La colonie fonctionne presque en autogestion. Ce sont les prisonniers eux-mêmes qui en assurent l’ordre, selon un système de castes sur lequel s’appuie une administration défaillante, tant sur le plan du personnel que des finances. Quatre castes cohabitent, les deux dernières étant définies comme « intouchables » par les deux premières. Zéro contact entre ces deux mondes, sous peine de tomber soi même sous le coup de la discrimination.
Ces « intouchables » vivent dans une partie de la prison que nous ne verrons pas, située derrière un grand mur, sur les ruines de l’ancienne zone industrielle de la prison. Parmi eux se trouvent les « collaborateurs », ceux qui travaillent avec l’administration. Les baraques y ont été construites par les prisonniers eux-mêmes, qui ont trouvé dans les gravas les matières premières nécessaires. « Impossible de tout comprendre et ce n’est pas notre rôle », confie l’un des salariés de MSF, en but avec un système qui complique tout le processus médical. L’équipe, dans le traitement de la tuberculose, a donc aménagé des horaires spéciaux pour les plus bas dans l’échelle carcérale, pour éviter tout contact. Faire avec, mais ne se mêler des problèmes de l’organisation carcérale : tel est le contrat tacite qui lie les deux parties et permet aux ONG de travailler.
Outre la ségrégation interne, la prison est aussi le lieu des petits et des grands arrangements. Tout y circule : paniers-repas, médicaments, drogues en tous genres… Les abords de l’hôpital de la colonie 31 sont d’ailleurs jonchés de seringues utilisées par les détenus toxicomanes. Enfin, la lutte contre la tuberculose passe par une amélioration minimale des conditions de vie (cellules moins surpeuplées, nourriture et hygiène améliorées…), un confort tout relatif qui donne lieu à un autre trafic : celui des crachats, premier moyen de détection de la maladie. Certains prisonniers non contaminés n’hésitent pas à monnayer le crachat d’un malade pour être admis dans une colonie hôpital, prenant ainsi le risque d’être réellement infecté. « Le risque de la TB n’est pas la première chose à laquelle les détenus pensent. Ils pensent à leur survie avant tout », estime l’un des représentants de MSF. Et pourtant la tuberculose, au Kirghizistan, tue encore.
Nous en avons l’explication lors de notre passage, le dernier, dans la colonie 27, voisine de la 31. Ici
travaillent les équipes du Comité international de la Croix Rouge (CICR), dans les mêmes conditions que MSF à la colonie 31. Sauf qu’à la colonie 27, on prend en charge plus particulièrement les malades atteints des formes multi-résistantes de la TB. Ici doit ouvrir dans quelques mois un département spécial destiné à la prise en charge de ces cas, que les médicaments classiques, les seuls actuellement disponibles en prison, ne peuvent soigner. Pour l’heure, ces malades sont traités avec le traitement de base, appelé DOTS, et rares sont ceux qui arrivent à vaincre ainsi la maladie. Les autres, malgré les médicaments, voient leur cas s’aggraver lentement… Et, comme nous le confirme sans illusion un détenu, d’une maigreur qui laisse peu d’équivoque sur son état de santé, plusieurs d’entre eux meurent ici chaque semaine.
C’est donc avec fierté que l’on nous fait faire le tour du chantier de ce qui sera bientôt, grâce aux dons internationaux (et en particulier l’argent provenant de la « taxe Chirac » sur les billets d’avion), le service DOTS +, du nom du protocole de traitement. Un peu plus loin, autre chantier, beaucoup moins réjouissant : on pose les premières pierres d’un futur service de soins palliatifs. Il accueillera à terme encore un autre type de patients, ceux qui sont porteurs de la forme extrêmement résistante de la maladie. Pour ceux-là, même le protocole DOTS + ne pourra rien et seule une amélioration de leur fin de vie peut leur être proposée.
La tuberculose XDR, comme on l’appelle, inquiète véritablement la communauté médicale internationale, parce qu’elle la met face à sa responsabilité : croyant avoir éradiqué la TB chez les occidentaux, on a cessé les recherches de traitement et laissé l’épidémie reprendre sous des formes nouvelles en ex-URSS. Aujourd’hui, on se retrouve sans moyens pour la combattre, et alors que les déplacements migratoires entre Est et Ouest se multiplient, la TB fait un retour progressif en Europe. Triste prophétie du chef de mission de MSF au Kirghizistan : « Il y a deux grandes épidémies dans le monde : le SIDA, plutôt concentré en Afrique, et la TB, en ex-URSS. Pour l’heure les deux sont isolées, mais si elles venaient à se rencontrer, le résultat serait catastrophique. »
Camille et Mathilde
(1) Ces photos prises dans le SIZO, vous ne pourrez pas les voir. Elles etaient toujours sur l'appareil quand celui-ci nous a ete vole, il y a un mois de cela... Deux grosses pertes, donc.