Un peu lassée de notre vision occidentale souvent caricaturale de l’Islam et vivant depuis 4 mois dans un pays musulman, je me suis mise en tête de visiter la grande médressa (école coranique) de Bichkek, après avoir visité trop vite celle de Kokand, en Ouzbékistan, pour le compte du Journal des Enfants (article à paraître dans en février, nous relayerons sur le site).
L’islam kirghize est traditionnellement modéré. Il a d’abord dû composer avec le mode de vie nomade et les pratiques chamaniques. Plus de 60 ans d’athéisme officiel prôné par l’URSS l’ont ensuite sérieusement affaibli. Avec l’indépendance, l’islam s’est redéployé : plus de 8000 mosquées ont été construites et partout dans le pays ont fleuri des écoles musulmanes.
La plus importante médressa de Bichkek jouxte la mosquée centrale de la capitale, où les hommes (seulement) participent aux prières communes. Oulan, jeune homme de 17 ans, sera mon guide. Il a lui-même fréquenté une médressa et en a gardé une foi profonde, qu’il exalte presque à chaque phrase. Une cinquantaine d'élèves, âgés de 7 à 17 ans fréquente la médressa. Ils vivent nuit et jour dans l’école. Le week-end, retour en famille…
Je pénètre dans l’une des chambres, des dizaines de petites paires de chaussures s’entassent sur le pas de porte. Les élèves vivent à quinze dans ces grandes pièces, à la fois dortoir et salle de cours. Un simple lavabo forme le coin toilette et une grande marmite sur un foyer fait office de cuisine. « Pas de femme ici, nous nous débrouillons tous seuls ! », affirme l’un des professeurs, rieur. Son collègue, un honorable turban noué autour de sa tête dodelinante, est assis en tailleur sur l’un des lits superposés : il lit le Coran. Les élèves l’écoutent en palsmodiant. Ils feront toute la scolarité ici, sans suivre d’autre cours que l’apprentissage de la prière, de 8 h du matin à 6 h du soir.
« Dans les médressas, les élèves apprennent uniquement à lire le Livre sacré. Pour le comprendre, nous avons des textes en kirghize. Puis, si ils le veulent, les élèves peuvent aller à l’université arabique voisine pour apprendre l’arabe ». Ainsi m’explique Yigit, spécialiste du coran et professeur lui aussi, dans la salle de prière de la mosquée. Mes jambes, en tailleur depuis une heure, commencent à sérieusement me faire souffrir. Mais j’essaye de garder l’attitude la plus respectueuse possible, consciente de la faveur qui m’est faite. Je suis l’unique femme présente dans ce lieu saint, avec comme seule présence masculine un adolescent grand comme trois pommes. Je m’interroge… Pourquoi couper ainsi les élèves de l’extérieur, et ignorer les sciences, l’histoire, les langues ? « Ils doivent vivre ici, me répond avec douceur Yigit, pour étudier, comprendre le livre et apprendre à se contrôler. Dehors, vous ne pouvez pas vous concentrer sur le Coran. En sortant, ils sauront vivre avec les autres et se comporter dans le monde ». Oulan rajoute, fermement convaincu, que « tout est dit dans le Coran ». D’ailleurs, tous deux se réfèrent constamment au prophète Mahomet pour répondre à chacune de mes questions.
Le futur pour les cinquante pensionnaires est, pour la majorité d'entre eux, d’embrasser la « profession » d’imam, ce qui exige d’aller étudier un temps à l’étranger. Les autres seront professeurs ou simples croyants. Les filles, qui étudient dans une médressa séparée, « se marieront et pourront elles aussi devenir professeurs, mais jamais imam », me précise Yigit.
Je ressors de la médressa, pleine des paroles du Prophète, qui ont toujours du mal à raisonner en moi.« Tu dois être à l'intérieur de l'islam pour le comprendre, m'explique Oulan. Mais c'est déjà bien d'essayer de t'en approcher. Tu peux poser toutes tes questions, l'islam est une religion de paix ».
Mathilde
Salut les reporters,
Belle prestation que de pouvoir visiter une médressa. Justement à ce sujet j'ai une question à vous poser. Est-ce que toute personne de confession musulmane doit obligatoirement passer par la médressa?
En tout cas je peux vous assurer que votre site me procure toujours autant de bonnes sensations car vous parvenez de façon pertinente à faire ressentir une partie de l'ambiance que vous vivez là bas. Je vous dis à bientôt car demain je passe sur la table pour mon opération.
Bise à vous deux. Kenavo. Olivier
Rédigé par : Kerbiriou | 14 février 2007 à 08:00
Merci Monsieur K. pour ton message...
Je te réponds directement sur le site, pour que tout le monde puisse en profiter. Non, tous les musulmans ne doivent pas passer par une école coranique, seulement certains enfants ou jeunes adultes. Souvent, pour les plus jeunes, ce sont les parents qui décident de leur faire suivre une scolarité coranique. Un élève, en Ouzbékistan, me racontait par exemple que comme aîné de sa famille, il avait été choisi pour être envoyé à la médressa, dans l'espoir qu'il devienne Imam. C'était pour lui un honneur.
Il existe aussi des médressas (ce sont les plus nombreuses), qui s'apparentent à nos cours de cathéchisme en France, et qui ne sont pas sur une structure d'école "jour et nuit".
Les enfants qui fréquentent une médressa dans le style de celle de Bishkek deviendront réellement des "érudits" du coran, ce qui est loin d'être le cas de toute la population kirghize...
En espérant avoir éclairé ta lanterne...
Bon courage
Mathilde
Rédigé par : Mathilde | 14 février 2007 à 12:15