Le reportage radio qui nous a donne l'occasion de cette note sera diffuse prochainement, dans le cadre de l'emission Priorite Sante, sur RFI...
Apres de longues semaines a errer dans les meandres adminstratifs kirghizes, nous avons enfin obtenu, debut mai, le fameux document nous permettant de d'entamer notre reportage dans les prisons kirghizes.
Nous y sommes donc entres par l'entremise de Medecins Sans Frontieres (branche suisse) et de la Croix Rouge internationale (CICR), qui tous deux oeuvrent pour la lutte contre la tuberculose au sein du systeme penitentiaire.
Comme dans toute l'ex-URSS, la tuberculose reste au Kirghizistan l'epidemie numero 1, devancant le Sida. Il y a 15 fois plus de nouveaux cas ici chaque annee ici qu'en Europe, dans la societe civile. En prison, ce chiffre est multiplie par 40. Comme nous l'ont explique les chefs des deux missions CICR et MSF, les pays d'ex-sovietiques et plus particulierement leurs prisons constituent le foyer principal d'une epidemie doublement redoutable : la tuberculose, maladie sociale par excellence, avait ete promue grand combat du regime sovietique. Un effort sanitaire et financier que n'ont pas pu prolonger les nouvelles republiques issues de l'URSS, comme le Kirghizistan. Les traitements se sont poursuivis, avec les (faibles) moyens du bord, ce qui a favorise l'apparition d'une tuberculose resistante aux medicaments.
Enfin, la tuberculose, qui croit dans des environnements marques par la misere sociale et une hygiene deficiente, ne pouvait qu'exploser dans les prisons kirghizes. Nous sommes donc alles voir a l'interieur de cet univers tres particulier, regit par des lois internes complexes, ce qui complique largement la tache des equipes medicales etrangeres et locales.
Le systeme penitentiaire kirghize se divise entre colonies et SIZO. Le SIZO s'apparente a nos centres de retention, ou maisons d'arret. Les prisonniers y attendent, parfois tres longtemps, leur jugement. Ils sont la en moyenne entre 6 mois et 1 ans, dans des conditions particulierement propices a la contamination. Nous sommes entres, sous protection, dans le SIZO 1, a Bischkek. Nous arrivons ici dans une periode troublee: des reglements de comptes internes ont coute la vie a deux hommes la semaine precedente, et les tensions politiques de l'exterieur se repercutent aussi dans les murs de la prison, tant les liens sont etroits entre mafias criminelles et milieux politiques...
Dans l'antichambre du SIZO, nous croisons tour a tour les deux personnages cles du lieu: tout d'abord le chef des prisonniers, sorte de "big baby" bien nourri et portant fierement un survetement de marque, escorte de son garde du corps personnel. Il nous precede dans le bureau de l'autre chef, l'officiel cette fois, tout aussi corpulent, qui signe en bougonnant notre autorisation de visite. Premier apercu de la prison a la kirghize, ou l'administration ne peut rien sans le soutien de l'autre hierarchie, celle, mafieuse, des prisonniers.
Enfilades de couloirs, boyaux sombres et humides, portes blindees... Sur notre passage, les lourds oeilletons se referment un a un, tires de l'interieur par les prisonniers. Notre progression dans le couloir est donc rythmee par les bruits caracteristiques de la prison, claquements metalliques, trousseaux de cles, mais aussi par les sonores talons de la traductrice. Les odeurs aussi nous accompagnent, alors que deux prisonniers nous depassent, portant a bout de bras une enorme gamelle de cantine, au fumet epouvantable.
Presses par des gardes visiblement tendus, nous ne nous attardons pas dans le couloir des condamnes a mort, qui sont, depuis le recent moratoire sur la peine de mort, desormais detenus ici a vie, et nous debouchons enfin sur le "couloir de la TB". Ici sont isoles depuis peu les prisonniers porteurs de la TB et potentiellement contagieux.
Les cellules, en passe d'etre renovees, sont presques pimpantes, avec leurs 16 lits superposes et un coin WC protege des regards par un rideau, le tout dans 25 metres carres. Les autres prisonniers s'entassent parfois jusqu'a 25 dans des pieces autrement plus insalubres. Un peu plus loin dans le couloir se trouve la salle ou les infirmieres donnent, chaque jour, le traitement aux detenus: un cocktail de medicaments a prendre sous controle strict. Un travail stressant, risque, qui seduit bien peu les infirmieres kirghizes. Celle que nous rencontrons le jour de notre visite est la depuis a peine deux mois et ne cache pas son envie d'aller voir ailleurs au plus vite. Le responsable de MSF qui nous accompagne confirme que les equipes changent tres souvent, ce qui complique le travail de suivi. Il nous assure aussi que meme dans les periodes de fortes tensions a l'interieur des prisons, la securite des equipes medicales est garantie par un code d'honneur propre aux prisonniers.
Camille et Mathilde
(La suite mercredi, en attendant, des photos dans le carnet en images)
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