Ukraine Une visite fastueuse mais controversée du patriarche orthodoxe Kirill
KIEV, DE NOTRE CORRESPONDANTE
Le patriarche Kirill, chef de « l’Eglise orthodoxe de Moscou et de toutes les Russies », est l’invité d’honneur de l’Ukraine, à l’occasion de l’anniversaire des 1022 ans de la « Rous kiévienne ». Il doit en effet commémorer, ce mercredi à Kiev, le baptême du prince ukrainien Volodymyr dans les eaux du Dniepr, acte de naissance de l’orthodoxie chez les peuples slaves. Une visite fastueuse, qui l’a fait traverser depuis neuf jours le pays du Sud au Nord, et qui n’est pas sans faire grincer des dents, au sein d’une population certes à dominante orthodoxe, mais où les différentes églises se livrent à une vraie bataille de clochers. L’orthodoxie ukrainienne se divise en deux courants majeurs, l’un placé sous l’autorité directe du Patriarcat de Moscou, et l’autre, qui refuse la tutelle moscovite et se veut ukrainienne et indépendante.
Pour l’analyste Mariana Karapinka, le péché originel date de la prise de fonction du président ukrainien Viktor Ianoukovitch, en février dernier : « Nous avons alors pu observer le manque d’égalité de traitement entre les deux églises, Kirill seul donnant sa bénédiction durant l’intronisation de Ianoukovitch alors que la traditionnelle bénédiction œcuménique était annulée ». Depuis, les relations n’ont cessé de s’intensifier entre le sommet de l’Etat ukrainien et le patriarcat moscovite. Visites personnelles, remise de décorations honorifiques, le patriarche est devenu, comme chez le voisin russe, un conseiller incontournable du chef d’Etat ukrainien. Une position qui fâche une partie de l’opinion publique, alors même qu’en terme de politique extérieure, Ianoukovitch est régulièrement accusé de brader les intérêts et la souveraineté de l’Ukraine au profit du Kremlin. Kirill, quand à lui, ne se prive pas de mêler le politique au religieux, vantant les « bons résultats » de Ianoukovitch, et prêchant la grande réconciliation entre « les frères » ukrainien et russe au nom des « valeurs de la foi orthodoxe, des valeurs qui sont le fondement de la culture et de la civilisation de ce que l’on a coutume d’appeler “le monde russe“ », comme il le déclarait dans une longue interview, le 18 juillet, sur la première chaîne ukrainienne.
Manifestations annulées ou réprimées
L’église orthodoxe ukrainienne sous le Patriarcat de Kiev, attaquée par des partisans de Kirill appelant à sa « liquidation », a largement fait savoir son désaccord quant au sens de cette visite : « Ceci n’a rien de spirituel, a asséné le patriarche Filaret lors d’une conférence de presse. Même les analystes politiques russes estiment que Kirill est un politicien et un diplomate avant d’être un patriarche ». Plusieurs manifestations de protestation des nationalistes ukrainiens ont par ailleurs été annulées ou réprimées, en province comme à Kiev, pendant toute la durée du séjour du Patriarche Kirill. « L’unité des autorités politiques et religieuses est un danger à la fois pour l’État et l’église dans le contexte ukrainien, observe Marina Karapinka. Cela marche peut-être bien pour la Russie mais ce n’est pas efficace en Ukraine car ce n’est pas un pays monolithique et aucune église ne peut devenir dominante au sein du pouvoir. Aujourd’hui, il y a la tentation d’imposer un seul parti, et une seule église mais personnellement je ne pense pas que cela puisse marcher. »