Conflit . Visite houleuse de la Présidente par intérim à Och, où les habitants crient leur haine des Ouzbeks.
Par MATHILDE GOANEC Envoyée spéciale à Och
Présidente par intérim du Kirghizistan, Rosa Otunbaeva, est enfin descendu à Och, où ont eu lieu ces derniers jours les plus violents affrontements ethniques qu’a connus le pays depuis son indépendance. Sur la place centrale de la ville, un hélicoptère de l’armée, tournoyant devant l’impassible Lénine de bronze, a déposé vendredi matin sa passagère. Inquiète pour sa sécurité, Rosa Otunbaeva est protégée par une horde de militaires et un gilet pare-balles.
Et la Présidente, qui se voulait rassurante, porteuse d’un message de paix, accusant même les journalistes de «dramatiser la situation», s’est fait fraîchement accueillir par les habitants de Och. «Ce que vous avez fait au bout de quatre jours, envoyer l’armée etc., vous auriez dû le faire immédiatement !» accuse un responsable de parti politique local, lors d’une réunion avec les officiels. «Si vous ne saviez pas quoi faire, il fallait envoyer une lettre à Medvedev [le président russe, ndlr] !» s’exclame encore une femme.
Beaucoup d’orateurs, se succédant à la tribune, pointent également du doigt la communauté ouzbèke, accusée d’avoir ouvert les hostilités : «Les Ouzbeks étaient prêts à se battre depuis deux mois !» «La nation tutélaire ici, ce sont les Kirghiz !» «Les Ouzbeks ne doivent pas revenir, qu’ils se trouvent un autre Etat !» L’aide humanitaire, qui peine à arriver, fait aussi l’objet de houleux débats. Les rumeurs de trafics de nourriture et la désorganisation des convois ne sont pas pour redorer l’image du gouvernement, déjà largement écornée par le chaos de ces derniers jours.
Quel que soit le commanditaire, l’opération menée pour enflammer le sud du Kirghizistan a manifestement réussi : le gouvernement provisoire ne tient plus qu’à un fil. Dehors, plus d’une centaine de Kirghiz se sont rassemblés, réclamant une rencontre avec leur Présidente, Rosa Otunbaeva. Les femmes exhibent des photos de leurs maris morts dans les affrontements ou kidnappés par les Ouzbeks, et tous se plaignent de l’insécurité dans la ville. «Pour aller chez nous, nous devons traverser des quartiers ouzbeks, mais ils ne nous laissent pas passer, explique Chinara. La maison est située entre deux grands quartiers ouzbeks, protégés par des barricades de fortune. Nous sommes agressés devant nos maisons, nous avons peur, il faut que chacun vive de son côté, on ne peut plus vivre ensemble.»
Illustration dans le quartier ouzbek de Fuhkat, à la sortie de Och. Ici, même les militaires et les policiers ont peur de rentrer. Accusés par les Ouzbeks d’avoir participé aux violences, ils ont très mauvaise presse dans cette partie de la ville. Les hommes se promènent dans leur quartier dévasté, ouvrent les hauts portails, découvrant des tas de gravats entre deux morceaux de murs détruits. «Ma maison est là-bas, montre Islam, en pointant du doigt le bout de la rue. Je ne suis pas revenu ici depuis que j’ai dû fuir. C’est très dur, ce sont des maisons que nous avions construites de nos mains et on se demande comment on va les remettre debout, et vivre ici à nouveau.»
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