Éparpillés dans une multitude de structures, peu au fait de leurs droits et souvent dévoués à la cause pour laquelle ils travaillent, les salariés du secteur associatif tentent l'aventure du syndicalisme.
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Dans un squat de la rue de Valenciennes, à Paris, quelques familles précaires préparent le dîner pris en commun. De la musique s'échappe de cette ancienne société de bijouterie transformée en lieu de vie et de lutte, décorée par des guirlandes en papier et des banderoles, vestiges de manifs. Ce soir-là, c'est le syndicat Asso, petit nouveau affilié à Solidaires, qui organise une réunion publique pour recueillir les témoignages des salariés du secteur associatif et les informer de leurs droits. « Nous rassemblons des personnes qui sont salariées et qui, dans le même temps, défendent une cause et une forme d'engagement dans leur travail », explique David Eloy, secrétaire général de ce syndicat né en 2010. C'est ce qui fonde notre identité. Nous avons d'ailleurs failli prendre le nom de Syndicat de Stockholm... ». A l'image du fameux syndrome, les salariés du secteur associatif ont souvent une empathie forte vis-à-vis de leur travail et de leur employeur, et sont donc peu regardants sur leurs droits. Congés payés, salaires, temps de travail... Les règles sont régulièrement piétinées. « Motivés, peu revendicatifs, souvent corvéables à merci, les employeurs du secteur associatif ne se rendent pas compte qu'ils disposent d'une main d’œuvre idéale !», ironise le secrétaire général d'Asso. Sans compter que certains n'hésitent pas à jouer le chantage affectif face aux contestations : « Tu mets en danger la structure », « On est là pour aider les autres », « On travaille pour une cause noble »... Les raisons aux sacrifices ne manquent pas. Et mis à part les grévistes d'Emmaüs en 2010 ou du Samu social en 2011, les salariés du secteur intériorisent en général les contraintes, et s'engagent avec beaucoup de retenue dans les conflits sociaux. « Du coup, les employeurs abusent et tirent sur la corde , observe David Eloy. La création du syndicat a libéré la parole. Les salariés se sont sans doute autorisés à se penser comme des salariés, avec des devoirs mais aussi des droits ».
Construire le dialogue social
Une grosse centaine d'adhérents, 80 demandes de salariés traitées depuis ses débuts, deux personnes accompagnées aux Prud'hommes : Asso est encore un petit Poucet du domaine syndical. Selon les derniers chiffres disponibles, 1,8 millions de personnes travaillent pourtant dans l'associatif, soit 5 % de l'emploi salarié en France. Pour le sociologue Matthieu Hely, spécialiste de l'organisation du travail, on assiste aussi à une vraie « professionnalisation » du secteur, avec une multiplication par trois depuis les années 80 du nombre de salariés. « Mais 30 % d'entre eux ne sont couverts par aucun accord de branches ». C'est surtout ceux-là que visent les militants d'Asso, des salariés perdus dans un secteur extrêmement hétérogène et émietté, invisibles pour les grosses centrales syndicales. En effet, qu'ont en commun une auxiliaire de vie dans une association d'aide à la personne, un salarié œuvrant dans une ONG de défense des droits de l'homme ou un animateur de l’éducation populaire ?
Outre la transversalité, la taille des structures pose problème. Il faut, comme pour une TPE classique, au moins onze salariés pour rendre obligatoire l'élection d'un délégué du personnel. Difficile d'établir un dialogue social dans un univers où le bricolage tient souvent lieu de management. « Quand tu vois un novice mener un licenciement, ça fait mal, raconte Julien, ancien stagiaire dans le domaine de l'éducation populaire puis employé dans une structure de solidarité internationale. Tu es content parce que tu sais que la copine, elle va aller au prud'hommes et qu'elle va gagner. Mais ça va aussi faire perdre des milliers d'euros à une association fragile, qui peut-être ne s'en remettra pas.» Daniel aussi témoigne et cherche de l'aide : « Nous avons décidé, tous ensemble dans mon association, de supprimer le poste de coordinateur, pour faire des économies. C'est très fatiguant pour tout le monde. En tant que salariés, nous sommes très impliqués, proches de nos responsables, et on ne veut pas que l'association coule. Mais nous souhaitons aussi des postes tenables ». Son récit dit bien toute l’ambiguïté qui lient salariés du secteur associatif et employeurs, souvent de simples bénévoles réunis en CA. « La formation des employeurs sur ces thématiques, c'est le nœud du problème, assure une adhérente d'Asso. Il faut leur mettre le code du travail sous le nez... ». David Eloy ne se prive d'ailleurs pas de rappeler, que « le travail est un rapport de force, qui se passe plus ou moins bien, quelques soient les bonnes volontés de départ ». Jusqu'ici peu représentés à la table du patronat, ces employeurs du secteur associatif viennent d'ailleurs de se rassembler sous la bannière de l'UNES (Union des employeurs de l'économie sociale et solidaire), afin de peser davantage au niveau national. Une manière aussi pour les salariés d'avoir face à eux des interlocuteurs structurés. « Les gens viennent parfois nous voir car ils sentent que la structure et donc leurs emplois sont menacés par une mauvaise gestion », assure le secrétaire général.
Précarité accrue
Le salariat dans le domaine associatif est d'autant plus difficile à mobiliser qu'il est très précarisé. Outre les stages à rallonge et les CDD en cascade, le secteur est aussi gourmand de contrats aidés, tels que les emplois d'avenir du gouvernement Ayrault. Le cas des « services civiques », chers à l'ancien commissaire à la jeunesse Martin Hirsch, est aussi éloquent. « Certaines annonces de volontariat sont de véritables offres d'emplois ! alerte Asso. 35 heures hebdomadaires, diplômes requis, qualifications et compétences précises exigées etc...» Le tout pour moins de 600 euros mensuel. « Ce genre de statuts est dévoyé et utilisé pour embaucher à bas prix une population qualifiée ». Mathieu Hely pointait déjà ce paradoxe dans un entretien à la Vie des idées en 2011 : « Il est en effet frappant de constater combien le bénévolat associatif est socialement et économiquement valorisé et combien le travail salarié associatif, par contraste, est dévalorisé du point de vue de sa valeur monétaire […] et de son statut (forte présence de « bénéficiaires » de mesures d’insertion dont le travail est institutionnellement dénié). »
La crise accroît les tensions
Baisses des subventions et des commandes publiques, diminution des dons, le secteur souffre aussi de la crise financière et budgétaire. L'emploi salarié dans le secteur associatif a baissé de 0,5 % au premier trimestre 2013. « Ça représente 9000 emplois, alerte Gilles, un routard du droit syndical, présent à la réunion au sein du squat parisien. Le plus grand plan social de France, et personne n'en parle ! ». Au-delà de la formule, une inquiétude sourde apparaît : que les conditions de travail pâtissent encore davantage de la mauvaise santé économique de la France et des Français. Plusieurs sections syndicales, avec ou sans étiquette « Asso », se sont donc créées depuis quelques mois, au sein de grosses structures telles que Médecins du monde, Action contre la faim, la Cimade ou encore Europe écologie les verts. Avec le même credo : que la cause soit noble ou pas, le respect des droits du travailleur est aussi un combat.
Mathilde Goanec